Comment guider un navire comme JCDecaux face aux attentes des nouvelles générations, notamment sur le bien-être mental ? Thierry Raulin, DRH de JCDecaux, revient sur les enjeux de cette évolution — et la nécessité de conserver ses valeurs fondatrices.
Alan : Depuis près de 60 ans, JCDecaux a traversé plusieurs changements significatifs du monde du travail, qu’ils s’agissent de nouveaux acquis sociaux, d’améliorations de la diversité, d’équilibre vie pro / vie perso… Aujourd’hui, c’est la santé mentale qui est au centre des débats : en quoi l’expérience du Groupe vous aide à calibrer votre action ?
Thierry Raulin, DRH chez JCDecaux : C’est plus l’ADN de JCDecaux que l’expérience qui détermine notre engagement sur le bien-être mental. Car le point d’ancrage de notre engagement, ce sont nos valeurs : JCDecaux est une entreprise attentive à la santé de ses salariés. Notre politique santé et sécurité a été conçue dès 2001 autour d’un engagement solennel, sous forme d’une charte des valeurs sociales fondamentales — qui s’appuie sur les principes des Droits de l’Homme et les Conventions de l’OIT. L’idée, c’est d’inscrire dans le marbre notre volonté d’assurer aux collaborateurs un environnement de travail sûr, sain et respectueux.
A. : Au-delà de cet engagement, par quelles structures concrètes avez-vous abordé la question du bien-être mental ?
T.R : Nous avons pensé notre approche du bien-être mental sur plusieurs niveaux, en commençant par nous adresser à tous nos collaborateurs, de façon individuelle. Qu’ils soient managers, nouvelles recrues, apprentis, tous ont accès à la JCDecaux Academy, notre plateforme de digital learning, et à son contenu sur des sujets “bien-être” du quotidien : télétravail, nutrition, sommeil, ergonomie, initiation au yoga…
L’idée, c’est d’inscrire dans le marbre notre volonté d’assurer aux collaborateurs un environnement de travail sûr, sain et respectueux.
A. : Beaucoup de DRH précédemment interviewés parlent d'initiatives "proactives", par opposition à celles “réactives”, utilisées par les collaborateurs que lorsque leur bien-être est déjà dégradé. Avez-vous déployé des solutions dans ce sens ?
T.R : Oui, nous avons fait le même constat : les facteurs conditionnant la qualité de vie au travail peuvent être de natures très variées — charge de travail, autonomie, rapports sociaux, émotions, sécurité, valeurs… Il est donc critique de donner à tous les clés de lecture pour les identifier et les pistes concrètes pour agir, car ces différents phénomènes influencent notre bien-être au travail. C’est pour cette raison que nous avons déployé sur la JCDecaux Academy la formation « #BePositive : tous acteurs du bien-être au travail ». Autre situation qui appelait une réponse proactive et immédiate : la période de confinement. Un process spécifique et un numéro vert de soutien psychologique 24/7 ont ainsi été mis en place dès le début du confinement — avec fort heureusement très peu d’appels sur cette période.
A. : Comment appréhendez-vous la place des managers sur ce sujet de bien-être mental ?
T.R : lls sont souvent les premiers à pouvoir détecter les signaux faibles de la souffrance des collaborateurs et à y apporter des réponses, mais encore faut-il qu’ils y soient formés… C’est tout l’objet de nos formations internes « les ateliers du Management » et de notre programme de coaching collectif, que nous avons conçu spécifiquement pour les managers. Autre moyen mis en place : une rubrique dédiée dans l’entretien annuel qui incite manager et collaborateur à évoquer le sujet bien-être. Cette rubrique, une fois consolidée, permet d’observer l’engagement des collaborateurs et d’engager des actions le cas échéant.
A. : Et l’assurance santé, a-t-elle un rôle à jouer dans l’action pour le bien-être mental ?
T.R : Tous les salariés de JCDecaux bénéficient d’une complémentaire santé dont les garanties couvrent les dépenses de certaines médecines douces (psychologue, nutritionniste, ostéopathe…). C’est un choix : pour nous, ces médecines alternatives participent au bien-être des salariés et sont de nature à prévenir certaines pathologies. On a également cherché à aller plus loin pour réduire la charge mentale des salariés au quotidien, avec une application mobile santé proposant des services complémentaires en plus du remboursement des frais de santé, une carte “titres restaurants” comprenant des services complémentaires, un service de conciergerie…
L’enjeu, pour nous, c’est de nous adapter à cette nouvelle donne, mais sans renier nos valeurs fondatrices ni notre forte culture d’entreprise.
A. : Comment vous assurez-vous que vos actions sont effectivement suivies par les salariés ?
T.R : Tous nos modules de formation sont accessibles à tout moment et en mobilité, certains sont même obligatoires, comme « #BePositive », ou encore « Tous ensemble, luttons contre le harcèlement ». Les modules sont régulièrement mis à jour, et une communication adaptée incite les salariés à se rendre sur la plateforme.
A. : “JCDecaux Academy”, “#BePositive”, “Ateliers du Management”... tout cela a un coût ; comment mesurez-vous le ROI de tels investissements ?
T.R : Pour nous, il n’est pas question de ROI dès lors que nous parlons de la santé de nos collaborateurs. La pertinence de nos actions engagées depuis plusieurs années se mesure via des indicateurs de turn-over, d’absentéisme, d’accidents de travail… Un indicateur intéressant est le volume de parrainages de candidats par les salariés : il ne diminue pas. C’est un signe que la stratégie de JCDecaux en la matière est bien perçue des salariés.
A. : Selon vous, que manque-t-il aux entreprises pour changer l'image du bien-être mental, d'un sujet synonyme de contraintes et de coûts à un sujet synonyme de différenciation et de croissance ?
T.R : Il est toujours difficile de parler au nom de toutes les entreprises. Chez JCDecaux, nous avons conscience que les nouvelles générations ont des attentes différentes de celles précédentes, notamment en matière de bien-être et d’épanouissement. Pour nous, l’entreprise doit prendre en compte ces nouvelles demandes d’une « génération », qui ne fonctionne plus « au devoir de faire », mais qui exige de plus en plus du « plaisir à faire ». Il en va de notre leadership de faire évoluer nos process, afin d’attirer les meilleurs profils — d'autant plus sur un marché du travail tendu. L’enjeu, pour nous, c’est de nous adapter à cette nouvelle donne, mais sans renier nos valeurs fondatrices ni notre forte culture d’entreprise… et en plaçant toujours l’humain comme étant capital !