Comment un judoka devenu tardivement rugbyman a-t-il réussi à devenir le meilleur joueur du monde ? Ancien capitaine de l'équipe de France de rugby, élu meilleur joueur du monde en 2011 et détenteur du record de 38 plaquages en un match, Thierry Dusautoir est une légende du rugby français qui a su transformer son expérience sportive en une carrière d'entrepreneur réussie. Écoutez l'épisode ici 👇 🎙️Spotify 🍎Apple podcast 🎧YouTube Podcast 📺 Substack
Aujourd'hui à la tête de Melting Capital, il nous livre dans cet épisode une masterclass sur la résilience, le leadership et la quête de l'excellence.
Son parcours est déjà une leçon en soi : découvrant le rugby tardivement à 16 ans, il a gravi les échelons jusqu'au plus haut niveau grâce à une approche méthodique et une capacité d'adaptation remarquable. De son propre aveu "moyen-faible" physiquement comparé aux standards du rugby professionnel, il a su analyser et comprendre ses forces pour devenir un capitaine emblématique et l’un des meilleurs joueurs de rugby français de l’histoire.
Dans cette conversation riche en enseignements, Thierry partage :
À travers son parcours atypique, Thierry Dusautoir démontre que l'excellence n'est pas réservée aux "prédestinés". Il illustre comment la mise en place de routines précises, combinée à une préparation mentale rigoureuse, peut permettre à n’importe qui d’atteindre ses objectifs.
Une conversation qui dépasse largement le cadre du sport de haut niveau et s’adresse à tous ceux qui cherchent à se dépasser, sur le terrain comme dans la vie.
Jean-Charles : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de Healthier Humanity, un podcast dédié à l'exploration de différentes perspectives pour vivre pleinement et optimiser notre santé et notre bien-être. Je suis votre hôte, Jean-Charles Samuelian, et je suis ravi que vous vous joigniez à moi dans ce voyage.
Imaginez un monde où nous vivrions non seulement plus longtemps, mais aussi en meilleure santé, avec moins de stress et plus d'énergie. C'est la vision qui anime ce podcast. Dans chaque épisode, nous parlerons avec des experts renommés dans divers domaines liés à la santé, des chercheurs de classe mondiale et des leaders pour être inspirés et mieux comprendre.
Parmi ces experts, nous avons choisi d'inclure des athlètes de haut niveau. Pourquoi ? Parce que ces individus ont poussé leur corps et leur esprit à leurs limites, développant souvent une compréhension unique de la santé, de la performance et de la résilience. Leurs expériences et les leçons qu'ils en ont tirées peuvent nous offrir des perspectives précieuses sur la façon d'optimiser et de penser notre propre santé, que nous soyons sportifs ou non.
Aujourd'hui, j'ai l'immense honneur d'avoir comme premier invité Thierry Dusautoir. Une légende du rugby français qui a su transformer son expérience sportive en une carrière business et qui illustre parfaitement la quête de performance, la gestion du stress et l'importance de l'esprit d'équipe. Thierry, merci beaucoup de te joindre à nous.
Thierry : Bonsoir Jean-Charles, merci de m'inviter.
Jean-Charles : Merci. Thierry, tu es né en Côte d'Ivoire, tu as découvert le rugby à 16 ans avant de devenir capitaine de l'équipe de France avec plus de 80 sélections. Élu meilleur joueur du monde en 2011, tu détiens le record de 38 plaquages en un match. Aujourd'hui, tu appliques la discipline et la résilience acquises sur le terrain à ta vie d'entrepreneur. Tu as notamment fondé All My SMS, une solution de marketing digital, et Melting Capital, une société d'investissement dans la tech. J'ai hâte que tu nous montres comment les valeurs du rugby peuvent nous aider à nous dépasser et à vivre en meilleure santé.
Je te propose de commencer par explorer ton parcours dans le rugby et son impact qu'il a pu avoir sur ta santé, avant de discuter de l'importance de la préparation physique et mentale, ainsi que de la nutrition. On pourra aussi aborder la transition vers la vie après le sport, et voir comment certaines des leçons que tu as eues dans ta vie peuvent s'appliquer dans notre quête d'une vie plus saine.
Jean-Charles : D'abord, tu as découvert le rugby relativement tard à 16 ans. Comment ce sport a-t-il transformé ta vie ?
Thierry : Je suis arrivé au rugby grâce à des copains en réalité. J'ai une formation de judoka initiale, j'ai commencé le judo à l'âge de 4 ans. Lorsque je faisais du judo, mes copains du lycée à Périgueux, en Dordogne, je remarquais que tous les lundis, ils faisaient un débrief du week-end précédent parce que beaucoup d'entre eux jouaient au rugby dans des clubs à côté. J'étais un peu exclu de la relation et des discours du lundi parce que je ne comprenais rien. Je ne comprenais pas la moitié des termes. Surtout, je sentais qu'il y avait une vraie camaraderie entre joueurs d'équipes opposées. Un jour, mes amis m'ont dit "Écoute, t'as le gabarit, viens nous rejoindre dans notre club." J'ai donc commencé à Trélissac, un club qui est collé à Périgueux.
Jean-Charles : Comment ça s'est enchaîné ensuite ? J'imagine que tu arrivais avec des personnes qui faisaient ça depuis très longtemps, peut-être depuis qu'ils étaient enfants ? Comment es-tu monté en compétence ? As-tu eu une notion de syndrome de l'imposteur à certains moments ?
Thierry : C'était surtout du plaisir. C'était être avec des copains, partager des moments. Ce que le rugby m'a apporté à ce moment-là a été essentiel dans ma construction parce que j'avais 16 ans, en pleine adolescence. Mon profil au lycée, c'était celui du "non-identifié", cette catégorie dont on ne se souviendra pas forcément après. Je noyais beaucoup de complexes, n'avais pas beaucoup de confiance en moi, et je pouvais le percevoir par exemple au judo. J'étais un bon judoka à l'entraînement, mais en compétition je me faisais éliminer très rapidement parce que je perdais mes moyens. J'avais du mal à assumer le défi d'être face à un adversaire à l'instant T.
Le rugby, c'était "viens comme tu es et on fait avec". Je n'avais pas forcément de connaissances de rugby mais j'étais plutôt engagé, vaillant, je n'avais pas peur du contact grâce au judo. J'ai trouvé ma place dans ce groupe et ça m'a donné énormément de confiance. À cet âge-là, rentrer dans un vestiaire de mecs qui sont plutôt populaires, plutôt costauds, et voir que ces gars-là te respectent pour ce que tu es, tu n'as pas besoin de jouer un rôle, ça m'a vachement aidé.
La répétition des échéances, des compétitions, le fait de jouer tous les week-ends, à la différence du judo où j'avais 3-4 compétitions dans l'année, m'a permis de banaliser la compétition. Cette confiance acquise au rugby m'a permis d'avoir des résultats beaucoup plus intéressants dans le judo. Et la discipline, la concentration acquises au judo m'ont permis d'être vraiment beaucoup plus percutant dans le rugby.
Jean-Charles : Ce qui est intéressant dans ce que tu as partagé, c'est aussi le fait que tu pouvais être dans une situation où tu ne te sentais pas nécessairement à ta place et par trouver le bon groupe, le bon endroit, tu as trouvé ta voie.
Thierry : Oui, je pense que c'est la force du sport en général. Le sport collectif et plus particulièrement le rugby parce que c'est un sport collectif de combat et il ne suffit pas d'être très bon technicien ou un très bon athlète, il faut donner encore un peu plus parce que tu prends des coups, tu en donnes. Il faut montrer beaucoup de générosité au groupe.
L'une des leçons que j'ai apprises au rugby vient d'un entraîneur qui nous disait toujours : "Les gars, avant de prendre, donnez. Donnez à l'effectif, donnez à vos copains. Et vous recevrez toujours en retour." Et c'est vrai, je l'ai constaté, que ce soit à ce niveau-là ou au haut niveau. Quand tu donnes au groupe, tu génères de la confiance et ils sont là pour toi en retour.
Jean-Charles : Tu nous as dit que ce que tu faisais en rugby avait renforcé le judo. Tu as donc mené les deux en parallèle pendant un moment. Quel a été le déclic pour que tu décides d'abandonner l'un pour l'autre ? Quelles sont les grandes étapes de ton parcours dans le rugby ?
Thierry : Pendant deux ans, de 16 ans jusqu'en terminale, j'ai fait judo, rugby. Ma progression en compétition au judo a correspondu avec la pratique du rugby. J'ai quitté mon club de judo pour un groupe d'entraînement départemental qui demandait des entraînements lundi, mercredi, jeudi et samedi. En plus, j'avais le rugby le mercredi - je faisais double séance - le vendredi rugby et samedi match. Ma semaine était assez intense, d'autant plus qu'à côté il y avait les études.
Le grand stress de ma mère, qui était déjà contrariée que je fasse du rugby, était que je n'aurais jamais mon bac parce que j'en faisais trop. Je ne voulais pas lâcher parce que d'un côté le judo c'était un peu l'histoire de ma vie, et le rugby c'était la nouveauté, les copains, une façon de m'affirmer en tant qu'adolescent.
Après mon bac, je suis resté dans mon lycée et j'ai intégré Math Sup. Là, j'ai compris qu'il fallait que je choisisse. En choisissant le rugby, je savais que ça allait être difficile. Sincèrement, ça a été dur, pas parce que je n'avais pas forcément le temps de travailler, mais je sentais aussi que pour certains professeurs, ça posait problème. Quand j'arrivais le lundi avec un hématome ou des traces de frottement, ils savaient que j'allais jouer les matchs le week-end et ils n'appréciaient pas forcément ça en khôlles, notamment quand je n'avais pas les bonnes réponses.
Jean-Charles : C'est dommage de ne pas pouvoir faire des études de haut niveau et du sport de haut niveau quand tu en as la capacité.
Thierry : C'est vraiment un sujet culturel. La place du sport en France n'a pas toujours eu cette perception-là. Le sportif est vu comme l'abruti de service : "Heureusement qu'il a trouvé le sport pour s'en sortir." Alors que quand tu regardes les profils des meilleurs joueurs ou des meilleurs sportifs de haut niveau, tu as des profils complètement différents, et beaucoup de profils intellectuels de très haut niveau. Ce sont des a priori dont on hérite et dont on souffre parfois.
Jean-Charles : Il y avait un niveau d'intensité sportive assez hallucinant. Est-ce que tu as eu des grands défis autour de ta santé, ta préparation physique ? Ton corps suivait toujours ?
Thierry : À cette époque-là, non, je ne me posais pas forcément de questions parce que je n'étais pas dans une démarche sportive de haut niveau. C'était assez paradoxal : je voulais aller le plus haut possible, mais je ne mettais pas les choses en place pour atteindre ces objectifs-là.
Le rugby, c'est un peu le hasard qui m'a amené au sport de haut niveau. Quand je suis entré en Spé, j'ai senti que je ne tiendrais pas, parce que ce qu'on me demandait ne m'intéressait pas. Un copain qui était à Bordeaux m'a parlé d'une classe particulière en fac de physique-chimie qui préparait aux concours d'entrée en école d'ingénieur. Je me suis dit que je pourrais travailler en tant qu'ingénieur chez Decathlon ou des entreprises similaires qui développent les outils sportifs de demain.
Pour financer les études, un autre copain du rugby m'a suggéré de passer les tests pour rentrer au centre de formation du CABBG (Bègles, maintenant UBB). J'ai réussi les tests et c'était un bon plan : j'étais nourri, logé, ils me donnaient un peu d'argent. Je pouvais ainsi financer mes études, être indépendant, et monter d'un niveau dans le rugby et le haut niveau.
Jean-Charles : C'est assez incroyable, c'est le hasard de la vie, mais en fait, tu t'es positionné pour les avoir d'une certaine manière...
Thierry : En continuant...
Jean-Charles : En étant résilient.
Thierry : Oui, après ça, ce côté résilient, c'est une grosse marque de mon caractère, parce que même dans le sport, je n'avais pas trop de doutes. Alors, quand je dis ça, souvent, je fais rire, mais... À la moyenne, c'est vrai que j'ai des capacités physiques peut-être supérieures, mais comparé à la moyenne du rugbyman, non. J'étais plutôt moyenne faible. Donc il m'a fallu très vite m'adapter et comprendre quel était mon avantage concurrentiel, on dirait en termes de business, pour pouvoir me démarquer. Parce que sinon, si j’étais resté dans exactement ce qu'on attendait de moi dans les premières années de ma carrière, je pense que je n'aurais pas fait la même carrière.
Jean-Charles : Quand est-ce que tu as eu le déclic de se dire je dois aligner tous les éléments de ma vie pour la performance et pour être au meilleur niveau ? Au début, c'était un peu des hasards. Est-ce qu'à un moment, tu t'es dit en fait, maintenant, je dois tout dédier comme ça, je dois réfléchir de manière holistique à mon mental, mon physique, ma nutrition ? Est-ce que c’est arrivé à un moment ?
Thierry : Le mental, c'était quelque chose qui était important que j'avais déjà identifié comme quelque chose d'essentiel parce que c'était pour le coup mon arme majeure, mon état d'esprit, mon mental qui me permettait d'être véritablement performant. En revanche, c'était une époque où il n'y avait pas encore cet accompagnement. Il y avait des préparateurs mentaux, mais on n'était pas encouragé à aller les voir, ce n'était pas quelque chose de vraiment naturel. C'était très rare d'avoir des rugbymen qui allaient voir un préparateur mental. A contrario, dans les sports individuels, par exemple, c'était normal.
Pendant très longtemps, dans notre sport, on a souffert du fait qu'étant donné qu'on est des guerriers, c'est un sport de combat, il faut être fort. Il ne faut pas montrer ses faiblesses physiques et mentales. Aller voir un préparateur physique, c'était déjà faire preuve de faiblesse en soi. Et je pense que ça a fermé beaucoup de portes à ce moment-là. Et pour le coup, moi, je ne suis jamais allé me faire aider. Et c'est un regret aussi de ma carrière en me disant... Si j'avais poussé ces portes-là, je pense que j'aurais vécu déjà les choses différemment, avec moins de stress, moins d'angoisse, de façon un peu plus cool, et j'aurais terminé ma carrière de façon un peu plus apaisée.
Jean-Charles : Je veux bien que tu reviennes là-dessus. Quels étaient les moments de plus grande anxiété, de stress de ta carrière ? C'était quoi ta vie ?
Thierry : Les moments d'anxiété, il y en a eu plusieurs. La blessure, j'ai eu une très grosse blessure au genou à l'âge de 22 ans où le chirurgien me dit : "Soit on vous opère mais c'est pas une opération qu'on a l'habitude de faire donc je ne sais pas trop comment vous allez revenir, soit on ne vous opère pas, vous jouez, vous allez reprendre le terrain dans trois mois, mais dans quatre-cinq ans vous arrêtez votre carrière, votre genou sera bousillé, donc faut choisir."
Ce que j'ai l'habitude de dire, c'est que je jouais deux matchs tous les week-ends en réalité, parce que mentalement, j'arrivais bien fatigué avant le match. Et sur la performance du week-end, j'étais jugé sur à la fois la notion de leader, capitaine, manager, donc performance de l'équipe, mais aussi en tant qu'opérationnel. Donc quand t'es en forme et que mentalement tout va bien, il n'y a pas vraiment de soucis. Et quand tu es en période de doute, fatigué, que tu as mal, et là pour ça tous les joueurs ont mal, on n'en joue jamais à 100%. Donc quand les douleurs te prennent la tête véritablement, c'est plus difficile à gérer, tu sais que tu as attendu, donc cette gestion-là du stress, elle est importante et je pense qu'elle m'a pris beaucoup d'énergie.
Jean-Charles : Merci, j'ai du coup noté environ 10 questions ahah. Pour revenir sur la première, sur ta blessure au genou, comment finalement tu as pris cette décision ? Et comment tu as géré après, peut-être dans le reste de ta carrière, tes anticipations pour ne plus te blesser ? Est-ce que c’est devenu une peur ? Comment tu t'es protégé physiquement, préparé physiquement pour que ça n'arrive plus ?
Thierry : Alors déjà, je pense que comme je suis quelqu'un d'assez cartésien, je pose les choses... En fait, ça se fait très rapidement parce que le chirurgien, tu peux imaginer qu'il n'avait pas une semaine à me laisser. Mais ça s'est fait en cinq minutes, j'ai dû prendre ma décision. J'ai mis les différents paramètres sur la table.
Ce qui était difficile pour moi, c'était que je m'étais blessé en ce qu'on appelait à l'époque France A, c'était la deuxième équipe de France. C'était en 2004 et en 2004, c'est l'année post-Coupe du Monde et ce qui se passe en général les années post-Coupe du Monde, sur la tournée qui suit, ce sont des jeunes talents, des jeunes espoirs qui sont amenés en tournée pour poser les titulaires. La logique voulait que je fasse cette tournée-là. Je pense que j'allais faire cette tournée-là. D'ailleurs, beaucoup de joueurs qui ont fait cette tournée-là ont été des joueurs d'équipe de France qui ont suivi après.
Le souci, c'est que j'ai réfléchi de cette façon-là. Comment est-ce que tu vas intégrer cette équipe nationale pour t'arrêter dans 3-4 ans à 25-26 ans, ça n'a pas véritablement de sens. A contrario, tu te donnes une chance en te faisant opérer. Je ne sais pas comment tu vas revenir. Il n'a pas dit que tu allais arrêter ta carrière, donc il y a une histoire. Donc la perspective est plus importante.
Et puis si ça ne marche pas, tu as l'école. J'étais en école d'ingénieur et je me suis rattrapé à ça pendant ma période de convalescence, je ne jouais plus, mais j'allais en cours. J'avais d'autres centres d'intérêt et ça m'a permis d'avoir les idées plus claires, d'appréhender la blessure de façon différente, de façon un peu plus tranquille.
Jean-Charles : Et tu dis que ça a été le départ parce que là, tu as côtoyé l'excellence et ça t'a…
Thierry : Exactement, l'excellence à l'entraînement, la façon d'appréhender l'entraînement. Des entraîneurs comme Patrice Lagisquet et Jacques Delmas, qui amenaient avec des styles différents, mais qui avaient de la rigueur dans leurs propos. Patrice Lagisquet m'a... Ce n'était pas facile au quotidien parce que c'est un passionné. Des fois, tu l'agaçais quand tu ne réussissais pas des gestes techniques. En revanche, il m'a amené à réfléchir sur ce qui est devenu mon point fort à la défense. La façon d'appréhender, se placer, analyser les courses des adversaires, les placements des adversaires, parce que souvent en défense, on pense qu'il suffit de mettre un adversaire et aller avec le maximum de volonté et le plaquer. En réalité, c'est beaucoup de travail en amont et beaucoup de lecture pendant le match.
Donc lui m'a amené ça, m'a amené cette réflexion-là, cette finesse dans ce qui peut apparaître comme quelque chose de brutal. Sur l'exigence des entraîneurs, mais aussi des coéquipiers. Avec les meilleurs joueurs de France, ils se mettent au diapason, donc tu les observes dans leur façon de s'entraîner, de se nourrir. À ce moment-là, sur la diététique, j'ai commencé à faire un peu plus attention. Mais aussi, surtout, la façon dont ils découpent la saison et la façon dont on se fixe les objectifs. Et là, au bon moment, ça a été très riche en enseignement.
Jean-Charles : Merci beaucoup. Tout à l'heure, tu avais mentionné une des phrases d'un de tes entraîneurs aussi. Quels sont un peu les conseils que tu retiendras toute ta vie, quand ils te sont peut-être rentrés dedans aussi, parce que ça a été des phrases clés qui ont été des moments charnières dans ta vie ?
Thierry : C'est dur d'en trouver comme ça. Il y a cette phrase que je t'ai citée. J'ai peut-être une anecdote qui m'a vraiment marqué. C'est avec Guy Novès, quand j'arrive du Biarritz Olympique au Stade Toulousain. Heureusement, on avait gagné la finale avec le Biarritz Olympique, donc ça m'a permis d'arriver avec un peu plus de sécurité, de bagage vis-à-vis d'un gars qui est très charismatique.
Le fait est que j'arrive blessé aussi. Par rapport à la résilience, je te raconterai un autre truc tout à l'heure. Donc j'arrive blessé, une blessure que je me suis faite en équipe de France, à Toulouse. Mes premiers mois ne sont pas très satisfaisants. Objectivement, je ne trouvais pas ma place. J'arrivais d'un club très structuré dans ce qui était demandé dans les annonces, et dans un club qui était structuré, un club où on lançait le ballon et tout le monde se trouvait. Je me disais, mais comment est-ce qu'ils font ? Comment est-ce qu'ils se sentent ? J'étais en réflexion permanente, en me disant, mais comment j'ai trouvé la place dans ce groupe ?
Et mes performances sont, à mon sens, ressenties. Je jouais avec l'équipe de France la tournée de novembre 2006. On joue contre les All Blacks à Lyon et on perd de plus de 40 points. Et là, je me fais virer de l'équipe de France. J'arrive en club, je me dis que ça ne peut pas durer comme ça. Je vais voir mon entraîneur, je lui dis qu'il faut qu'on parle parce que je vois bien que je n'ai pas le rendement que je devrais avoir, je ne suis pas à l'aise. "Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que tu me conseilles de faire pour améliorer mon rendement, être à la hauteur ?"
Il me dit : "Je suis surpris, non, moi je suis très content de toi." Moi je suis un peu interloqué parce que je suis conscient que je ne suis pas bon en réalité. Pour moi, je devrais être meilleur. Il me dit : "Non, tu peux partir, c'est cool, moi je n'ai rien à te dire, je suis très content de tes performances. Donc ce week-end, tu seras titulaire, il n'y a aucun problème."
Je pars, je me dis, s'il est content, ça va, mais je ne comprenais pas trop. À partir du match contre Montauban, c'était le début de ma carrière à Toulouse. Je commençais à avoir le rendement que j'avais, ça m'a libéré. Le fait qu'il me dise ça, ça m'a levé un poids peut-être.
Trois, quatre mois après, on joue contre le Biarritz Olympique au Stadium. Et là, du coup, j'étais en pente ascendante quant à mes performances, je jouais vraiment bien. Il vient me voir, il me dit : "Thierry, t'es prêt pour demain, tu te sens bien et tout ?" Je lui dis que je suis motivé, c'est mon ancien club, ce sont mes copains, il faut qu'on gagne, en plus on les a battus au match aller. Il me dit : "Tu jouais au match aller toi ?" Et pas en rigolant.
Et là je comprends le message qu'il me fait passer. Quand j'étais en bas mentalement, il n'y avait pas grand-chose à tirer de moi. Il a su trouver les mots pour me donner confiance, pour me redonner confiance en moi, pour me montrer qu'il y avait quelqu'un qui croyait en moi. Et à la période où j'étais au top, en fait, il a recommencé à être exigeant, mais vraiment exigeant. Aller chercher, à me pousser dans mes limites, aller chercher ce que j'avais de plus profond encore.
Et ça, cette anecdote-là, elle m'a vraiment marqué parce que c'était ma première année, il m'a entraîné pendant neuf ans, et j'ai toujours gardé derrière le coin de la tête, ça m'a permis de toujours avoir une analyse quant à ce qu'il pouvait dire, les mots qu'il utilisait, où il les utilisait. Donc souvent c'est plus facile de le voir quand il s'adresse aux autres, mais c'est un peu plus difficile de le comprendre quand ça nous concerne. Et moi, cette expérience-là, elle m'a aidé sur les neuf années après pour pouvoir relativiser certaines remarques parfois qui pouvaient être vexantes.
Jean-Charles : C'est hyper intéressant de bien lire la personne à qui tu t'adresses, c'est presque une masterclass de management de dire le bon mot à la bonne personne pour l'amener.
Thierry : Pour le coup, ça va mettre dans ce domaine parce que je pense qu'il aurait pu entraîner n'importe quelle équipe où... Il gérait des hommes. Lui, son boulot, c'était de gérer des hommes. Et il avait des mots pour chacun d'entre nous. Il nous recrutait, donc il savait qui il recrutait. Et très vite, il percevait les leviers sur lesquels il pouvait appuyer pour qu'à l'instant T, on soit, il aimait bien dire ça, des machines de guerre.
C'était un club où il y avait beaucoup de liberté. Tu pouvais voir quand on arrivait le jour du match, les autres équipes étaient très structurées, tous habillés de la même façon. C'était l'armée mexicaine en fait. On avait tous eu la même notation, mais on aurait dit qu'on n'avait pas reçu les mêmes messages pour arriver. Et cette liberté-là, il l'a laissée là, elle est laissée dans le jeu. Mais quand c'était important, il savait dire le bon mot à la bonne personne.
Jean-Charles : Est-ce que c'est quelque chose que tu as essayé d'appliquer dans ton rôle de capitaine ? Parce que tu parlais de ce double match tout à l'heure et de l'énergie que ça pouvait te prendre d'être capitaine. Comment tu vois et tu définis le rôle de capitaine et comment tu as essayé de le faire ?
Thierry : C'est une bonne observation, c'est une bonne remarque parce qu'effectivement, j'ai vu le rôle de capitaine. Je considère qu'être capitaine, c'est aider ses partenaires à être dans les meilleures conditions pour le week-end. Et moi, j'étais beaucoup dans l'observation. Et c'est vrai qu'il a dû influencer cette... Je suis très observateur de la vie, mais il a dû influencer cela.
C'est marrant parce que, sur les repas, on a les regards qui se croisaient. Moi, j'étais en observation de mes coéquipiers pour savoir, "tiens, celui-ci, il n'est pas en confiance, donc il faut que je lui parle, celui-ci, il faut que je le calme un peu." Et des fois, on avait le regard qui se croisait parce qu'il était à une autre table, mais je voyais qu'il faisait déjà son scanner de la salle pour adapter son discours.
Donc oui, mais ça, quand tu es entraîneur, c'est une chose, mais quand tu es joueur en plus, je pense que ça apportait du confort à mes entraîneurs. Je pense que j'ai été capitaine aussi longtemps pour avoir ce soutien-là, cet œil un peu dans l'opérationnel, mais qui prenait un peu de hauteur. Moi, ça m'épuisait. Ça m'épuisait vraiment parce que du coup, tu te concentres sur les autres comme ça, tu ne te concentres pas sur toi, sur tes sensations, sur tes envies. Et sur le long terme, ça m'a vraiment coûté.
Jean-Charles : C'est hyper intéressant. Je rebondirai là-dessus tout à l'heure, mais tu avais parlé de ta deuxième blessure et de résilience, justement, et que tu avais une super anecdote là-dessus ?
Thierry : Ah super anecdote je ne sais pas, mais on revient au début donc j'arrive à Biarritz. Déjà pour jouer c'est assez difficile, pas forcément pour la compétition mais parce qu'effectivement l'opération était assez difficile, assez difficile de récupérer de cette opération-là. Je devais rentrer en octobre, je reprends deux, trois mois après, et je me mets un coup de pied aux fesses et je me dis "vas-y". J'ai des douleurs encore au genou, je courais, mais je boitais plus que je ne courais.
Je vais voir un ostéo, la première fois que je vais voir un ostéo, qui m'enlève des tensions dans le genou. Je ne sais toujours pas ce qu'il m'a fait dans le genou, mais en tout cas, c'était la révélation quant aux soins que tu peux avoir en dehors du club. Je me dis, si ce gars-là m'a aidé, il faut que j'aille chercher cette compétence-là aussi quand je n'ai pas tout ce qu'il me faut au club.
Je finis la saison comme l'un des joueurs qui est le plus utilisé, parce qu'avec les roulements et le fait que beaucoup de mes coéquipiers allaient en équipe de France, j'avais beaucoup de temps de jeu. Je suis sélectionné pour la tournée en Afrique du Sud de 2005. On joue la demi-finale contre Bourgoin. Le soir, on rentre à la maison, le lendemain de la finale, la veille du départ à Paris, je vais manger des fruits de mer, intoxication alimentaire, je perds 7 kilos dans la semaine, je rate la finale.
Dans les vestiaires, Bernard Laporte vient me voir et me dit "Écoute Thierry, tu comprends bien, on va jouer contre les Springboks, je ne peux pas t'amener dans cet état, donc tu restes à la maison." La saison 2005-2006 reprend, ça se passe bien. Je suis appelé en tournée de novembre en 2005 avec l'équipe de France, match au Saracens, je me torse la cheville. En 2006, je joue la finale, je fais mes premiers pas en équipe de France, premier match en Roumanie, deuxième match face à l'Afrique du Sud je me blesse, et ma troisième sélection face à la Nouvelle-Zélande, à Lyon, celle que je t'ai racontée, où je me fais virer.
Voilà mes premières années en équipe de France. Donc souvent, on me dit "oui, tu as joué en équipe de France, tu as 80 sélections, tout a été parfait, tu n'as pas été blessé." Je souris parce que cette période-là d'un an et demi où tu te dis "mais j'y arriverai jamais", ça a tourné à un moment donné, ce n'est pas possible, j'ai la poisse, je ne peux pas faire mieux. Bon bah il faut y retourner, allez on y retourne.
Et ça, tu vois, c'est encore une grande leçon de vie pour moi parce qu'aujourd'hui dans ce que je fais, c'est un peu la jungle, c'est très compliqué, faut convaincre, tu prends beaucoup de portes. Tu vois bien que quand tu as la conviction et que tu prends les bonnes informations aussi qui nourrissent ton projet, tu réussis à avancer.
Jean-Charles : C'est le niveau de résilience en effet qui est là, parce qu'il y avait plein d'opportunités d'abandonner, ou de se dire, j'ai des signes qui ne veulent pas que je sois à un meilleur niveau.
Thierry : Oui, oui, oui. Je pense que ce qui m'a permis d'avancer aussi, c'est le contexte dans lequel j'étais, c'est un contexte hyper compétitif aussi, avec des joueurs qui étaient en équipe nationale, qui étaient bons aussi. Je me disais, je suis à leur niveau, donc on ne lâche pas.
La blessure, en plus, ce n'est pas des blessures, ce n'est pas des déchirures. Tu peux dire, oui, c'est mon hygiène de vie qui ne fait que... C'était vraiment à chaque fois du frontal, du choc, des choses que je ne pouvais pas éviter. Je regarde à droite, à gauche, les gars ils me rentrent dans le genou droit, je ne peux pas éviter ça, ce n'était pas une question de préparation.
Donc je me suis raccroché à plein de petites choses comme ça qui m'ont permis finalement d'arriver en équipe de France en 2007 à la Coupe du Monde pour laquelle je n'étais pas appelé initialement. Donc franchement quand je suis arrivé en équipe de France j'étais la cinquième roue du carrosse. Je n'avais vraiment pas de pression. C'était vraiment cool quand j'ai joué les premiers matchs, c'était top.
Jean-Charles : Et ça t'a libéré en fait ?
Thierry : Oui, ça m'a libéré parce qu'à la différence de beaucoup de mes coéquipiers et concurrents qui savaient qu'ils jouaient quelque chose d'important pour eux, mon sujet c'était de dire que je verrais les matchs plus près qu'à la télé et je n'ai rien à perdre. Je rigolais parce que je prenais tout avec beaucoup de plaisir.
J'étais libéré de ce poids que tu peux avoir sur les premières semaines d'équipe nationale quand tu joues une Coupe du Monde. Il y a un premier groupe qui est nommé, ensuite il y a une sélection qui est réalisée. Il y en a 4-5 qui partent. Moi je suis libéré de tout ça, et c'est vrai que ça m'a aidé à appréhender cette Coupe du Monde-là de façon très positive, même si elle a mal commencé pour nous, et qu'elle s'est mal terminée. Et ça m'a permis d'avoir des performances aussi intéressantes.
Jean-Charles : Tu m'as parlé de pas mal de moments où il y a eu des blessures, ces fruits de mer. Quel a été un peu le moment le plus haut de ta carrière aussi ? Et est-ce que tu as gardé les pieds sur terre après ça ou comment tu l'as fait ?
Thierry : Je ne pense pas être quelqu'un qui s'emballe beaucoup. J'ai toujours essayé de prendre de la distance vis-à-vis des compliments qu'on me faisait. Alors tu vois, là, c'est vrai, je me dis que j'aurais dû aussi aller voir quelqu'un qui m'aide, parce que je donnais toujours plus de valeur aux commentaires négatifs qu'aux commentaires positifs. Donc imagine, des fois j'avais la tête assez pleine de choses négatives.
Mais j'étais vacciné parce que quand à 22 ans, je me blesse, c'est une période assez ascendante. Donc, comme je suis jeune, tout se passe très bien. Et je me suis rendu compte que du jour au lendemain, tu disparaissais de l'écran médiatique. Mais aussi l’attitude des gens avec toi était différente. Et je me dis, ce n'est pas sincère quelque part, donc il ne faut pas donner de la valeur à ces commentaires-là.
D'autant plus que c'est très facile de se laisser emporter. Comment je l'ai géré ? Je pense que j'ai été sauvé par mon caractère aussi, parce qu'après 2007, après 2011, j'ai été énormément sollicité en dehors du rugby : émissions, shows télé, des choses comme ça. Et comme moi, je n'ai pas forcément cet attrait-là, je n'ai pas besoin de sortir du groupe. Je suis très bien dans la masse, je n'ai pas besoin d'avoir les projecteurs sur moi. Ça m'a aidé à la fois à ce moment-là, mais aussi quand j'ai arrêté. C'est assez cool.
Jean-Charles : Tu n'as pas eu la dépression post-carrière ?
Thierry : Je l'ai eue, mais pas pour ces raisons. Je n'ai pas... Alors... Sur ce point-là, je n'ai pas eu la dépression post-carrière, j'ai eu la dépression pendant. C'est une anecdote marrante parce qu'il y a 2-3 ans, je parlais avec ma femme et je lui dis, "tu vois, finalement, j'en suis plutôt bien sorti de cette période-là qu'on sait tous assez difficile. Je n'ai pas eu de phase de dépression."
Elle me regarde et me dit "mais tu rigoles ou quoi ?" Je lui dis "mais quoi, je n'ai pas fait de dépression après." "Ah non, non, tu n'en as pas fait après, mais pendant, oui." Elle m'expliquait que pendant mes deux dernières années, j'étais en dépression complète parce que ça ne se passait pas bien en club. Le sac à dos de capitaine était vraiment lourd. Et surtout, je savais que j'allais arrêter. J'avais plus ou moins prévu la date, mais je n'avais pas d'après. Et je voyais l'inconnu, le vide, s'approcher, m'approcher de la falaise, du bord de la falaise. Et j'étais apparemment assez insupportable pendant deux ans.
Jean-Charles : Heureusement qu'elle est là.
Thierry : C'est bien de prendre de l'input extérieur pour te recentrer aussi.
Jean-Charles : De temps en temps, ça fait beaucoup de bien.
Jean-Charles : Et ça, comment t'en es sorti ? C'est par rentrer dans l'action de l'après ? Est-ce qu'il y a eu un déclic à un moment qui t'a permis de sortir un peu de ce tunnel négatif ?
Thierry : Je pense que ce qui m'a vraiment aidé, c'est qu'il y a plusieurs choses. Je pense que j'étais prêt pour ça. Je n'en avais pas conscience. J'étais prêt parce que c'est un moment auquel j'ai pensé dès le début de ma carrière en réalité. J'ai fait le choix de poursuivre mes études. Pendant toute ma carrière, je posais des questions, je m'intéressais à ce qui pouvait se faire après. Les anciens, je leur demandais beaucoup ce qu'ils avaient prévu.
J'ai toujours été plus intéressé presque par cela - ça répondait peut-être à une angoisse, une espèce d'anxiété - que par le fait de battre tous les records sportifs. Parce que le rugby, ça n'a jamais été une finalité pour moi. J'ai toujours considéré ça comme une étape. Alors, savoir comment cette étape, j'agirais au mieux pour en faire le meilleur outil pour l'après.
Et réellement, le fait d'être toujours alerte vis-à-vis de l'après, de ce qui se faisait, d'essayer d'être connecté avec la vraie vie, le fait d'avoir commencé à investir dans des sociétés en 2008, j'étais en plein dans ma carrière, ça m'a permis de garder ce lien-là.
Et dans mes situations, avec All My SMS, quand j'ai arrêté ma carrière, déjà un, j'ai monté une autre boîte d'import-export, et j'ai de suite enchaîné. J'ai pris le parti de dire, on casse le rythme traditionnel qui est de dire, après ton dernier match, tu pars en vacances. Parce que quand tu vas revenir des vacances, si tu es sur le même tempo des années précédentes, tu vas vouloir aller au stade. Et là, il va y avoir un petit problème.
Donc j'ai de suite travaillé. J'ai commencé à me former. Et c'est comme ça. J'ai passé ce moment-là, d'autant plus que tous les doutes que je pouvais avoir, je les avais eus avant. Donc je pense que c'est sur le long terme que je me suis préparé.
Jean-Charles : Merci de ce partage. Est-ce que tu avais créé des... Tu m'as dit qu'il y avait beaucoup de challenges, beaucoup de stress parfois. Est-ce que tu t'étais créé des routines, que ce soit de respiration ? C'était quoi ? Est-ce que tu peux nous les partager ?
Thierry : Ma routine, c'était surtout dans la préparation d'avant-match. On était dans le vestiaire. Le rugby, c'est évidemment un sport de contact. Il faut être prêt mentalement, comme je disais tout à l'heure, à avoir mal, à faire mal. Donc chacun trouve des moyens, des artifices pour faire monter l'agressivité, donc parler fort, se mettre quelques impacts.
Et moi j'étais un peu toujours le maître zen dans mon coin, j'avais besoin de visualiser. J'étais sur des exercices de respiration et j'essayais de visualiser à chaque fois mes premiers impacts. Mes premiers impacts devaient être, il fallait que je les voie de façon naturelle et positive et je savais que c'était déjà un premier signal qui me disait que j'étais dans un bon mood.
Ça me vient peut-être du judo mais je n'avais pas besoin de m'exciter pour être agressif. J'avais surtout besoin d'être calme, lucide parce que ce qui m'était demandé avec mon poste, avec mes spécificités, c'était quelque part de faire le plus de dégâts possible dans les attaques adverses, en étant le plus propre pour mon équipe. Donc c'est là où j'étais vraiment efficace. Et pour ça, je ne pouvais pas être surexcité, il fallait que je fasse le bon geste au bon moment.
Donc ça, c'était ma première étape de la préparation. Et ensuite, j'aimais aller dans les douches. Face à un angle, je trouvais un angle. Et face à cet angle-là, je montais en pression, je faisais des routines d'échauffement, j’échauffais mes épaules, les genoux, enfin des choses comme ça et je montais petit à petit en pression. Depuis mes premières années de rugby à 16 ans à Trélissac jusqu'à mes derniers moments au Stade Toulousain en passant par l'équipe de France, j'ai toujours gardé cette routine et ce n'est pas de la superstition, c'est juste que faire toujours la même chose, pour moi, ça me permettait de savoir : "Là, t'es bien, là t'es pas bien, là il faut que t'accélères, là il faut que tu te calmes, c'est qu'un match, je relativise." Et une fois que j'avais réalisé ce moment-là pour moi, j'étais disponible pour l'équipe
Jean-Charles : J'adore cette répétition de la routine. Est-ce que tu peux nous partager quel type de respiration tu faisais et quel est l'exercice ?
Thierry : Non, vous savez, après, je ne suis pas un maître yoga. Non, mais j'aimais bien me tenir de façon droite, fermer les yeux. Contrôler ma respiration, voire abaisser mon rythme cardiaque, mais toujours en visualisant des choses qui me détendaient, même des moments que j'imaginais durs.
Par exemple, il y a quelque chose que je faisais souvent, c'est que j'imaginais le joueur qui me semblait le plus difficile à plaquer, parce que la semaine, j'avais étudié les vidéos, et j'avais besoin de voir quelque chose, une action positive vis-à-vis de ce joueur-là, un plaquage positif par exemple.
Tu vois par exemple, un truc curieux, donc d'autres personnes pourront l'expliquer peut-être. Quand ça ne venait pas naturellement, quand je forçais les choses, ou quand ma première image qui me venait était négative, je subissais. Tu peux être sûr que mon premier impact, je subissais. Je le ratais. Ça s'est passé tellement de fois, j'imagine qu'il y a une règle et qu'il y a une relation que je ne saurais pas expliquer parce que je n'ai pas lu ou justement je ne me suis pas rapproché de personnes qui pouvaient me l'expliquer, mais mentalement le fait de me configurer ou d'être configuré avant de rentrer sur le terrain jouait énormément pour moi dans quelle intention j'allais jouer sur le terrain.
Jean-Charles : Il y a un peu de recherche, ce serait intéressant de lire la recherche, peut-être qu’on regardera ça.
Thierry : Après, tu peux le... Parfois, je le constate aussi dans la vie de tous les jours. Quand tu abordes une problématique avec un esprit positif, en général, même si tu n'arrives pas à 100% de tes objectifs, tu retiens quelque chose de bien. Alors qu'à l'inverse, c'est beaucoup plus difficile.
Jean-Charles : La puissance de l'optimisme, je suis d'accord. En tant qu'entrepreneur, est imbattable. Quand tu es cynique ou pessimiste, en fait... Une voie à l'échec.
Thierry : Et moi, tu vois, je le dis de toute façon facilement que mon épouse me soucie. Je lui ai dit, "ouais, t'es un pessimiste." "Non, je ne suis pas pessimiste, je suis un réaliste." Ils n'aiment pas ça. Autant je suis conscient de ça, mais j'aime bien avoir... Je n'aime pas mettre les choses sous le tapis. J'aime considérer les choses comme elles sont. Et une fois qu'on a toutes les difficultés et les propositions, là, on se met en action.
Jean-Charles : Chez Alan, on a défini cette valeur qui est l'optimisme méthodique. C'est-à-dire que tu dois être optimiste sur ta capacité à changer, à avoir un impact positif sur ce que tu fais. Mais tu es méthodique, c'est-à-dire en effet tu ne caches pas la réalité telle qu'elle est. Mais j'aime bien, j'aime beaucoup ça.
Jean-Charles : Tu parlais beaucoup de la douleur et que tu avais de la douleur en permanence. J'imagine qu'il y a un combo qui est presque paradoxal où il faut savoir l'écouter. Parce que si tu la nies complètement, c'est là où tu peux avoir des blessures graves, et à la fois il faut la dépasser. Comment tu réfléchissais à ça et est-ce que tu avais des techniques ?
Thierry : Je n'étais pas un très bon élève là-dessus parce que j'étais conscient mais je ne m'écoutais pas forcément. Et j'allais en limite. Et à ma part, je me rappelle, j'ai arrêté à la mi-temps parce qu'à la mi-temps, j'ai les larmes qui coulent. Ça faisait un an, un an et demi, deux ans, que j'avais mal à l'épaule, que je ne trouvais pas de solution. Je n'arrivais pas forcément à dormir sur cette épaule-là. J'avais une espèce d'atrophie musculaire qui commençait à apparaître. Et je l'utilisais toujours quand même.
Et ce jour-là, c'est vrai que j'ai, à grande surprise de mes entraîneurs, ils m'ont dit "mais qu'est-ce qu'il fait ?" J'ai craqué un peu, quoi. Et je me rappelle, là, ils m'ont mis au frigo pendant un mois, un mois et demi, et j'ai pu me soigner correctement, prendre le temps de faire le bon diagnostic, parce que jusque-là, je ne laissais pas, je me plaignais, mais de temps en temps, tu vois.
Aussi, il y a ce sujet-là aussi, c'est... Il faut aller demander de l'aide. Donc il y a toujours cet équilibre entre vraiment faire les choses de façon responsable, être conscient que son corps c'est son outil de travail aussi et que c'est important de ne pas faire n'importe quoi. Et ne pas se plaindre tous les quatre matins parce que si chaque fois que tu as mal au doigt, tu ne t'entraînes pas, ça va être compliqué
Jean-Charles : Ne pas t'entraîner souvent…
Thierry : Surtout au rugby. C'est toujours cet équilibre à avoir, ce bon équilibre. Et pour le coup, les gens que tu peux avoir à côté, c'est bien parce qu'ils peuvent te sortir de ton quotidien. Enfin, du tunnel dans lequel tu te mets tout seul et te dire, "attends, stop, là, il faut que tu prennes des bonnes décisions, réveille-toi."
Jean-Charles : Ton corps, c'est ton outil. Tu as dit à un moment, j'ai commencé à réfléchir à la diététique aussi. Quels sont un peu tes guides que tu pourrais partager sur la nutrition et la diététique ?
Thierry : La nutrition et la diététique, je pense que tu n'as pas choisi la même personne. Non, mais je faisais attention, mais je n'étais pas un... Je n'étais pas un gars comme Pato Albacete, qui est un ami à moi, avec qui j'ai joué 10 ans à Toulouse. On a passé énormément de temps ensemble, on était en chambre ensemble. Moi, je l'appelais le triste, parce qu'on allait manger, c'était une rigueur dans la diététique que je ne pouvais pas suivre.
Mais moi, j'aime manger, j'ai besoin de me faire plaisir. Et donc le conseil que j'ai, moi lui il vous dira, il faut être sérieux du A à Z. Et moi j'avais besoin d'avoir de l'équilibre en réalité. De l'équilibre dans la nourriture mais aussi dans tous les aspects de ma vie. Alors que je faisais tellement d'efforts, déjà au ne faire plaisir, je faisais plaisir.
En revanche je ne pouvais pas faire n'importe quoi parce que ma performance en dépendait. Donc la diététique c'est pas beaucoup de protéines, protéines animales ou protéines végétales, faire attention aussi aux féculents, en reprendre mais pas tous les jours non plus. Donc ces choses-là, faire attention au sucre, la façon dont on les prend, les moments auxquels on le prend. Donc c'est plus ces leçons-là que j'en ai tirées qu'autre chose. Mais quand je vois des fois mon ventre, je me dis que j'aurais dû revoir mes cours.
Jean-Charles : Mais je suis d'accord, la tension entre faire les choses qui sont bonnes pour toi, mais maintenir de la joie de vivre, qui est aussi très bonne pour toi, je trouve que c'est un des gros enjeux de la santé, du bien-être en tout cas.
Thierry : Oui, et puis si on en ramène au sport et à la performance, et si à chaque fois... C'est comme au boulot, tu n'aimes pas ton boulot, tu n'aimes pas tes collègues, tu ne peux pas durer. Non seulement tu ne vas pas être performant, mais surtout tu ne peux pas t'épanouir et durer. Je pense que pour s'épanouir, je pense beaucoup à cette notion, pour moi c'est l'équilibre.
Jean-Charles : Trouver sa zone et sa zone d'équilibre.
Jean-Charles : Et tu parlais de ces équilibres, c'est beaucoup d'efforts, la compétition et le sport professionnel. Comment tu réfléchissais à la notion de repos aussi et à l'alternance entre les deux ?
Thierry : Après, je vois une époque où on était quand même très sollicités. Dans la semaine, j'aimais bien, sur ma journée de repos, j'aimais bien déconnecter, faire autre chose, m'intéresser à d'autres choses. Je pense que dans le sport professionnel, notamment le rugby, ceux qui ont la volonté de faire un double projet, non seulement c'est bien pour la suite, mais c'est bien aussi intellectuellement et ça leur permet de relativiser pas mal.
Donc je pense que c'est pas mal. C'est-à-dire qu'effectivement ça peut paraître être une charge supplémentaire, en réalité c'est une respiration à leur cerveau en réalité, et ils pensent à d'autres choses. Donc je pense que ça c'est assez important. Et sur la partie mentale, qui est pour moi essentielle, c'est plus important.
Sur la partie physique, j'aimais bien après les matchs, passer au club, j'étais dans un club, sur la fin en tout cas, il y avait des structures assez importantes, donc on avait des bains froids, jacuzzi, sauna, bref un spa pour nous quoi et j'aimais bien y aller pour pouvoir passer à autre chose. Et puis ça faisait partie du rituel, ça fermait une étape, une semaine, pour permettre de rebasculer sur autre chose. Donc cette récupération-là j'aimais bien.
Jean-Charles : Quel que soit le résultat, tu avais cette routine et comme ça, ça vous permettait d'avancer aussi.
Thierry : Oui, parce que le résultat, il est important, mais il est à prendre dans une masse de résultats. Donc, si tu restes concentré que sur une victoire, un objectif, ce qui est important, une fois que c'est passé, c'est plus ce que tu as fait, c'est ce qui arrive. Donc, il faut basculer, il faut en tirer les meilleures leçons possibles, mais surtout il faut te projeter rapidement parce que t'as des échéances qui arrivent.
Jean-Charles : C'est Benjamin Kayser qui m'a donné, enfin qui nous a partagé chez Alan une règle, maintenant que je répète très souvent, qui est la règle des 24 heures. Pendant 24 heures, t'as le droit de ruminer ou de célébrer. Et à 24 heures pile, tu passes à la suite.
Thierry : Ouais, c'est bien qu'il ait réussi à le timer comme ça, mais oui, c'est la philosophie parce que t'as pas le temps. C'est-à-dire qu'on est dans un monde qui est dynamique, que ce soit dans l'entreprise ou dans le sport de haut niveau, tu ne peux pas demander à quelqu'un de passer à la seconde. Un, c'est pas faisable, et deux, ça veut dire que la personne n'est pas engagée dans ce qui est fait.
C'est normal qu'il y ait de la déception, de la joie, il faut laisser un temps pour les deux et mettre entre guillemets la fête. Mais très vite, il faut se reconcentrer. Et même au terme d'une saison ou d'un résultat important, à partir du moment où tu continues à être dans la compétition et dans la course, il faut savoir que les autres continuent à travailler et à avancer. Donc il n'y a pas d'alternative. C'est sans fin, quelque part.
Jean-Charles : C'est la théorie de la Reine Rouge. Tu cours sans cesse parce que le monde bouge autour de toi.
Thierry : Mais c'est exactement... Je ne la connaissais pas, mais c'est exactement cela. Et c'est pour ça qu'on revient à la notion de plaisir sur le long terme. Tu ne vas que dans la contrainte tout le temps. Parce que c'est quelque part un moment où tu craques, tu casses physiquement ou mentalement.
Jean-Charles : Tu nous parlais tout à l'heure d'avoir pu aller chercher du soin en dehors du club aussi. À quoi elle ressemblait ton équipe médicale, à la fois dans le club ou dans l'équipe de France, et à l'extérieur ? Comment as-tu essayé de construire ça autour de toi ?
Thierry : On était plutôt, dans le club, il y avait 2-3 médecins, il y avait 4 kinés. Dans l'équipe de France, il y avait un médecin en général et 2-3 kinés. Je crois que les staffs ont augmenté aujourd'hui. On était dans une notion collective. Et je pense que des fois, t'aimes bien avoir quelqu'un qui s'occupe rien que de toi, surtout dans ces notions-là de prépa physique ou de récupération.
Et moi, j'avais une ostéo à Toulouse, qui pendant dix ans, j'allais la voir toutes les semaines. Et tu te rends compte que parfois, l'ostéo, même souvent, c'est pas ton corps qui soigne. Donc tu parles, tu arrives à te libérer en dehors du club. Et même dans le club, souvent, il y a beaucoup de choses qui se disent sur la table de massage. Je ne sais pas si c'est parce que ton corps se relâche. Mais les kinés, en réalité, sont de grands psychologues.
En réalité, ils te permettent de te libérer, en fonction de ton affinité avec eux, tu dis beaucoup de choses. Et ils permettent de faire passer aussi des messages que tu n'arrives peut-être pas à faire passer à tes entraîneurs. Donc ça fait kiné, doc et… Certains utilisent cette voie-là, mais c'est vrai que tu passes beaucoup de temps avec les kinés. Beaucoup, beaucoup de temps. Donc déjà, il faut que tu t'entendes. Donc c'est bien de bien s'entendre. Moi, il y a beaucoup de kinés avec qui je suis resté ami. J'ai créé des liens d'amitié avec qui je suis toujours en contact.
Parce que je parlais tout à l'heure quand la lumière s'éteint ou la lumière est beaucoup moins importante et que tu es dans l'ombre, que tu travailles, que tu souffles, tu t'entraînes beaucoup plus quand tu es blessé que quand tu joues. Il y a des personnes qui sont toujours là, sur le dîner, préparateurs physiques, qui t'accompagnent, parce qu'ils te permettent d'appréhender ta blessure, mais aussi surtout de ne pas perdre confiance en toi, en te disant "non mais tu vas revenir, c'est possible, on s'était fixé telle date, t'inquiète pas, tu vas arriver si tu n'y arrives pas, c'est pas grave."
Il y a plein de petites choses quand t'es blessé qui peuvent te faire basculer. Est-ce que je vais revenir ? Comment est-ce que je vais revenir ? Est-ce que je ne vais pas laisser passer le train ? Et là t'as des gars qui sont avec toi tout le temps et qui te permettent de ne pas perdre pied. Se construire ce support autour de soi c'est très important et encore une fois le regret que j'ai c'est de ne pas avoir enrichi cette équipe-là de quelqu'un qui m'aide au niveau mental.
Jean-Charles : Là maintenant dans l'après carrière professionnelle comment tu continues le sport, l'effort physique comment t'arrives à, tu vois ?
Thierry : Jean-Charles, tu ne voudrais pas m'envoyer un message ?
Jean-Charles : Non, non, je n'oserais pas. Oui, j'ai un petit texto de ta femme qui m'a...
Thierry : Elle est capable. Alors, je fais beaucoup... Tu sais quoi ? Quand je suis chez moi, je fais beaucoup de sport, quasiment tous les jours. Parce que j'aime ça. Je déteste courir, donc j'ai dû trouver d'autres choses à faire.
Quand j'ai arrêté le sport et que je me suis lancé dans l'entrepreneuriat, bossé, il s'est passé un truc très bizarre où je me suis dit "on va faire les choses aussi sérieusement que quand tu étais athlète." Donc tu penses, tu es focus sur la boîte. Ton rôle dans l'équipe, la nouvelle équipe, c'est aller chercher du client. Il n'y a quasiment pas d'horaire, tu fonces. Bien, vision, c'était très bourrin. Et je considérais le sport comme du loisir. Pas de place pour le loisir, donc je ne faisais plus de sport.
Et un jour, je ne sais plus, j'ai dit, bon, allez, je vais me faire un petit entraînement. Et la sensation que j'ai ressentie après la séance, j'ai dit, "mais attends, mais ça, c'est mon état normal. C'est comme ça que je suis bien. Comment je ne vais pas pouvoir faire de sport ? C'est interdit."
Chaque fois que je suis chez moi, ou que j'ai des infrastructures, tu vois, dans mon planning, j'ai des créneaux horaires par lesquels c'est comme une réunion de travail en réalité. C'est-à-dire que je fais ma séance, je m'entraîne, je vais faire, je ne sais pas, je vais lui parler. Maintenant, je me suis mis au paddle, donc c'est la mode. Je vais faire mon paddle.
Donc toute la semaine, je fais quelque chose tous les jours. Pourquoi ? Parce que c'est mon équilibre et c'est aussi important qu'une réunion. Donc quand je mets des réunions, il y a des horaires auxquels je dis non, je ne peux pas. Je ne m'excuse pas forcément, mais c'est juste que je ne peux pas. Et depuis que je fais ça, je me sens beaucoup mieux, j'appréhende des choses de façon beaucoup plus positive et je prends du poids un peu moins vite.
Jean-Charles : Et on en revient à la notion d'équilibre que tu mentionnais. Comment, pour avoir du plaisir dans un job, il faut trouver... Sa zone physique, de sommeil aussi.
Thierry : Oui, pour pouvoir durer, trouver... C'est exactement ça, trouver le bon combo qui te permet de bien fonctionner le plus longtemps possible.
Jean-Charles : Oui, j'aime bien la notion d'harmonie ou d'intégration. C'est comment tu fais, quand tu es passionné par ce que tu fais et ton métier, mais que fais aussi les autres choses qui te donnent de l'énergie pour que les deux se combinent et soient puissantes.
Thierry : Et quand on parle d'équilibre... La notion que ce soit dans le sport ou dans l'entrepreneuriat qu'on ne met pas forcément en avant, c'est la famille. La place de la conjointe, des enfants. Par exemple... Je n'aurais pas fait ma carrière de sportif de haut niveau si ma femme n'avait pas été avec moi, n'avait pas parlé à certains moments, n'avait pas permis de relativiser pas mal de choses.
Elle n'aurait pas accepté de m'accompagner dans la démarche. Parce que quand tu fais du rugby, tu vis ta passion, tu es concentré à 100% sur ton objectif. Mais tu ne pars pas en vacances comme tout le monde, tu n'as pas le même rythme que tout le monde, tu n'es pas à plaindre, tu vis ta passion, mais il faut que tu aies un binôme qui accepte ce rythme-là aussi. Et je pense que dans l'entrepreneuriat, c'est aussi ça, tu mets beaucoup de choses en jeu et il faut avoir quelqu'un qui dit "je te soutiens" même quand les résultats ne sont pas là et que tu es en plein doute.
Jean-Charles : Même quand c'est dur ou que tu es dur.
Thierry : Quand tu es parfois de mauvaise humeur, tu fais partie de ces personnes-là qui n'arrivent pas à … ?
Jean-Charles : J'ai fait beaucoup de travail là-dessus, pour que ce ne soit plus trop le cas.
Thierry : Moi, j'ai du mal à séparer aussi. J'essaie de ne pas être... Enfin, je m'isole, tu vois. Parfois, les silences sont bruyants.
Jean-Charles : Je vois de quoi tu parles.
Jean-Charles : Est-ce que, justement, avec toute cette pratique d'athlète de haut niveau avant, quel conseil tu pourrais partager ? Pour les gens qui ne sont pas athlètes, mais justement pour trouver cette résilience et ce niveau d'excellence.
Thierry : Je pense qu'il faut... J'aime bien la définition d'objectif. Se mettre un gros objectif bien important à long terme et comprendre aussi qu'il y a... On passe pas de 0 à 100 comme ça et accepter des étapes, construire son projet. Je trouve que c'est bien parce que ça te permet de relativiser ce qui t'arrive au jour J et ça te permet de remettre les choses en perspective toujours et de continuer à avancer parce que tu sais que l'objectif il est là-bas, il est à plusieurs années et à une certaine maturité de ta boîte.
Encore une fois, bien comprendre que c'est quand c'est les choses. Si je ramène les choses au sport, les plus grosses performances auxquelles j'ai participé, ça a toujours été, même dans un match, en le construisant de façon à dire le premier quart d'heure, qu'est-ce qu'on fait ? On fait un premier bilan, ensuite on avance jusqu'à la fin du match. On verra bien parce qu'évidemment, on veut gagner la fin du match, mais on verra bien ce que ce sera.
Mais le plus important, c'est réussir à être dans l'instant et réussir ce qu'on entreprend, cette mini-mission qu'on s'est fixée. Donc je pense que... Se concentrer, réduire un peu le projet à ce qu'on fait et vraiment être dans son projet, ça aide à être résilient.
Quand je te parlais des blessures, quand je sortais de mon côté un peu dépressif en disant "je ne vais jamais y arriver", très vite je me disais "qu'est-ce que je mets en place pour déjà penser à revenir au plus haut niveau." J'ai à avoir un genou fonctionnel, par exemple. Et après, une fois que j'avais le genou fonctionnel, comment je devais revenir à l'athlète ? Et par étapes, avancer dans ça.
Jean-Charles : Séquencer vraiment. Découper ton objectif final en plein de sous-objectifs. Exactement.
Jean-Charles : On va arriver à la fin de notre discussion qui est extraordinairement inspirante. Tu parlais tout à l'heure du regard que la société française peut avoir sur les sportifs. Comment est-ce que tu perçois l'évolution justement du sport dans la société française ? Qu'est-ce que tu aimerais voir comme modification ? Si je te nommais ministre, pas moi, mais si on te nommait ministre des sports, qu'est-ce que tu essaierais de pousser ?
Thierry : Je pense que les jeux auront certainement aidé, mais il ne faut pas que ce soit juste un petit phénomène. Non, mais faire en sorte que le sport et la place du sport soient différents, notamment dans l'éducation, je pense que dans la construction de l'individu, il y a plein de choses à aller chercher dans le sport.
Le sport, c'est un outil qui permet de faire passer beaucoup de valeurs. On en parle beaucoup, mais le sport, ça sert aussi à ça, ça sociabilise. Et c'est quelque part, c'est presque une... C'est la vie, mais sans la même gravité en quelque sorte. C'est-à-dire que tu vas avoir la compétition, tu vas avoir aussi le côté performance, tu vas devoir te sociabiliser, tu vas avoir besoin de comprendre l'autre, trouver une façon de fonctionner avec l'autre, comprendre ses différences, chercher des complémentarités. Ça, c'est ce qu'on fait tous les jours et qu'on ne nous apprend pas en réalité à l'école.
Et peut-être que percevoir le sport sur cet angle-là, ça permettrait de donner peut-être plus d'espace dans les programmes qu'on a aujourd'hui, pas voir seulement le prof de sport comme... Tu vois, si tu regardes Spirou et Fantasio avec la clope et le survet, je pense que j'essaierais d'agir là-dessus.
Et pour les sportifs, trouver encore plus de passerelles, encourager le double projet. Encore une fois, pour les sportifs de haut niveau, quand vous faites du sport, vous n'êtes pas obligés d'être sportif de haut niveau, soyons bien clairs. Parce que souvent, il y a cette crainte, on est en train de dire, "mais moi je ne peux pas." Va courir, va te faire plaisir, prends soin de ta santé aussi. Et pour ceux qui arrivent à être sportifs de haut niveau, je ferais tout pour qu'ils puissent aller au bout d'un double projet. Pour moi, c'est essentiel. Il y a des choses qui sont réalisées, mais il faut aller encore plus loin.
Jean-Charles : Formidable. Je retiens en effet le sport comme une école de la société ou une école de la vie. Merci Thierry pour ta générosité. Tes conseils très précieux, inspirants, ponctués d'anecdotes marrantes. Éviter les fruits de mer ! Non, mais tu nous as vraiment donné des leçons extraordinaires sur la résilience, sur les moments difficiles d'une carrière, sur comment continuer à s'accrocher, réfléchir à ses objectifs long terme, sur l'interconnexion entre le physique, le mental, mais l'importance de trouver du plaisir dans les choses du quotidien.
J'espère que vous, auditeurs, vous avez trouvé autant de leçons extraordinaires tirées du rugby de haut niveau, mais de la connexion aussi avec des projets en parallèle, et business, et ensuite, sur la gestion du stress, la résilience mentale, l'entraînement physique, les hauts et les bas d'une carrière que vous pourrez appliquer dans votre quotidien.
Aussi, le rôle du leadership, du management, de trouver le bon mot pour les personnes qui sont autour de nous, de scanner la salle et du coup avoir de l'intention sur les gens qui nous entourent. Si vous avez trouvé cette conversation utile, j'espère que c'est le cas, parce que moi j'étais passionné de A à Z, n'hésitez pas à la partager avec d'autres personnes qui pourraient en bénéficier. Et assurez-vous de vous abonner au podcast pour ne pas manquer les prochains épisodes. Un immense merci encore, Thierry, pour cette discussion. À très bientôt.
Thierry : À bientôt.