Et si des milliards de micro-organismes vivant dans vos intestins détenaient la clé de votre santé ? Et si votre microbiote pouvait prédire votre réponse à un traitement contre le cancer ? Pouvons-nous vraiment transformer notre santé en nourrissant ces bactéries que nous portons en nous ?
Ces questions ne relèvent plus de la science-fiction. C'est la révolution que nous dévoile le Professeur Joël Doré dans ce nouvel épisode de Healthier Humanity.
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Pionnier de la recherche sur le microbiote intestinal, le Professeur Doré nous dévoile les secrets de ce qu'il appelle "l'organe oublié" - ces 50 000 milliards de micro-organismes avec lesquels nous vivons en symbiose permanente.
Directeur de recherche à l'INRAE et directeur scientifique de Metagenopolis, il a consacré plus de 40 ans à explorer cet écosystème fascinant, à une époque où ce domaine était encore considéré comme exotique. Aujourd'hui, ses travaux révolutionnent notre compréhension des liens entre le microbiote et de nombreuses maladies chroniques, neurodégénératives et neuropsychiatriques. Entrepreneur visionnaire, il a cofondé MaaT Pharma, qui développe des thérapies microbiomiques révolutionnaires pour l'oncologie, et pilote le French Gut, un projet ambitieux visant à cartographier la diversité du microbiome français avec 100 000 échantillons d'ici 2029.
Dans cette conversation fascinante, découvrez :
Cette discussion bouleverse nos idées reçues et prouve qu'en comprenant et en nourrissant notre microbiote, nous pouvons transformer notre santé globale. "On est humain, on est microbien, c'est pas ambigu. On est écosystème et on est symbiose," affirme le Professeur Doré, nous rappelant que notre santé dépend intimement de cette relation symbiotique.
Que vous cherchiez à améliorer votre santé digestive, à prévenir les maladies chroniques, ou simplement à comprendre cet organe méconnu, cet épisode vous donnera les clés concrètes pour optimiser votre microbiote et, par extension, votre santé globale.
Jean-Charles : Et si vous pouviez vivre vieux en pleine forme ? Bienvenue sur Healthier Humanity. Je suis Jean-Charles Samuelian-Werbe, le cofondateur et CEO d'ALAN. Dans ce podcast, j'interview des scientifiques, des médecins, des athlètes pour creuser la longévité. Abonnez-vous à ce podcast si vous voulez reprendre votre santé en main et ne manquez aucun épisode. Aujourd'hui, je suis très heureux. Et j'ai l'immense honneur d'accueillir le professeur Joël Doré, un pionnier de la recherche sur le microbiote intestinal et l'une des figures les plus influentes de ce domaine révolutionnaire. Professeur Doré, merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui.
Joël Doré : Avec plaisir.
Jean-Charles : Alors, pour vous présenter rapidement, vous êtes directeur de recherche à l'INRAE et directeur scientifique de Metagenopolis, unité d'excellence dédiée à la métagénomique. Vous êtes aussi ingénieur agronome, diplômé de l'ENSA Rennes et titulaire d'un doctorat de l'université de l'Illinois. Vous avez consacré plus de 40 ans de votre carrière à explorer ce que vous avez appelé l'organe oublié - on va creuser ce sujet aujourd'hui - qui est notre microbiote intestinal. Dès les années 90, vous aviez l'intuition que ces milliards de micro-organismes qui peuplent nos intestins joueraient un rôle clé dans notre santé à une époque où ce domaine était encore très balbutiant, on peut dire, oui, un peu exotique. Vos travaux pionniers ont révolutionné notre compréhension des liens entre le microbiote intestinal et de nombreuses maladies chroniques, neurodégénératives et neuropsychiatriques.
Mais vous n'êtes pas seulement un chercheur, et ça va être intéressant d'explorer ça, vous êtes aussi un entrepreneur, cofondateur de plusieurs startups innovantes comme MaaT Pharma, qui développe des thérapies microbiomiques révolutionnaires pour l'oncologie avec des résultats assez impressionnants, ou encore GMT Science, spécialisé dans les outils diagnostiques pour l'analyse clinique du microbiome. Et vous pilotez aussi le French Gut, un projet d'envergure nationale qui vise à collecter 100 000 échantillons fécaux avec des données nutritionnelles et cliniques d'ici 2029 pour cartographier la diversité du microbiome français et apprendre énormément là-dessus. Votre impact sur la science est d'ailleurs reconnu de manière unique. Un genre bactérien et une espèce portent votre nom, témoignage rare de votre contribution majeure à ce domaine. Pas tout le monde peut dire ça.
Mais peut-être pour commencer et creuser cette révolution silencieuse et ces trillions de micro-organismes qui vivent en symbiose avec nous, est-ce que vous pouvez nous dire comment vous êtes tombé dedans, dans le microbiote intestinal de la grande ?
Joël Doré : Oui, bien sûr. Alors en fait, j'ai fait ma formation agro, comme vous mentionniez, et puis j'ai fait un stage de fin d'études classique avec un laboratoire INRAE, déjà, en tant qu'étudiant. Et j'ai travaillé à l'époque sur la santé animale en lien avec la santé humaine. Et j'avais un peu comme vocation ou envie de travailler autour de la santé animale de toute façon depuis le début. Donc c'était ma première expérience du monde de la recherche. Et je travaillais sur des bactéries. Donc c'était un petit peu le microbiote au sens pasteurien, plutôt les pathogènes en fait et le microbiote agresseur ou délétère.
Et puis, j'ai pu candidater pour un poste à l'INRAE en tant qu'attaché scientifique contractuel. Et ce poste-là était dédié à l'étude des micro-organismes du rumen, qui est le premier compartiment digestif des animaux ruminants, animaux d'élevage notamment, la vache, le mouton ou la chèvre. Et donc, j'ai travaillé là-dessus et c'est d'une certaine façon tombé dedans en début de carrière. Alors, c'est un peu moins glamour que la potion magique d'Obélix.
Mais malgré tout, c'est incroyablement impactant pour ma carrière, quand je regarde un peu en arrière, au sens où le ruminant dépend à 95% pour son énergie vitale et à 80% pour ses protéines de l'activité microbienne dans le rumen. Et donc il héberge des milliards de micro-organismes qui dégradent l'herbe qu'il mange et qui lui fournissent son énergie et ses protéines, vraiment sa matière vitale en fait. Et donc cette dépendance-là, c'est ce que aujourd'hui j'appelle sans hésitation la symbiose en fait, puisque l'animal offre le gîte et le couvert et les microbes lui offrent tout le reste. Donc c'est vraiment pour moi la première expérience qui a compté beaucoup.
Et puis après j'ai été amené petit à petit à évoluer de la recherche sur les microbiotes intestinaux animaux vers l'humain. On interagissait énormément avec des collègues médecins, et ça a été une ouverture un peu nouvelle et assez fascinante.
Jean-Charles : Et du coup, pour définir tout ça, qu'est-ce que le microbiote intestinal et pourquoi est-il important pour notre santé ?
Joël Doré : Les microbiotes en général, pour l'humain, c'est l'ensemble des micro-organismes avec lesquels on interagit en permanence. Ils sont présents sur la peau. Et au niveau de tous les organes de l'organisme qui sont tournés vers l'extérieur ou ouverts à l'extérieur. Donc c'est la sphère orale et respiratoire. C'est la sphère urogénitale. Et puis la sphère intestinale, bien sûr. Et on a des microbes dans toute la sphère intestinale ou gastro-intestinale, de la bouche jusqu'à l'anus. Et beaucoup dans le gros intestin en fait. Et dans l'intestin grêle un peu aussi. Et donc, quand on parle du microbiote intestinal, on parle vraiment de cet ensemble de micro-organismes qui sont présents dans nos intestins et, point important, qui interagissent en permanence avec nos cellules, avec nos tissus et avec nos organes. Ils ont une contribution fonctionnelle importante et essentiellement bénéfique.
C'est vrai qu'on sort un petit peu de la vision pasteurienne du microbe agresseur et au contraire, on développe beaucoup de travaux qui tendent à montrer comment le microbe peut nous apporter des bénéfices. C'est une contribution à la digestion, notamment des composés de l'alimentation que nous ne sommes pas capables de digérer. Les microbes vont s'en charger. Et puis, c'est une fourniture de vitamines et de tout un tas de petites molécules qui sont bénéfiques pour nos cellules et nos tissus. C'est aussi une protection directe contre les microbes de l'environnement. J'aime bien dire que quand on mange un bout de fromage, c'est 100 milliards de microbes, des bactéries, des levures, des champignons, des moisissures. Aucun de ces micro-organismes ne s'installe dans les intestins grâce à cette fonction de protection. C'est aussi du dialogue avec nos défenses naturelles, nos systèmes immunitaires, et puis avec tous les organes. Aujourd'hui, on parle d'axes, intestin-foie, intestin-peau, intestin-poumon ou intestin-cerveau. Ça veut dire que le microbiote au niveau des intestins parle avec l'ensemble des organes de l'organisme humain.
Jean-Charles : Hyper intéressant. Et un microbe, c'est quoi ?
Joël Doré : Une bactérie, c'est une cellule unique avec, contrairement à nos cellules à nous, un ADN, donc des gènes qui se promènent dans le contenu de la cellule. Il n'y a pas un noyau qui sépare tout ça. Et puis, ça se multiplie, ça se divise à toute vitesse par rapport à l'ensemble des organismes supérieurs qu'on voit. Là, on ne les voit pas, mais par contre, ils se multiplient très vite. On en a 50 000 milliards, en fait, chacun de nous, avec lesquels on interagit en permanence. Et comme ils nous apportent des fonctions essentiellement bénéfiques, par analogie à ce que je décrivais pour le ruminant, on est humain, on est microbien, ce n'est pas ambigu. On est écosystème parce que l'ensemble des différentes parties du corps humain qui héberge des microbes, c'est des écosystèmes différents. Et on est symbiose parce que la relation est un élément clé et positif, bénéfique.
Jean-Charles : Et comment marche cette symbiose justement et quelles sont les interactions ?
Joël Doré : En fait, elle marche de plein de façons différentes, mais la façon simple de l'illustrer, c'est que les microbes au niveau intestinal interagissent avec le reste de l'organisme à travers la paroi intestinale. La paroi intestinale, c'est une monocouche de cellules humaines qui séparent le contenu des intestins et la voie nerveuse et sanguine qu'il y a derrière. Une monocouche, c'est vraiment quelque chose dont l'intégrité est vraiment essentielle pour nous. En fait, ça doit être un petit peu perméable pour laisser passer du signal, mais pas trop. Et si ça l'est trop, ça peut laisser passer carrément des bactéries entières, donc ça peut être vraiment embêtant. Et donc c'est cette interaction avec la paroi intestinale, puis avec le système immunitaire ou la défense naturelle qui sont là pour réagir quand il y a un problème. Donc si effectivement il y a un pathogène, une bactérie ou un virus qui se promène, notre système immunitaire va nous protéger, donc il va réagir contre ça. Et puis si aussi on a des cellules humaines qui commencent à faire n'importe quoi et à se multiplier trop vite, et c'est un début de tumeur ou de cancer, notre système immunitaire est aussi là pour gérer ça. Et le microbiote intestinal lui envoie des signaux qui sont en fait des signaux de vigilance. Si tout va bien, les signaux sont plutôt des signaux d'apaisement. Et si par contre, il y a quelque chose qui passe qui est agresseur, à ce moment-là, les signaux peuvent être des signaux de stimulation de la réaction.
Jean-Charles : Et est-ce qu'on a un microbiote dès la naissance ? Comment il évolue dans le temps ? Comment il s'acquiert ? Est-ce qu'on peut le détruire ?
Joël Doré : Oui, bien sûr. Donc, au moment de la naissance, on rencontre le microbiote ou les microbes pour la première fois de notre début de vie, on va dire. Et c'est une rencontre assez unique parce que ça peut potentiellement conditionner beaucoup de choses de ce qui va se passer après. Puisque le microbiote se développe en même temps que l'on va développer nos défenses naturelles, notre système immunitaire, en même temps que les intestins vont se développer aussi, et dès le début, la relation est vraiment importante. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que comme on a changé beaucoup de choses qui entourent la naissance depuis deux, trois générations, ça peut impacter en fait cette mise en place du microbiote qui s'opère dans les premières années de la vie. Notamment, la naissance par césarienne va faire que le microbiote est un petit peu moins biodiverse au début et puis se construira autour de, enfin rattrapera un petit peu l'équivalent de la naissance par voie basse à deux ans de vie à peu près. Donc c'est vraiment un retard de mise en place du microbiote qui est potentiellement impactant.
Si on prend des antibiotiques dans les périodes précoces de la vie, pareil, ça va altérer le microbiote et la relation va se construire de façon un peu retardée. Donc le moment de la naissance est vraiment clé. Et puis les choses se stabilisent en termes de richesse et diversité autour de l'âge de 5 ans à peu près, où on a un microbiote qui est équivalent en termes de diversité à celui de l'adulte, même s'il a encore un développement progressif. La vision qu'on en a aujourd'hui à travers la recherche, c'est que le microbiote est remarquablement stable quand même au fil du temps pour un individu donné, à tel point qu'on peut, nous, avec nos outils de caractérisation assez pointus, reconnaître un individu sur la base de son microbiote deux ans après, s'il n'y a pas eu de changement alimentaire majeur ou de traitement antibiotique ou de chirurgie à forcerie. Et puis, autour du grand âge, au moment du vieillissement, il y a tellement de choses qui changent au niveau de la biologie générale, de la physiologie, notamment de la physiologie intestinale, que là on a une dérive, des changements du microbiote intestinal qui peuvent s'opérer, qui ont été documentés dans la littérature scientifique, et qui sont d'autant plus marqués que la personne âgée est dépendante, parce que souvent avec la dépendance est associée, par exemple, des choses beaucoup plus rébarbatives en termes de nutrition, et ça joue beaucoup sur le microbiote intestinal. Donc voilà, on a ces données-là, globalement, comme mise en place après la naissance, et puis stabilité pour l'essentiel de la vie, en fait, encore des perturbations avec le grand âge.
Jean-Charles : J'ai quelques questions supplémentaires sur le sujet, c'est vraiment passionnant. Quand il se construit dans ses cinq premières années, il se construit comment par rapport à ce qu'on mange, l'environnement extérieur, à quoi on est exposé ? Je suis ravi de comprendre un peu quels sont les facteurs. Est-ce qu'on en sait ? J'imagine qu'on ne connaît pas tout.
Joël Doré : On peut avoir cette idée que l'inoculum, on va dire, la rencontre première va être impactante. Parce que ce qu'on voit globalement, c'est qu'il y a une sorte de succession de micro-organismes. Donc il y a les premiers colonisateurs qui vont se développer assez rapidement, qui vont même préparer l'écosystème intestinal pour que les autres arrivent ensuite. Par exemple, le microbiote stable de l'adulte, il est ce qu'on appelle anaérobie, il ne tolère pas l'oxygène et le stress oxydant en fait. Et donc ça, ça se construit petit à petit. Et puis petit à petit, l'écosystème se développe et est caractéristique de l'intestin et on voit à ce moment-là apparaître en dominance des bactéries que peut-être on a reçues de notre mère ou des expositions précoces de la vie aux gens qui s'occupent du bébé et puis qui prennent leur place dans la dominance intestinale.
Un point important, quand on compare les microbiotes de beaucoup d'individus, on se rend compte qu'on est tous assez différents. Si on prend une photographie moléculaire, comme on le fait, assez globale. Par contre, on arrive à identifier aujourd'hui des similitudes entre individus, mais qui représentent une toute petite fraction du microbiote intestinal. Quelques espèces seulement sur les 300 espèces que chacun de nous allons porter en dominance dans nos intestins. Il y a au maximum une vingtaine qui sont très conservées dans la population, donc on va retrouver chez 95% des gens. Et celles-là sont probablement clés en termes fonctionnels. Et elles s'installent dans les premiers mois de la vie, souvent on les voit apparaître en dominance avant un an, quand tout va bien.
Jean-Charles : Sur 300 espèces, il n'y en a que 20 qui sont communes entre vous et moi.
Joël Doré : C'est-à-dire conservées, oui, tout à fait.
Jean-Charles : Et le reste est donc dû à l'environnement et à cette symbiose ?
Joël Doré : Alors c'est quand même des autochtones, au sens où ce ne sont pas des espèces qui ont besoin d'être apportées par l'environnement pour être là. Elles sont là, elles se multiplient aussi vite qu'elles sont éliminées, mais un peu moins vite que les dominants, qui sont certainement très bien adaptés, et donc elles ont un niveau de population un peu plus faible. On les détecte bien avec les outils moléculaires qui nous permettent de détecter une bactérie sur un million à peu près, dans les intestins. Donc on voit la dominance, mais pas que, on voit aussi des microbes qui sont un peu moins importants en nombre, en proportion relative, mais qui sont là en permanence.
Et par contre, ce que ça veut dire, c'est que comme il y a une grosse fraction variable dans les 300 espèces, c'est ça qui va donner l'image d'une sorte d'empreinte individuelle. Et c'est pour ça que je disais, on peut reconnaître un individu un an, deux ans après, sur la base de simplement l'analyse de son microbiote, même si on fait ça en aveugle, on arrive à reconnaître les choses. Et par rapport à ça, on pourrait se dire, qu'est-ce qui se passe pour des jumeaux, des vrais jumeaux par exemple ? Il y a une similitude qui est plus importante entre les vrais jumeaux qu'entre les enfants d'une même fratrie mais qui ne sont pas jumeaux, donc qui n'ont pas exactement le même génome. Et en même temps, les vrais jumeaux ont effectivement un génome très proche s'ils sont dizygotes et le même s'ils sont homozygotes. Mais par contre, ils ont aussi la même exposition au moment de la naissance. Donc potentiellement, ça va jouer aussi l'écologie à laquelle ils sont exposés joue dans la mise en place du microbiote.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Et vous mentionnez ça tout à l'heure en disant qu'au bout de deux ans, on reconnaît s'il y a eu un changement d'alimentation très fort ou vous dites oui sur les personnes âgées. Quel est l'impact de l'alimentation sur le microbiote ?
Joël Doré : Alors quand on étudie les différents facteurs qui vont impacter le microbiote, notamment en termes de richesse et diversité et de composition globale, le premier, c'est les médicaments. Le premier, c'est les traitements et beaucoup plus de médicaments que ce qu'on imagine vont avoir un impact sur le microbiote intestinal. Les travaux récents qui étudient la question nous disent que les antibiotiques, évidemment, et tous les antibiotiques, même si leur objectif n'est pas du tout d'altérer le microbiote intestinal, on prend des antibiotiques pour une angine, on va effectivement perturber le microbiote intestinal de façon importante. Et puis les psychotiques, par exemple, tous les médicaments qui ont vocation à gérer des troubles neuropsychiatriques vont avoir un effet sur le microbiote intestinal. Ce qu'on appelle les IPP, les inhibiteurs de pompes à protons, c'est tout ce qui gère les reflux, par exemple, et l'acidité gastrique. Ces molécules vont aussi avoir un effet sur le microbiote intestinal. C'est de mieux en mieux documenté. Et c'est un point important parce que c'est aussi de plus en plus utilisé chez les nouveaux-nés ou chez les tout-petits. Et donc, du coup, on peut se dire, est-ce qu'on n'est pas en train de un peu compliquer les choses à une période où normalement les choses devraient se mettre en place de façon assez naturelle.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Est-ce qu'on peut avoir un bon…
Joël Doré : Ah oui, pardon, je complète. Je disais, le premier impactant sur le microbiote, c'est les médicaments. Et le deuxième, c'est effectivement l'alimentation. Et donc là, la nutrition va jouer beaucoup. En fait, les facteurs majeurs de l'alimentation qui vont jouer, on les connaît assez bien aujourd'hui. C'est d'abord et avant tout la composante fibre. Le végétal et dans le végétal la partie un peu complexe du végétal. Les fibres, c'est la cellulose, la pectine, les hémicelluloses, le xylane, les amidons résistants, qui sont des sources de carbone et d'énergie pour nos microbes. Et donc, quand on mange du végétal, on nourrit notre microbiote intestinal d'abord et avant tout. Et puis, à l'opposé, il y a des choses qui sont plutôt délétères, directement ou indirectement. Comme les additifs dans l'alimentation qui souvent sont développés pour avoir des effets technologiques dans la préparation ou dans la conservation des aliments, mais qui peuvent avoir un effet direct sur la paroi intestinale, dont je parlais tout à l'heure, cette monocouche de cellules humaines avec le mucus qui protège par-dessus et qui peut être solubilisé ou altéré par les additifs. Donc ça, on sait que ça joue.
Et puis, ce qu'on a également, c'est l'excès de protéines animales, par exemple, qui va jouer parce que les microbes intestinaux sont tout à fait capables de dégrader les protéines animales. Alors il faut qu'on en mange beaucoup pour que ce ne soit pas absorbé avant d'arriver au niveau du côlon, du gros intestin. Mais si on en mange effectivement beaucoup, ce qui arrive est pris en charge par les microbes et la dégradation des protéines animales par le microbiote, c'est ce qu'on appelle la putréfaction. C'est une dégradation qui produit des toxines et donc qui peut être cancérigène ou qui peut altérer considérablement la composition du microbiote intestinal. Puis dans l'alimentation, il y a plein de choses qui jouent indirectement. Je disais tout à l'heure, le microbiote interagit avec la paroi intestinale. Tout ce qui va jouer sur l'intégrité de la paroi intestinale va être protecteur vis-à-vis du microbiote. Et c'est par exemple les bonnes graisses, les acides gras oméga-3 de l'alimentation, c'est certains probiotiques, certains microbes vivants qui peuvent effectivement protéger l'écosystème intestinal et donc le microbiote. Et puis, qu'est-ce qu'on peut citer aussi ? C'est les polyphénols. Ce qui donne la couleur au végétal, c'est des composés, des petites molécules qui ont un effet antioxydant et anti-inflammatoire. Et je disais, les microbes dominants, ils n'aiment pas le stress oxydant. Donc si on a des antioxydants dans l'alimentation, ça va être aussi indirectement protecteur.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Et du coup, comment on différencie un bon d'un mauvais microbiote ?
Joël Doré : Alors ça, c'est une question compliquée et récurrente et naturelle. C'est une bonne question. On a envie de dire voilà, le microbiote idéal, c'est ça. Et on a eu des surprises quand on a caractérisé le microbiote avec les nouveaux outils. Je vais en donner deux. La première surprise, c'est que quand on caractérise le microbiote intestinal, on s'attend à trouver au bout du compte sur une population importante le microbiote moyen.
Dans la population, ce n'est pas du tout ce qu'on observe. On observe des écologies microbiennes intestinales qui diffèrent, des groupes dans la population. Donc il y a au moins trois ou quatre écologies différentes dans la population humaine. Les derniers travaux sur des dizaines de milliers d'individus nous disent que c'est sûrement un peu plus compliqué que ça encore. Mais en gros, ça c'était une vraie surprise. On s'attendait à avoir l'individu moyen et puis une distribution homogène autour de cet individu moyen. Eh bien non, ce n'est pas ce qu'on voit du tout. Et même chose pour la richesse ou la biodiversité du microbiote intestinal, on s'est rendu compte qu'on a des microbiotes riches, des microbiotes pauvres, et dans certaines populations, notamment les populations en surpoids ou obèses, on a une vraie distribution bimodale.
Donc il y a une fraction de population à microbiotes pauvres et une fraction à microbiotes riches. Et dans ce cas-là, plus on est dans les stades sévères de l'obésité, plus la fraction à microbiotes pauvres est importante en proportion relative. Ça va jusqu'à 75% des individus à microbiotes pauvres dans l'obésité sévère ou morbide. Et donc, ça veut dire que c'est un paramètre ou un critère indicateur de la sévérité. Et ça, c'était une surprise aussi. On s'attendait aussi à avoir une belle courbe de Gauss autour d'une moyenne. La moyenne est autour de 600 000 gènes bactériens ou microbiens par individu, par microbiote. Mais autour de ça, il y a une variabilité forte et il y a des individus à microbiote pauvre. Et on a pu montrer que c'est ceux qui sont le plus désavantagés par exemple par rapport au risque de maladies chroniques.
Jean-Charles : En parlant de ces maladies chroniques, vous avez découvert des liens assez profonds entre le microbiote et les maladies chroniques. Quelles ont été vos grandes découvertes ?
Joël Doré : On a commencé presque naturellement à travailler sur la sphère intestinale. On a travaillé sur les maladies de Crohn, par exemple, ou rectocolites hémorragiques, qui sont des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. Puis sur le syndrome de l'intestin irritable également. Et en comparant des patients et des individus en bonne santé, on a montré qu'on avait un microbiote altéré avec parfois des signatures. On avait des microbes dominants du microbiote de l'individu en bonne santé qui disparaissaient. Et on a même pu montrer que certains de ces microbes qui tendent à disparaître dans l'inflammation intestinale sont des microbes protecteurs anti-inflammatoires. Il y a même une petite société qui développe ça comme un potentiel médicament pour l'avenir. Et puis, on a ensuite travaillé sur les maladies du foie. De la stéatose jusqu'à la cirrhose, les stades sévères où à un certain stade, il va falloir faire une greffe de foie pour arriver à maintenir le patient en vie. On voit que la sévérité augmente. Plus la sévérité augmente, plus le microbiote est altéré. On a pu mettre en évidence ces altérations-là, même les caractériser au niveau un peu fin en identifiant des signatures. Et puis, on est allé sur le terrain de, je l'évoquais, le syndrome de l'intestin irritable, des troubles fonctionnels de l'intestin, qui sont bien reconnus par la médecine, mais pas faciles à gérer, si bien qu'il y a une fraction importante de population, entre 5 et 10%, en fait, qui consultent pour ça. Et on pense qu'il y a entre 40 et 50% des gens qui ont, à un moment donné de leur parcours de vie, des symptômes intestinaux qui ne sont pas sympas, qui altèrent la qualité de vie, et pour lesquels le microbiote va être en cause, en fait, vraiment. Et puis, récemment, on est allé sur deux terrains un peu nouveaux.
Le terrain de l'axe intestin-cerveau, c'est le microbiote dans les maladies neurologiques, neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer ou la sclérose en plaques, ou neuropsychiatriques comme l'autisme, le syndrome bipolaire, la schizophrénie ou la dépression, notamment la dépression majeure ou résistante. Et c'est les contextes dans lesquels, de la même façon que ce qu'on avait pu faire auparavant, on identifie souvent des altérations du microbiote, d'autant plus qu'on est dans des stades sévères de la maladie. Mais dans le cas de la neurologie, souvent, il y a aussi altération du transit intestinal ou symptômes intestinaux associés. Et donc, on peut penser que c'est un peu lié. Dans tous ces cas-là, on déclare que le microbiote est différent chez le malade par rapport à l'individu sain et on ne fait que du descriptif. Donc, on n'a aucun élément de preuve pour dire qu'il y a un lien causal.
Jean-Charles : C'est ça ma question, c'est la corrélation de la causalité.
Joël Doré : Voilà, du coup, comment on adresse cette question-là, qui est vraiment une vraie question forte, importante pour nous. La façon dont on gère cette question-là, c'est par le transfert de microbiote. Et donc, on fait du transfert de microbiote des malades par rapport au contrôle en mode santé vers des animaux de laboratoire, des animaux qu'on est même capable d'élever sans germes. Donc, on reconstruit une symbiose, en fait, quand on fait ça. Et on essaie de voir si ce transfert reproduit des symptômes analogues à ceux de la maladie.
Et on a pu faire ça, effectivement, dans l'obésité, on a pu faire ça dans le diabète, on a pu faire ça dans les maladies du foie, on a pu faire ça dans la dépression, dans l'autisme et dans la sclérose en plaques, par exemple. Et puis, on va un cran plus loin en faisant du transfert de microbiotes fécales de l'humain vers l'humain. Donc là, dans ce cas-là, à des fins thérapeutiques, où l'objectif, c'est de diminuer les symptômes, voire d'essayer de guérir de la maladie. Et ça a été fait dans un petit peu moins de contexte, mais c'est un domaine qui explose en termes de recherche aujourd'hui, avec une application en clinique.
Mais la recherche a permis de montrer que dans le diabète, par exemple, on peut faire sortir les gens de leurs paramètres du diabète pendant 6 à 8 semaines, simplement par un transfert de microbiote fécal de non diabétique. Par rapport à si on transfère le microbiote de l'individu sur lui-même, on n'a aucun effet. Donc voilà, ça nous renforce cette observation de lien de causalité. Et on a des essais cliniques qui ont montré des effets intéressants dans la rectocolite hémorragique, une maladie inflammatoire chronique de l'intestin, et puis même dans la dépression sévère.
Jean-Charles : J'ai tellement de questions, j'essaie de les prendre dans le bon ordre. Comment on fait un transfert de microbiote ? Qu'est-ce qu'on prend et comment on en fait ?
Joël Doré : Voilà, donc une indication pratique, c'est encore assez récent. Je disais, il y a une indication clinique qui est en place aujourd'hui, c'est-à-dire qu'elle est reconnue par les agences réglementaires pour que la médecine la pratique au quotidien. C'est un transfert de microbiote dans une infection à Clostridioides difficile, une bactérie qui entraîne des colites récidivantes quand elles ne sont pas éliminées tout de suite par les antibiotiques, et donc qui plombe la vie quotidienne des gens pendant des années et des années, et jusque-là, on n'avait que les antibiotiques. Et il y a une publication en 2013 qui nous dit, si j'utilise l'antibiotique de dernier recours, je vais guérir 30% des gens. Si j'utilise le transfert de microbiote fécal, une fois, deux fois si ça ne marche pas la première fois, je vais guérir 90% des gens. Donc du coup, c'est pour ça que ça a été reconnu par les agences réglementaires, qu'il y a même des autorisations de mise sur le marché. Donc il y a deux médicaments disponibles aujourd'hui pour traiter ça. Et c'est traité tous les jours. Pas autant sûrement que ce que ça devrait être aujourd'hui. Mais comment on fait ? On prend le contenu intestinal de donneurs. Ça peut être mono donneur ou ça peut être multi donneur. Et on en fait un médicament de micro biothérapie
Jean-Charles : C'est un prélèvement de ces microbes.
Joël Doré : C'est une selle.
Jean-Charles : Qui est ethniquée directement. Donc ça part de la selle.
Joël Doré : Ça part de la selle. Oui, tout à fait. Alors c'est sur des donneurs qui ont été hyper contrôlés. Donc c'est des gens en très bonne santé. C'est des gens qui n'ont pas d'ascendants avec des maladies chroniques dans leurs parents. Et c'est des gens qui ont un mode de vie également qu'on contrôle et qui est plutôt favorable. Et puis on va tester pour éliminer tout risque un ensemble de pathogènes. Donc plein de bactéries, des virus, des parasites pour être sûr qu'on ne va pas transférer ce risque d'infection, évidemment. Et puis, ensuite, on va conditionner l'échantillon. Donc, on le conditionne de différentes façons. Pour Clostridioides difficile, on est sur un traitement écologique d'une maladie écologique, en fait. Souvent, le Clostridioides difficile, il s'installe chez les patients, à l'hôpital, après un traitement antibiotique qui a perturbé le microbiote intestinal et qui a ouvert des niches écologiques, en fait. Et le pathogène prend le dessus. Et là, quand il est installé, il peut être compliqué à enlever. En fait, on inocule, on apporte un écosystème microbien en bonne santé et ça va déplacer et éliminer le pathogène.
Jean-Charles : Ça prend la forme d'un médicament ?
Joël Doré : Alors ça peut être soit une forme par voie anale, donc une forme de suspension liquide qu'on va mettre avec une sonde anale, soit effectivement maintenant on a des formes encapsulées qui permettent une prise orale avec des capsules qui protègent contre l'acidité de l'estomac, l'exposition aux acides biliaires après le duodénum, et qui vont libérer ce microbiote au bon endroit, exactement. Et là où on va recoloniser effectivement le colon.
Jean-Charles : Et du coup, à quel point ce qu'il y a dans nos selles est représentatif de ce qu'il y a dans notre...
Joël Doré : Dans nos intestins en général. Alors l'estomac non, il y a effectivement un microbiote de l'estomac. Après le duodénum, l'iléon, c'est assez peu colonisé. À la fin de l'iléon, effectivement, l'intestin grêle. Et puis dans le côlon, là on a beaucoup de microbes. On a plus d'un milliard de microbes par millilitre. Et à la fin, c'est plutôt 100 milliards par gramme de contenu intestinal. Dans les selles, c'est autour de 100 milliards par gramme. Et ça représente assez bien, pas très bien, le côlon descendant, donc la partie terminale du gros intestin. Et puis, ce qui est dedans est aussi, mais moins dominant, représentatif du début du gros intestin. Parce qu'au début du gros intestin, on est encore sur un écosystème très liquide et très exposé à l'oxygène, parce que ce qui vient de l'intestin grêle, c'est quand même beaucoup en échange avec la voie sanguine, plus oxydant que ce qui se développe après. Mais par contre, ce qui se multiplie entre le début du côlon et la fin du colon, c'est des bactéries adaptées à l'environnement qu'on regarde dans les selles. Mais on retrouve leurs petits copains d'avant quand même. En termes de population, ils sont moins nombreux, mais ils sont détectables avec les outils qu'on a aujourd'hui.
Jean-Charles : Donc vous, vous mappez principalement des selles au lieu de faire d'autres types de prélèvements ?
Joël Doré : Oui, alors en fait, on pourrait pour certaines pathologies peut-être se donner comme objectif de reconstruire le microbiote de l'intestin grêle. Pour l'instant, à ma connaissance, ce n'est pas du tout l'objectif que l'on se donne. Donc on se donne comme objectif de restaurer l'équilibre du microbiote du côlon, du gros intestin. Et donc à ce moment-là, les selles sont un point de départ qui convient parfaitement. Et on peut le dire, il n'y a pas de standard quand même en termes de pratique. Donc pour la recherche, on voit de tout. Il y a des administrations par voie basse, mais il y a aussi des administrations par voie haute avec une sonde naso-duodénale, donc qui passe dans le nez, qui descend dans l'estomac, qui traverse l'estomac et qui ressort dans le duodénum. Et là, on administre. Ce n'est pas tout à fait l'écosystème normal pour un microbiote fécal, en fait. Donc, il y a ces pratiques-là. C'est les pratiques expérimentales, j'ai envie de dire. Et puis, en gastro-entérologie, le médecin, il fait souvent une observation du tube digestif pour voir s'il n'y a pas d'ulcères, de tumeurs ou des choses indésirables, des polypes ou des diverticules. Et quand il fait ça, il a vidé le contenu intestinal et il peut administrer un peu ce qu'il veut. Et donc, il y a effectivement des administrations qui se font pendant la coloscopie, pendant l'examen coloscopique du gastro-entérologue.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. On parlait aussi de métagénomique. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est ? La photographie moléculaire a impacté la recherche. Comment ça vous fait ?
Joël Doré : Quand j'ai commencé il y a un peu plus d'une quarantaine d'années, la façon d'analyser le microbiote était essentiellement basée sur la culture, donc sur notre aptitude à faire pousser des bactéries, notamment, sur des milieux de culture au laboratoire. Et là, on savait qu'on faisait pousser 20 à 30 % à peu près du microbiote dominant. Donc des 300 espèces dont on parlait tout à l'heure par individu, on avait accès à 30, 40, 50, 60 au mieux. Et on a fait un progrès majeur quand on est allé s'intéresser aux signaux moléculaires, en fait aux gènes des microbes. Et le pas majeur qu'on a fait, c'est quand on a pu caractériser l'ensemble des gènes, des microbes d'un contenu intestinal humain. Et donc ça passe par des technologies de séquençage massif et les outils d'analyse de données actuels sont complètement appropriés pour faire ça. Donc on génère pour chaque échantillon qu'on analyse, l'équivalent de ce qui nous permet de détecter 20 millions de gènes différents de façon assez courante. Dans le projet Le French Gut, c'est ce qu'on fait au quotidien sur des milliers d'échantillons. Et donc ça nous donne une vision très très profonde de l'écosystème, non seulement en termes de présence, donc répondre à la question qui est là, en termes d'espèces bactériennes par exemple, mais aussi en termes de fonctions potentielles, puisqu'on voit tous les gènes, donc les gènes c'est ce qui code les protéines et donc les fonctions, on a aussi cette vision de comment va potentiellement fonctionner l'écosystème microbien de chaque individu qu'on caractérise par métagénomique. Méta faisant référence à ce n'est pas un organisme, ce n'est pas un génome, c'est un paquet de génomes pris ensemble en fait.
Jean-Charles : Et alors ? Un sujet qui m'intéresse aussi, c'est de comprendre comment on teste un peu l'interaction, justement, entre ces microbiotes et des éléments perturbateurs. Ou vous créez du coup une sorte d'environnement de test et vous allez introduire ça dans des animaux et voir les impacts ?
Joël Doré : Alors on peut l'étudier sur les animaux, on peut l'étudier même in vitro, on dit, donc dans des vaisseaux, des fermenteurs par exemple. Mais ce qui est le plus pertinent pour nous, c'est de l'étudier chez l'humain. Et donc par exemple, quand on veut savoir comment la richesse en fibres d'un aliment donné va impacter le microbiote intestinal, on travaille avec des centres de recherche en nutrition humaine qui sont assez proches d'INRAE et qui nous permettent d'accéder à des volontaires qui vont, pendant une période fixée, avoir un régime alimentaire contrôlé ou prendre un complément ou un aliment particulier pendant une période donnée. Et on va pouvoir caractériser le microbiote avant, pendant, après, et voir quel est l'impact sur le microbiote. Si on s'intéresse directement à l'effet d'un médicament, on n'a pas besoin de passer par l'humain ou par l'animal. On peut directement aller voir ce qui se passe dans un tube à essai ou un fermenteur. Donc ça dépend vraiment des questions scientifiques qu'on pose.
Jean-Charles : Excellent. Et tout à l'heure, on parlait du syndrome de l'intestin irritable, dont vous parliez de la prévalence en population de manière assez impressionnante. Qu'est-ce que, avec tout le savoir que vous avez construit sur le microbiote, qu'est-ce que vous conseillez à des individus qui sont touchés par ça, en termes de changement de pratique ou d'alimentation ?
Joël Doré : Oui. Ce que je disais, c'est qu'on a entre 5 et 10% des gens qui vont consulter pour des symptômes intestinaux. Ça peut être des symptômes liés au transit, donc un transit accéléré avec souvent de la diarrhée ou au contraire ralenti avec souvent de la constipation. Quelquefois, c'est de l'alternance entre les deux et quelquefois, c'est des ballonnements et souvent associés à la douleur. On définit vraiment le syndrome de l'intestin irritable quand il y a douleur associée aux symptômes fréquents. Et il y a une fraction importante de la population qui a une qualité de vie qui est impactée par des symptômes intestinaux mais qui à aucun moment va considérer que ça justifie d'aller voir un spécialiste en fait et c'est potentiellement 40 à 50 % de la population. Et donc qu'est-ce qu'on va leur dire en fait ? Ces gens-là consultent pas donc souvent ils n'ont pas beaucoup de conseils.
Quelquefois ils explorent sur internet ce qui est raconté là-dessus. Ce qui est important pour moi, c'est quand même d'avoir l'avis d'un spécialiste parce que ça peut être lié à des choses sous-jacentes qui sont liées à une prédisposition génétique, familiale, des choses comme ça. Donc c'est vraiment des choses qu'il faut déterminer. Et puis ça peut être aussi des choses qui sont en train d'évoluer vers des stades plus sévères et qu'on pourrait peut-être empêcher d'évoluer, prévenir. Et donc dans ce cas-là, pour moi le recours c'est voir un spécialiste et puis aussi gérer les paramètres clés qu'on a évoqués déjà, qui sont le microbiote intestinal, qui sont la perméabilité intestinale, notre monocouche de cellules humaines qui séparent le contenu des intestins de la voie sanguine, qui sont l'inflammation et qui sont le stress oxydant.
Souvent aujourd'hui, la médecine gère les symptômes et de façon un peu mécanique, le symptôme qui est mesuré couramment, c'est l'inflammation. Et donc c'est le seul symptôme qui va être complètement pris en charge quand il est là. Ça veut dire qu'on va mettre des anti-inflammatoires, on va mettre des immunosuppresseurs si vraiment c'est fort. Et si ça ne marche pas, on va mettre des corticoïdes. Et aujourd'hui, quand rien ne marche, on enlève des morceaux en fait. Donc dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, on a des cas où c'est tellement inflammé qu'on va enlever un morceau d'intestin pour permettre aux gens de rester en vie et d'avoir une vie quasi normale après ça.
Et donc l'idée c'est de prévenir pour ne pas que s'installent ces contextes-là. Et donc, qu'est-ce qu'on a comme levier ? Si on veut gérer ces différents éléments, le microbiote, finalement, on l'a déjà évoqué un peu, mais c'est principalement agir directement sur le microbiote à travers l'apport de l'alimentation. Donc, idéalement, c'est aller vers un régime méditerranéen. Ça va être pas mal de végétaux, de fibres alimentaires, et des fibres en richesse et diversité. C'est vraiment ça qui va impacter le plus. Et puis souvent, le matériel végétal, c'est la couleur. On parlait des polyphénols assez anti-inflammatoires et antioxydants. Donc ça va aider d'autres volets de ce qui peut être un cercle vicieux, quand le microbiote se dérègle, puis la perméabilité, vient l'inflammation, le stress oxydant qui altère encore plus le microbiote. On voit bien comment les choses peuvent s'installer de façon vraiment compliquée à gérer, surtout si on ne gère que le symptôme. Le microbiote, c'est l'alimentation et notamment dans l'alimentation, tout ce qui va être le régime méditerranéen. Il y a aussi des bonnes graisses dans le régime méditerranéen. Donc, c'est les oméga-3 et c'est protecteur de la paroi intestinale et anti-inflammatoire.
Et puis, c'est gérer la perméabilité. Alors là, c'est plus compliqué. C'est même pas mesuré de façon systématique par les laboratoires de biologie, en fait, parce qu'il n'y a pas de critères simples à mesurer. Donc, le médecin ne le prescrit pas. Et la façon dont on peut le gérer, c'est à travers, je l'ai évoqué, mais les oméga-3, par exemple, donc c'est les bonnes graisses, c'est l'huile d'olive ou de colza, par exemple, qui sont pas mal, ou les poissons gras. Et puis, c'est aussi certains probiotiques, en fait, certaines bactéries vivantes qui sont commercialisées en parapharmacie et dont la science a montré qu'elles ont effectivement un effet fort sur la perméabilité intestinale. Et puis on va gérer l'inflammation. Donc là c'est pareil, les oméga-3, les polyphénols vont agir.
On va également jouer sur des probiotiques. Et alors on peut effectivement aller sur les compléments alimentaires, donc des probiotiques de parapharmacie. On peut aussi considérer qu'on a de fortes chances d'avoir des effets sur la perméabilité et l'inflammation avec les produits fermentés classiques, type les boissons fermentées comme le kéfir ou le kombucha, qui contiennent chacune au moins 50 bactéries et levures différentes. Mais là-dedans, il y a des micro-organismes qui vont être neutres, il n'y a pas de pathogènes. Et il y en a qui sont neutres, il y en a qui vont être intéressants parce que pendant le transit intestinal, ils vont pouvoir aider contre l'hyperperméabilité ou contre l'inflammation. Donc les microbes vivants dans l'alimentation, c'est aussi une composante intéressante. On va les retrouver dans le régime méditerranéen aussi en fait.
Et puis le stress oxydant, tous les micro-organismes vivants qu'on ingère, qui viennent de la fermentation, y compris dans les laits fermentés, les yaourts, sont des microbes qui ont des enzymes qui gèrent les radicaux libres. Donc le stress oxydant, ce qui va faire vieillir nos cellules un peu plus vite, ça c'est géré par les microbes vivants de l'alimentation, donc c'est pas inintéressant de gérer ce volet-là aussi.
Jean-Charles : Le volet stress. Vous parliez là de probiotiques. Est-ce qu'on a des conseils, justement, après avoir pris des antibiotiques, de comment gérer les probiotiques ? Comment on fait ce choix ? Parce qu'il y a une offre qui est assez large aussi, qui est confusante, comment on pratique ça ?
Joël Doré : Où on en est aujourd'hui ? En fait, c'est un peu compliqué comme question, en termes de réponse à donner, parce que ce qui marche n'est pas remboursé aujourd'hui. Donc du coup, il faut savoir que c'est pour le microbiologiste que je suis. Moi, je suis l'avocat des microbes en fait. C'est complètement normal, quand on prend des antibiotiques, d'associer la prise de probiotiques qui vont faire quoi ? Renforcer la robustesse de notre écosystème intestinal. Donc ça veut dire qu'ils vont le rendre plus résistant, qu'il va moins se modifier, moins s'altérer pendant la prise d'antibiotiques et plus résilient. Donc il va récupérer plus vite.
Quand on a étudié la résilience, on a montré qu'un cours d'antibiotiques classique, ça perturbe de façon vraiment importante le microbiote intestinal, mais un mois après, il revient à son état initial. Et si on attend encore un petit peu, on va vraiment avoir la même image que ce qu'on avait avant en termes de composition. On va retrouver nos microbes à nous en termes de dominance. Et donc il est résilient. Si on peut l'aider à être plus rapidement résilient, c'est intéressant.
Alors ce que je peux dire, c'est que l'Organisation mondiale de gastro-entérologie, sur son site internet, recommande deux probiotiques. Donc c'est Saccharomyces boulardii, qui est l'ultra-levure, en fait, donc c'est commercialisé en France, malheureusement plus remboursé, parce que la science est vraiment costaud sur ses effets associés à la prise d'antibiotiques. Et puis c'est une bactérie lactique qui s'appelle Lactobacillus Rhamnosus GG, qui également a un bon dossier en association à la prise d'antibiotiques et qui va agir en plus à un petit peu tous les niveaux. Elle stabilise le microbiote intestinal, mais elle a aussi des effets intéressants sur la perméabilité, sur l'inflammation et sur le stress oxydant. Donc voilà, ces deux-là sont, à mon sens, complètement recommandables. Alors on peut faire plus simple.
On peut dire, si on prend un grand verre de kéfir tous les jours, probablement dans les 50 microbes différents qu'on va ingérer, il va y en avoir certains qui vont nous aider, effectivement, à avoir un microbiote moins altéré et plus rapidement reconstruit. Mais par contre, il n'y a pas de science pour le documenter aujourd'hui.
Jean-Charles : On voit aussi fleurir de très nombreux tests microbiotiques commerciaux. Et d'ailleurs, vous aviez contribué à un article qui s'appelait « Révolution ou arnaque ? Que penser des tests qui décryptent le microbiote ? » Quel est votre avis sur cette...
Joël Doré : J'ai aussi publié des publications scientifiques sur le sujet. Et c'est un domaine qui prend une tournure un peu aiguë et polémique d'une certaine façon. Aujourd'hui, on voit apparaître des tribunes dans le monde de sociétés savantes qui nous disent « c'est vraiment n'importe quoi, c'est du charlatanisme, etc. » Pourquoi ? Parce que nos collègues gastro-entérologues voient arriver quotidiennement presque des patients avec un beau document de 40 pages, un beau rapport avec des belles images, qui décrivent leurs microbiotes et qu'ils ont payé parfois 100, 200, 300 euros auprès d'une startup qui propose ça. Quelquefois, qui va même jusqu'à faire des recommandations un petit peu exagérées par rapport à ce que peut dire la science aujourd'hui. Et donc, qu'est-ce qu'on peut en penser ? En fait, la vision qu'on peut en avoir, c'est est-ce que c'est normal qu'on soit critique à ce point-là ? Alors oui, c'est normal parce qu'il n'y a pas de standard aujourd'hui qui soit appliqué. Ils existent, on les a publiés, donc ce serait tout à fait possible d'avoir des déterminations, des tests de microbiotes inscrits dans des processus standardisés. Ce qui veut dire quand même qu'on aurait le même résultat si on le faisait faire aux États-Unis, en Europe ou en Australie. Ce n'est pas anodin pour la médecine, c'est important. Et puis, il faut aussi, pour que les tests tiennent la route, une référence, donc les grands nombres.
Le projet Le French Gut, qui vise 100 000 volontaires en France, va nous aider à avoir les grands nombres. Mais on les a déjà quand même. On a des dizaines de milliers de microbiomes connus. Et puis, au-delà de ça, si on veut s'inscrire dans la médecine, il faut savoir pourquoi on va faire le test, et est-ce qu'il est prédictif, et est-ce qu'on a une solution après, pour démontrer que si on fait le test, si la médecine est celle de l'humain microbien, on a effectivement une prise en charge du malade qui va faire mieux que si on n'a pas ça. Et ça, c'est la preuve du bénéfice clinique. Donc c'est vraiment ce qu'on attend avec impatience demain. Il y a un contexte où on va le voir arriver assez vite en fait. Mais voilà, tant qu'on n'a pas ça, les médecins ne seront pas convaincus et leur société savante diront que quand les patients arrivent avec leur beau rapport, ils n'en feront rien, ils les mettront à la poubelle et ils attendront que les choses soient un petit peu consolidées. Mais par contre, il ne faut pas, à mon sens, parler de charlatanisme, parce que si on fait ça, on jette le bébé avec l'eau du bain et on ne se met pas dans une situation de construire ce qui est le pipeline, les conditions qui vont permettre effectivement à terme de valider le bénéfice clinique que va apporter la prise en charge de l'humain microbien, donc l'analyse du microbiote pour la médecine.
Jean-Charles : Vous disiez qu'il y avait un contexte ?
Joël Doré : Il y a un contexte, oui. En fait, il y a 10-15 ans, je n'aurais pas parié pour l'impact du microbiote dans le traitement du cancer. Mais effectivement, aujourd'hui, on sait que c'est probablement le premier qui va émerger. Pourquoi ? Parce qu'on a montré dans une publication en 2014 que la photographie moléculaire du microbiote par métagénomique permet de prédire la réponse à la chimiothérapie pour le cancer du poumon, le cancer du rein, le cancer de la vessie, par exemple, qu'on étudiait à l'époque. On a montré ensuite que l'immunothérapie, qui est vraiment le traitement de choix aujourd'hui, peut également, la réponse peut être prédite par l'analyse du microbiote intestinal. Alors, c'est vraiment majeur parce que c'est prédictif.
Jean-Charles : Aujourd'hui, on va pouvoir le changer.
Joël Doré : La question évidente, c'est ça. Et effectivement, depuis un an et demi, on a des publications qui nous disent que le transfert de microbiote permet de transformer un patient non répondeur en patient répondeur. À l'immunothérapie, qui est un traitement qui, quand ça marche, guérit du cancer du poumon, par exemple. Aujourd'hui, on a des patients cancer du poumon qui sont guéris par l'immunothérapie. Et ce qu'on est en train de voir émerger, c'est le fait que le patient qui donne ses selles, quand il arrive à l'hôpital pour se faire traiter, on va pouvoir dire si c'est probablement un répondeur ou probablement un non répondeur et éventuellement, si c'est non répondeur, essayer de jouer sur son microbiote pour le transformer en répondeur. Et le potentiel dans les premières publications qui sont apparues, c'est de passer d'un peu moins de 50% de répondeurs dans le cancer du poumon à probablement 60-70%. Donc on va gagner potentiellement 20% de répondeurs, et c'est des vies sauvées en fait. Donc vraiment, c'est pour moi assez symptomatique de ce qui va émerger de la médecine de l'humain microbien demain. Avec probablement le traitement du cancer comme le premier domaine dans lequel ça va apparaître.
Jean-Charles : Et en tant que patient atteint d'un cancer, on peut trouver les centres hospitaliers ?
Joël Doré : On peut vraiment faire la construction scientifique. Donc voilà, je suis obligé de dire que ça va mettre un peu de temps. Et notamment parce que la médecine a besoin d'avoir la preuve du bénéfice clinique. Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on a fait ces travaux depuis 2013-2014 avec, par exemple, l'Institut Gustave Roussy à l'IGR à Villejuif. Et on a ensemble caractérisé le microbiote de centaines de patients. On sait aujourd'hui qu'on a des éléments probants et solides sur la prédiction du statut de répondeur non répondeur. Si bien qu'aujourd'hui, l'Institut Gustave Roussy demande à chaque nouveau patient qui arrive pour un traitement du cancer, un échantillon de selles pour pouvoir faire analyser son microbiote et pour pouvoir voir si ça va pouvoir passer dans la pratique. Et donc on est dans cette situation où on va pouvoir assez vite comparer ce qui se passe en termes de prise en charge du patient, quand je prends en compte son microbiote ou quand je ne prends pas en compte son microbiote et potentiellement démontrer qu'on a un bénéfice. Et à ce moment-là, on peut imaginer qu'on ira sur le terrain du réglementaire, c'est-à-dire qu'on demandera à notre réglementaire en France et à l'Agence du Médicament si on peut considérer que c'est suffisant comme preuve et pourquoi pas à la Haute Autorité de Santé d'envisager le remboursement de cette analyse pour va justifier par le bénéfice clinique. C'est le premier domaine.
Il y a d'autres domaines dans lesquels on a des facteurs ou des critères prédictifs dans le microbiote intestinal. Par exemple, j'évoquais tout à l'heure dans l'obésité, le fait qu'on a des sujets obèses avec un microbiote riche, diversifié, et des sujets obèses avec un microbiote pauvre. On a montré avec nos collègues de la Pitié-Salpêtrière que les sujets obèses à un microbiote pauvre sont beaucoup plus difficiles à pouvoir beaucoup plus difficilement remanier, enfin leur faire perdre du poids déjà, les aider en termes de poids et de statut global au niveau lipidique, par exemple cholestérol, triglycérides, etc. Et puis voir même les paramètres de l'insulino-résistance et donc du diabète beaucoup moins facilement quand ils ont un microbiote pauvre. Et là aussi, c'est prédictif. Donc, on pourrait imaginer qu'assez rapidement, le clinicien nutritionniste puisse utiliser cette information pour ajuster la prise en charge des malades. On a des choses assez similaires dans les maladies hépatiques, où on sait que l'évolution de la stéatose à ce qu'on appelle la MASH aujourd'hui, donc le métabolisme altéré par le microbiote, et puis l'évolution vers la cirrhose, c'est très lié à des paramètres du microbiote. Et là aussi, probablement la vitesse d'évolution va être prédite par le microbiote intestinal. Et puis, il y a tous les domaines de la neuropsychiatrie aussi où on avance assez vite.
Jean-Charles : Incroyable. Et vous avez cofondé GMT, Gut Microbiome Testing. Quelle est votre approche pour des tests fiables et quels sont les conseils médico-actionnables que vous donnez ?
Joël Doré : Alors, par rapport aux startups qui font des tests de microbiote pour répondre à la curiosité des gens, et curiosité assez naturelle, quand on a pu séquencer le génome humain, plein de gens ont fait séquencer leur génome pour savoir d'où ils venaient. Aujourd'hui, on peut séquencer le microbiome ou le métagénome, et c'est légitime qu'il y ait une curiosité. Par contre, ce qu'on a bien dit, c'est qu'il n'y a pas d'utilisation médicale possible aujourd'hui. Par contre, GMT se place dans l'idée que ça va être possible demain. Et donc, c'est vraiment inscrit dans le microbiome au service de la médecine de demain, de la médecine de l'humain microbien. Et pour ça, c'est des standards très rigoureux de l'analyse. Ce qu'on disait, les mêmes résultats s'ils sont faits dans trois endroits différents dans le monde. Et c'est fait avec une référence de très grand nombre de sujets pour avoir les gammes de variation normales et la sortie de la normalité. Et puis, l'identification de signatures prédictives en fait. Et c'est vraiment ce que GMT a vocation à apporter au monde médical. Donc je le disais, on peut être hyper critique de ce qui est disponible aujourd'hui, qui coûte cher et qui n'est pas utilisable par la médecine, mais par contre il faut mettre en place cette structure, et voilà ce qui va pouvoir démontrer le bénéfice clinique des solutions. Et donc GMT travaille notamment avec l'Institut Gustave Roussy autour de la prédiction de la réponse ou non-réponse au traitement du cancer. Et ça va être, comme on le disait, un des premiers domaines où ce sera au service de la médecine.
Jean-Charles : J'ai compris aussi que vous développiez une application de simulation du microbiote. Comment ça fonctionne ?
Joël Doré : Alors, on peut... Je ne suis pas sûr de bien l'interpréter. J'essaye. On peut simuler le microbiote de plein de façons. Ça peut être mathématique. À ce moment-là, c'est vraiment l'IA et le machine learning qui vont nous permettre de faire une simulation du microbiote et voir comment il pourrait évoluer sous l'influence de différents critères. Et sinon, c'est la simulation biologique, donc en fermenteur. Et à ce moment-là, on met le microbiote en fermenteur et on peut essayer de voir si, pour un individu donné, il va être capable de répondre plus ou moins bien à différents stress ou au contraire à différentes manipulations qui ont vocation à le remanier de façon positive.
Jean-Charles : Et là, les modèles de machine learning commencent à bien fonctionner ?
Joël Doré : Oui, alors il faut avoir les bons cerveaux. Donc c'est vraiment de la mathématique de haut de volée. Mais par contre, oui, en France, il n'y a pas de problème. On a vraiment les bons cerveaux pour faire ce genre de job à Metagenopolis-INRAE. On a effectivement aujourd'hui des milliers, on est en train de générer des centaines de milliers de microbiomes. Et donc, on a tous les outils qu'il faut pour caractériser et extraire de cette masse d'informations ce qui va être pertinent si on s'intéresse à sa modulation par l'alimentation ou l'association entre les microbiotes et différents degrés de sévérité dans les maladies ou toutes ces choses-là.
Jean-Charles : Et si on repart de Le French Gut, comment on peut participer en tant que citoyen et qu'est-ce que ça apporte de contribuer à ça ?
Joël Doré : Le French Gut, c'est un échantillon de selles qu'on va demander à des volontaires. Donc la façon dont on procède, et on a essayé de simplifier au maximum le processus pour que ce ne soit pas trop compliqué à faire. Voilà, ça fait 30 ans que je bosse sur la façon dont on demande aux gens de prélever un échantillon de selles. Donc on a vraiment, vraiment simplifié ça au maximum. Et le volontaire s'inscrit sur le site internet. Donc c'est tout par internet, c'est lefrenchgut.fr. Et à ce moment-là, on va demander si on a affaire à un adulte, parce qu'aujourd'hui on n'inclut que les adultes. On va bientôt pouvoir inclure les enfants, mais ce sera seulement à la fin de l'année. La personne a ou non pris des antibiotiques dans les trois mois qui précèdent ou subi une coloscopie avec la préparation colique dans les trois mois qui précèdent. Et à ce moment-là, on demande aux gens de revenir vers nous après trois mois.
Et puis sinon, en fait, on est tous éligible en bonne santé ou malades, quel que soit le contexte de maladie. Et on va recevoir à la maison, après avoir rempli un questionnaire un peu minimaliste, c'est une cinquantaine de questions sur les habitudes de vie, sur les habitudes alimentaires et sur l'état de santé, donc ça met un quart d'heure, 20 minutes, il y a des questionnaires optionnels. Et les gens qui veulent vraiment aider la science, idéalement, il faut remplir les questionnaires optionnels qui vont aller beaucoup plus loin sur les habitudes alimentaires, beaucoup plus loin sur les paramètres de santé. Et nous, nous permettre d'interfacer le microbiome avec ces éléments-là. Voilà. Et sinon, on reçoit à la maison un kit qui permet de faire la collecte. C'est gratuit, un renvoi par la poste dans une enveloppe pré-timbrée et la collecte elle-même, si on veut décrire un peu physiquement, on met un petit hamac en papier sur les toilettes, ça permet de récupérer la selle, on trempe un coton-tige dedans et le coton-tige est fait pour enlever directement le petit bout qui contient la matière fécale dans un liquide qui est un liquide de stabilisation. Et quand c'est dans le liquide de stabilisation, on renvoie ça par la poste dans les jours qui suivent et nous on a quelque chose qui est garanti.
J'ai envie d'insister aussi sur le fait qu'on travaille de façon complètement anonyme. Nous, à l'INRAE, on va demander aux volontaires de donner, pour nos collègues de l'Assistance Publique et des Hôpitaux de Paris, qui gèrent la donnée de santé, de donner leur nom, leur prénom, leur adresse, des paramètres privés. Mais nous, au niveau analyse, on ne voit pas du tout ces paramètres-là. C'est transformé en code et on ne travaille qu'avec des codes pour la suite.
Jean-Charles : Vous avez dit que nos modes de vie ont une influence néfaste sur le microbiote.
Joël Doré : Alors certains modes de vie ont une influence néfaste.
Jean-Charles : Quels sont les ennemis ?
Joël Doré : Les ennemis, ça va être... Alors on a évoqué l'alimentation. Dans l'alimentation, on a évoqué les additifs alimentaires et notamment les émulsifiants alimentaires. Mais on les trouve dans tellement de produits ultra-transformés que si on globalise un petit peu, si on peut limiter l'ultra-transformé, on est sympa avec notre microbiote et notre symbiose. Il y a aussi l'excès de protéines et de graisses animales qui vont avoir un effet indirect mais majeur. L'excès de sucre rapide également. C'est inflammatoire en fait. Donc c'est inflammatoire, ça veut dire que ça va faire du stress oxydant et que le microbiote ne va pas trop aimer, indépendamment de tous les autres effets physiologiques. Ça c'est pour le volet alimentation. Il y a d'autres paramètres qui jouent en fait. L'activité physique, globalement, va jouer sur notre système immunitaire et notamment la qualité, le tonus de nos défenses naturelles, et puis va jouer aussi sur la gestion du stress. Et globalement, la gestion du stress est importante, quels que soient les moyens qu'on va souhaiter, vouloir ou mettre en œuvre pour le gérer. Ça peut être du yoga, ça peut être de la méditation, ou ça peut être simplement un petit footing ou 30 minutes de marche par jour.
Et ça joue comment ? Ça joue à travers le cortisol, qui est l'hormone de stress, qui est produite très rapidement. En fait, quand on a un stress, ça peut être un stress aigu. On est étudiant, on doit passer un examen. En fait, on va se coller une diarrhée d'enfer à cause de ça, parce que immédiatement, le cortisol qui est produit au niveau des reins, au-dessus des reins, va induire une perméabilité intestinale. Donc ça, c'est l'axe intestin-cerveau du haut en bas, en fait, et c'est vraiment efficace. Et puis, le stress chronique qu'on vit beaucoup, en fait, dans nos sociétés modernes agit en permanence. Il va y avoir une élévation modérée, mais permanente, du cortisol. Et donc, on est imbibé de signaux de stress en permanence. Et ça, ça va jouer sur la perméabilité intestinale. Et on sait aujourd'hui, d'ailleurs, que quand on a perméabilité intestinale et inflammation, puisque les deux vont ensemble au niveau des intestins, ça fait au niveau du cerveau de la perméabilité intestinale des vaisseaux sanguins, donc la barrière qu'on appelle hémato-encéphalique, et de la neuroinflammation. Et donc les choses ne peuvent pas aller bien globalement, même en termes de ressenti d'anxiété et de stress. C'est vraiment un cercle vicieux qui peut s'installer dans ce contexte de stress chronique de nos vies modernes. Souvent, c'est aussi associé à une alimentation pas terrible. Donc, on cumule les facteurs. C'est un peu...
Jean-Charles : Ça fait mauvais sommeil, mauvaise alimentation.
Joël Doré : Le sommeil va jouer également, et notamment par la gestion du stress.
Jean-Charles : Et du coup, avec tout ce que vous avez fait comme recherche, c'est une question peut-être un peu personnelle, vous n'êtes pas obligé de répondre, mais qu'est-ce que ça a changé sur votre alimentation et à quoi elle ressemble, votre alimentation ?
Joël Doré : C'est une question amusante parce que je me souviens, il y a 25-30 ans, j'avais une journaliste qui m'avait demandé, mais est-ce que ce que vous faites comme travaux induit pour vous des changements dans vos pratiques, vos modes de vie, etc. Et à l'époque, j'avais presque envie de répondre mais non, pourquoi ? Et en fait, oui, aujourd'hui, ce n'est plus le cas du tout. Depuis notamment qu'on travaille sur cette notion de symbiose, d'interaction étroite entre l'humain, le volet humain, la composante humaine et la composante microbienne de l'humain microbien, pour moi c'est quelque chose d'évident. On gère, on vit, on mange en humain microbien, et donc tout ce qu'on fait va avoir un impact potentiel sur notre symbiose. Donc pour moi ça se traduit par une alimentation très type méditerranéen, mais même tendance végétarienne, voire vegan en fait, quand j'ai l'option, je vais avoir cette préférence vegan. Alors, ce n'est pas que pour la gestion du microbiote, parce qu'on sait aujourd'hui que bien gérer son microbiote à travers tous les paramètres qu'on a évoqués, c'est en gros aussi diminuer notre impact carbone. Donc, c'est gérer la santé planétaire. Donc, c'est tout bénéfice, en fait. On va vraiment avoir un plus, plus, plus en faisant ce qu'on peut faire pour mieux gérer notre microbiote intestinal, on va réduire notre impact sur le réchauffement planétaire.
Jean-Charles : Un environnement dans l'environnement.
Joël Doré : C'est vraiment le One Health au sens d'une santé.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Est-ce qu'il y a des signaux particuliers pour détecter un microbiote déséquilibré chez un individu ?
Joël Doré : Alors, c'est au-delà des symptômes en fait. C'est-à-dire qu'on va pouvoir se baser sur les symptômes. Le seul moyen autrement, c'est d'analyser le microbiote parce qu'il n'y a pas d'autre moyen que ça pour avoir une vision fine. Par contre, quand on a des symptômes intestinaux, le message que j'ai envie de faire passer, c'est que ce n'est pas normal en soi et donc il faut le gérer. Il faut le gérer de toutes les façons qu'on a pu évoquer, mais les symptômes intestinaux, c'est simplement un transit intestinal anormal, une constipation un peu régulière ou des diarrhées qui reviennent un peu souvent ou de l'alternance entre les deux ou à fortiori s'il y a des douleurs en fait au niveau intestinal, ce n'est en soi pas normal et il faut le gérer. Alors on peut commencer par la reco régime méditerranéen où on s'en rapproche quoi et ça va jusqu'à... Des données de la littérature scientifique aujourd'hui sur de l'épidémiologie en neuropsychiatrie qui nous dit, et qui d'ailleurs conduit à un développement d'une branche complète de nutrition psychiatrique, qui nous dit que la nutrition va avoir un effet, et va avoir un effet notamment sur le ressenti en termes d'anxiété et de dépression. Et c'est en grande partie via le microbiote, la perméabilité intestinale, l'inflammation et le stress oxydant, donc les paramètres de la relation qu'on gère avec ou qu'on a avec nos microbes intestinaux.
Donc, on peut tout à fait concevoir que c'est dans ce schéma-là qu'il faut s'inscrire. Et si on a des symptômes, c'est en soi pas normal. L'exemple que je peux donner, pour aller un tout petit peu plus loin, dans la dépression, on a trois essais aujourd'hui qui sont des essais randomisés, contrôlés, en double aveugle. Donc c'est vraiment l'essai de qualité pharmaceutique qui ont étudié la possibilité par le transfert de microbiotes fécales de diminuer les symptômes de dépression et d'anxiété. Trois essais publiés depuis 2021, donc c'est vraiment des choses assez récentes. Et ces trois essais disent, bah oui, ça marche. Mais la première chose que l'on observe, c'est une diminution des symptômes intestinaux. Et donc en fait, dans la dépression, dans l'autisme, dans la schizophrénie, il y a une proportion de patients qui ont des symptômes intestinaux qui est bien au-delà de celui de la population générale. Et gérer ces symptômes intestinaux, c'est potentiellement aider à limiter la perméabilité et l'inflammation intestinale, qui, comme je le disais, s'accompagnent de perméabilité et d'inflammation au niveau du cerveau et donc de neuroinflammation et donc de dysfonctionnement de la signalisation au niveau du cerveau. Et la branche neurologique liée à la nutrition, donc la nutrition psychiatrique, se développe aujourd'hui de façon vraiment intéressante. Il y a une petite start-up française qui s'appelle Diet Sensor, qui a développé en lien avec nos collègues nutritionnistes de la psychiatrie en Australie et la fondation FondaMental à Créteil, une application sur smartphone qui aide les gens à aller vers un régime méditerranéen, parce que la littérature scientifique est vraiment costaud en fait sur ce domaine-là. Une application qui s'appelle Food for Mood.
Jean-Charles : Ça, on en avait parlé avec Marion Leboyer.
Joël Doré : Voilà, et cette application, elle est pour moi vraiment intéressante parce que c'est le moyen d'avoir 24 sur 24, 7 jours sur 7, cet outil-là sous la main. Et puis de, je crois même, faire un bilan une fois par semaine. Et il vous accompagne dans votre supermarché, en fait, quand vous faites les courses, pour vous aider à orienter l'alimentation vers le régime méditerranéen, dont on sait aujourd'hui qu'il va effectivement améliorer les choses.
Jean-Charles : Incroyable. Et vous l'avez peut-être touché, mais on comprend dans toutes ces discussions que bien comprendre son microbiote et agir dessus pourrait jouer un rôle clé sur le vieillissement en bonne santé, vu l'impact sur les maladies chroniques, etc. Est-ce que vous pensez que ça va devenir un des biomarqueurs de la longévité ? Quelle est un peu votre vision là-dessus ?
Joël Doré : Il y a quelques publications, mais pas beaucoup quand même, qui vont sur le terrain jusqu'à biomarqueur de longévité, au sens où on peut se dire, est-ce que le microbiote peut donner un âge microbiotique de l'individu ? Il y a quelques travaux qui vont dans ce sens-là. Pour l'instant, ce qui avait été documenté, c'est qu'on a des signes d'altération du microbiote avec le grand âge. Et on peut pointer des micro-organismes du microbiote normal, dominant, de l'individu en bonne santé, qui ont tendance à évoluer dans le mauvais sens, en fait, tendance à disparaître quand c'est les micro-organismes protecteurs avec le grand âge. C'est d'autant plus marqué qu'on est sur des personnes âgées, dépendantes, institutionnalisées. Et probablement, il y a une interaction forte avec le changement des habitudes alimentaires. Mais il se passe beaucoup de choses avec le vieillissement, notamment l'acidité gastrique diminue. Donc il y a plus de microbes de l'environnement qui vont pouvoir passer jusque dans les parties distales de l'intestin. Donc ça peut jouer. On a moins de mucus qui est produit probablement, donc on est moins protégé par le mucus. L'immunité, on parle d'immuno-aging. Donc, vieillissement du système immunitaire, et ça veut dire qu'il est moins réactif, on sait qu'on répond moins bien à la vaccination quand on est âgé, très âgé. Donc, tout ça fait qu'on est plus fragile, en fait. Et donc, ça renforce l'idée qu'il faut gérer encore plus et encore mieux son microbiote intestinal quand on approche du grand âge. Et je pense qu'il y a un sens, en termes de prévention, d'aller sur ce terrain-là.
Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Est-ce que vous avez un message final que vous aimeriez faire passer à nos auditeurs ?
Joël Doré : En fait, si j'avais un message final à faire passer, c'est qu'on est humain et microbien, on est écosystème et on est symbiose, et gérer la symbiose est vraiment un élément majeur. Et on a aujourd'hui, à travers nos pratiques de vie, tous les éléments nécessaires pour y arriver. Et si vraiment on a les symptômes qui font penser à une altération de la relation qu'on a avec nos microbes, notamment les symptômes intestinaux, il ne faut pas laisser ça en plan. C'est vraiment quelque chose qu'il faut gérer. Parce que globalement, quand la symbiose commence à s'altérer, on peut évoluer vers du cercle vicieux et donc aller vers des aggravations.
Jean-Charles : Et comment on gère ça ? Qui on consulte ?
Joël Doré : Si on doit consulter parce que c'est des symptômes avec douleur, à ce moment-là, on va sur la gastro-entérologie. Quelques collègues phares qui communiquent pas mal sur Internet, en fait, et qui sont vraiment conscients de l'importance de la relation de l'humain avec ses microbes. Donc, on peut essayer de rechercher ça, bien sûr. Et sinon, honnêtement, moi, je conseillerais vivement d'évoluer ou de faire évoluer en tendance les habitudes alimentaires vers un régime méditerranéen, parce qu'en France, on peut conseiller ça facilement, en fait, et c'est quelque chose qui est bien documenté scientifiquement sur les bénéfices.
Jean-Charles : On va construire ça dans l'application, Alan. Déjà qu'on fait marcher les gens plus, et les exercices de respiration et de méditation, c'est la prochaine étape. Une des questions qu'on se posait aussi, c'était sur l'impact du lactose et du lait sur le microbiote. Parce qu'on entend un peu tout et son contraire, et je serais ravi d'avoir votre point de vue.
Joël Doré : Oui, il y a pas mal de gens, effectivement, qui se plaignent de ce qu'on peut appeler l'intolérance au lait. En fait, il y a deux éléments dans le lait qui peuvent être embêtants si on réagit. C'est le lactose, effectivement. Le lactose, c'est un sucre, c'est le sucre majeur du lait, et qui, chez certains individus, n'est pas digéré par l'enzyme humaine, qui est la bêta-galactosidase. Donc à ce moment-là, le lactose reste intact pendant le transit intestinal et arrive intact au niveau du côlon où les bactéries vont s'en régaler, et ça conduit à une fermentation très rapide et la production de gaz de fermentation et donc du ballonnement, parfois de la douleur et donc cette composante-là. Le moyen de s'en sortir si on aime bien les laitages, c'est de prendre des laitages fermentés.
Quand on prend du yaourt, la même quantité de lactose en fait est digérée par les bactéries du yaourt et à ce moment-là il n'y a plus du tout ce problème-là. Et puis l'autre composant du lait qui peut être problématique, c'est la caséine, donc la protéine majeure du lait. Là par contre, quand le problème est lié à la caséine, on a une interaction avec le système immunitaire.
Ça veut dire qu'à un moment donné dans le parcours de vie, on avait par exemple une perméabilité intestinale importante à cause d'une infection, une gastro ou quelque chose comme ça, et il est passé trop de protéines du lait qu'on prend habituellement dans la voie sanguine. À ce moment-là, le système immunitaire voit arriver beaucoup de protéines qui sont reconnues comme un agresseur et développent une réaction inflammatoire. Et surtout, le job du système immunitaire, c'est de mémoriser. C'est le principe de la vaccination, en fait. Mais ça, ça veut dire que chaque fois qu'on va prendre du lait et qu'il y aura un petit peu de perméabilité, il va y avoir une réaction inflammatoire. Et ça, c'est forcément de la douleur, de l'œdème. Et donc, ça peut être ça. Et ça, c'est plus compliqué à gérer.
Le seul moyen de bien gérer ça, c'est l'exclusion alimentaire, ou alors essayer de gérer en permanence la perméabilité intestinale avec ce qu'on a évoqué, avec les oméga-3, avec éventuellement des probiotiques, des bactéries vivantes qui sont reconnues comme ayant des effets sur la perméabilité. Ça, ça peut être un bon moyen pour éviter la réactivité. Et on peut étendre ça au gluten.
C'est exactement la même chose avec le gluten, en fait. C'est aussi une protéine. alimentaire qui vient du blé et donc notamment de céréales, pas toutes mais une bonne partie de ce qui est dans l'alimentation traditionnelle chez nous. Et si à un moment donné dans notre parcours de vie il y a eu un passage de gluten excessif, surtout les gluten des blés qui ont été développés pour la panification un peu plus rapide en fait qu'on fait aujourd'hui, aujourd'hui, du coup ces gluten-là ils sont compliqués. et ils sont stimulants de la réaction immunitaire inflammatoire. Donc, si à un moment donné, on n'avait que ça, notre système immunitaire a pu considérer que c'était une agression, réagir et mémoriser, et donc va réagir à chaque fois. Et alors, il y a un des facteurs de stimulation de la perméabilité intestinale qu'on n'a pas évoqué, c'est l'alcool.
Jean-Charles: Quel est l'impact de l'alcool sur notre microbiote ?
Joël Doré : Sur le microbiote directement, l'alcool est en partie transformé en aldéhyde dans le corps et c'est un oxydant violent. Donc ça va jouer davantage sur les cellules humaines que sur le microbiote en tant que tel. Mais il y a quand même forcément un effet sur le microbiote intestinal qui va opérer. Et puis par contre, l'effet sur les intestins, c'est de la perméabilité. Et il y a même un petit mécanisme d'auto-activation qui fait que si on a la perméabilité, on a des signaux qui reviennent vers la cellule et qui font que ça altère encore plus les mécanismes de jonction serrée entre cellules et donc ça fait encore plus passoire au niveau intestinal. La perméabilité engendre de la perméabilité et l'alcool est un bon inducteur pour ça.
Jean-Charles : Enfin, je voulais parler un peu d'application, du passage de la recherche aux applications thérapeutiques. Et vous nous parliez tout à l'heure du cas des transferts de microbiotes dans le cas de cancer. Oui. Pour l'immunothérapie. Et ça me fait penser à MaaT Pharma, du coup, la société que vous avez cofondée. Est-ce que vous pouvez nous en parler ? Quels sont les processus qui sont derrière ou est-ce que ça en est en termes de recherche ? Qu'est-ce que vous souhaitez faire concrètement ?
Joël Doré : Ce que MaaT Pharma a fait, c'est développer un processus qui permet de conditionner le micro-battes intestinal pour préserver au maximum l'intégrité, donc les bactéries dominantes normales de l'intestin. Quand on traite Clostridioides difficile, on n'a pas besoin de prendre beaucoup de précautions. On va mettre un écosystème qui va déplacer le pathogène et ça marche à tous les coups. Quand on veut gérer des contextes de maladies où on a une interaction forte avec le système immunitaire, là il faut préserver absolument les dominants, notamment des bactéries qui sont capables de produire des petites molécules qui parlent au système immunitaire de façon apaisante. Et donc voilà, maintenant on a développé ça. On a même des développements qui étaient inscrits dans l'idée qu'à un moment donné il faudrait que ce soit des capsules, donc il fallait pouvoir congeler, puis lyophiliser, mettre en poudre en fait, et encapsuler. Donc on a déjà une usine à Lyon. l'usine MaaT Pharma qui produit des médicaments pour traiter 10 000 individus par an. Aujourd'hui, on en est là.
Le point majeur, c'est quel contexte, quelle indication clinique ? Et donc, le développement pour MaaT Pharma s'est fait dans le contexte du cancer du sang ou des cancers du sang. Notamment, les premiers essais, c'est en leucémie myeloid aiguë. Et l'idée, c'est de voir comment on peut, au cours du traitement, prendre en charge le malade dont le microbe va être fortement altéré et dont l'altération va entraîner un risque de développement de complications. Et le premier médicament que MaaT Pharma développe, qui s'appelle Mat13, c'est un médicament qui permet de gérer une complication du traitement du cancer du sang, qui est la maladie du greffon contre l'hôte. et c'est une complication qui concerne à peu près... 50% des malades qui reçoivent une grève de moelle osseuse. La grève de moelle, c'est vraiment le moyen de complètement éliminer le cancer. Dans un cas sur deux, ça entraîne cette complication qui est une forme d'auto-immunité puisque l'immunité nouvelle qu'on a apportée se tourne contre le patient lui-même et c'est tellement sévère que la survie à un an est de 15%.
Et là, la médecine n'a pas grand-chose. Elle essaie les corticoïdes et si les corticoïdes ne marchent pas, il n'y a pratiquement plus un autre médicament qu'on peut essayer en deuxième ligne. Et il n'y a pas de troisième ligne aujourd'hui. Donc, MaaT Pharma a dit, moi j'essaie et ça marche. Si bien qu'on a aujourd'hui un essai de phase 3 sur plus de 60 patients qui a montré qu'on fait passer de 15% de survie en un an à plus de 50%, autour de 54% de survie en un an. Donc, c'est vraiment un impact. Et l'agence du médicament, dès la phase 2, a accordé à MaaT Pharma l'autorisation de faire un usage compassionnel de son médicament. Ça veut dire qu'à la demande de médecins, en onco-hématologie, elle donne son médicament pour gérer des complications sévères de type maladie du greffon contre l'hôte. Et dans ce contexte-là, ont été traités plus de 150 patients. et on a des... des effets, des bénéfices à peu près équivalents. C'est autour de 50% de patients protégés contre 15% quand on n'a pas ce traitement-là. Donc c'est vraiment une situation intéressante de la médecine aujourd'hui, de l'humain microbien, et qui a conduit Matarma à déposer un dossier pour demander à l'Agence du médicament européenne une autorisation de mise sur le marché. Alors ça va être le premier médicament de micro biothérapie fécale en Europe, le premier dans le monde en traitement du cancer du sang. Et donc vraiment, on est sur un terrain innovant au maximum et vraiment engageant pour le bénéfice santé.
Jean-Charles : C'est incroyable. Et c'est quoi les prochaines innovations de ces microbiotes fécales ? Vous pensez où est-ce qu'on va ?
Joël Doré : On l'a un petit peu évoqué en fait, parce que l'accompagnement de l'immunothérapie par le transfert de microbiotes fécales pourrait être vraiment intéressant. Il faut encore que la science aille un petit peu plus loin pour qu'on soit complètement convaincu. Mais ça pourrait être effectivement un domaine intéressant. Et puis pour MaaT Pharma, globalement, il y a un petit peu plus que l'intervention quand il y a la complication ultime, que la médecine ne gère pas idéalement bien. Il y a aussi tout le parcours du patient quand il a été diagnostiqué et qu'il va subir une, puis deux, puis trois chimiothérapies avant de pouvoir recevoir la greffe de moelle osseuse. Et là, on sait que dans ce parcours-là, plus le microbiote reste riche et diversifié, plus le risque de développer des complications est limité et plus le bénéfice de la grève de moelle va être important. Donc on voit bien comment on va pouvoir accompagner le patient tout au long de sa thérapie, notamment avec des capsules, parce qu'on n'a plus besoin, comme dans la maladie du réfontre-l'eau, tous les patients sont tellement abîmés qu'ils ne prennent plus par voie orale. en fait, donc du coup c'est... C'est des contextes où on ne pourrait pas donner des capsules.
Avant, on pouvait. Et donc, on a la possibilité d'accompagner ça. Et puis, il y a plein d'autres domaines où la recherche explore la possibilité d'utiliser le transfert des microbes fécales, y compris, on en a parlé un peu, dans la dépression, dans des maladies qui ne sont pas des maladies mortelles nécessairement. La question se posera à un moment donné, est-ce que quand on n'est pas sur un contexte où la survie du patient est en cause et la médecine n'a plus rien, est-ce que dans ces contextes-là, on veut quand même aller jusque là, ce sera au réglementaire de décider.
Jean-Charles : Ça va être un sujet de société passionnant qui prouve encore à quel point on est au début de l'évolution de la recherche scientifique en santé.
En tout cas, professeur Doré, un immense merci pour cette discussion fascinante. Vous avez réussi à distiller une expertise incroyable, scientifique, mais à la rendre didactique et en nous donnant des conseils concrets sur cet organe oublié qui est notre microbiote. toutes les interactions que ça peut avoir avec notre santé, notre gestion des maladies chroniques, notre interaction. Des liens surprenants.
Je pense que beaucoup de nos auditeurs vont apprendre le lien avec la réaction à l'immunothérapie, par exemple, et à d'autres. C'est un champ scientifique extraordinaire où, en effet, la science avance et il va falloir continuer à suivre les avancées de cette science. Mais merci de contribuer à la science, mais aussi d'avoir partagé encore une fois, avec autant d'intelligence et de finesse, les impacts que ça a sur notre quotidien et comment on peut contribuer aussi avec des sujets comme le French Gut, on partagera tous les liens à la fin de l'épisode.
Si vous avez autant apprécié l'épisode que moi, partagez-le autour de vous, commentez, partagez-le à vos amis, abonnez-vous au podcast pour suivre les prochains épisodes qui nous aideront à couvrir d'autres aspects de la santé, de la longévité et du bien-être. Merci de suivre Healthier Humanity et encore merci beaucoup, professeur. Merci.
Mis à jour le 03/12/2025
Publié le 03/12/2025
Mis à jour le
3 décembre 2025
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