Amélie Favre Guittet : Ce sont les mêmes que ceux auxquels font face les femmes qui ont leurs règles. Dès qu’elles veulent se montrer charismatiques, elles entendent « qu’est-ce que tu as ? Tu as tes règles ? ». C’est donc aussi valable pour la ménopause. Ses symptômes sont méconnus et caricaturés. Pourtant certaines de ses manifestations physiques peuvent se révéler handicapantes. Même si ce n’est pas une maladie, certains la voient comme telle, l’associent à un manque de performance. Au lieu de se dire que c’est une étape normale, comme les règles, comme la maternité.
La qualité de vie au travail ne se résume pas à un baby-foot et une cantine design et végane. Elle devrait être plus personnalisée.
A.F.G : Pendant cette période-là, la femme change, ses collègues le voient, au lieu de l’aider à passer ce cap, ils lui rappellent qu’elle vieillit. Alors en général, les femmes redoublent d’efforts pour cacher ce qu’elles subissent. Y compris l’anxiété et le blues lié à la fin de la fertilité. En plus de cette pression sociale, elles s’auto-critiquent aussi, jonglent pour tout réussir à la maison comme au bureau. C’est beaucoup sur les épaules. Tout ce stress peut conduire à des burn-out.
Il faut que les magazines féminins ne soient pas les seuls à traiter de la ménopause au travail.
A.F.G : Oui, mais l’avancée en âge est mieux perçue pour les hommes que pour les femmes. C’est d’ailleurs assez bien représenté au cinéma. À 55 ans, un homme incarne un personnage charismatique, une femme aura un rôle de grand-mère. Cet imaginaire les suit et les poursuit.
En entreprise une femme aux cheveux gris a une chance sur deux de se faire critiquer, alors qu’on trouvera ce trait rassurant chez un homme. En France on considère qu’à 60 ans, une femme devrait être à la retraite. Et plus généralement qu’une femme doit d’abord faire des enfants et éventuellement ensuite trouver un emploi tranquille.
Nous sommes toujours dans ce schéma. Alors que le partage des tâches ménagères devrait être une évidence, que les femmes aient une carrière aussi. Cela reste un problème. C’est une question de genre, mais c’est surtout une question d’éducation. Tant que ce ne sera pas accepté, on n’y arrivera pas.
A.F.G : En libérant la parole. Il faut que les magazines féminins ne soient pas les seuls à traiter de la ménopause au travail, que l’on puisse lire des articles dans Le Monde ou Les Échos. Que l’état, les instituts de santé, les grandes chaînes en parlent. Que des livres s’y consacrent, des conférences soient organisées sur ce thème, de façon à imprégner tout le monde. Il faut pouvoir aborder cette question naturellement, sans être gêné ni outré.
Il existe aussi des jeux qui sensibilisent aux différences interculturelles. Pourquoi ne pas en imaginer sur la ménopause ?
A.F.G : Leurs services Ressources humaines et communication peuvent prendre le sujet à bras-le-corps, par des mesures toutes simples. Comme elles le font pour le handicap.
Elles peuvent produire de l’information sur le réseau interne, former les managers. Il existe aussi des jeux qui sensibilisent aux différences interculturelles. Pourquoi ne pas en imaginer sur la ménopause ?
Mais elles peuvent aussi rendre plus flexibles les horaires de travail, en comprenant que ces rythmes décalés ne rendent pas pour autant moins efficace. Cela semblait encore impensable il y a peu. La période Covid a démontré que c’était envisageable. Et puis, il est facile de penser à contrôler la température des bureaux, de privilégier les gourdes aux fontaines à eaux. Pourquoi ne pas par exemple, les offrir dans les welcome pack ? Diminuer les désagréments, c’est diminuer le stress et donc favoriser la concentration. La qualité de vie au travail ne se résume pas à un baby-foot et une cantine design et végane. Elle devrait être plus personnalisée.
Pour gagner de l’argent, l’entreprise a besoin de collaborateurs épanouis. Mais ce sont des calculs rarement pris en compte.
A.F.G : Aujourd’hui leur réflexe est plutôt en effet de se demander comment séduire des jeunes (qui coûtent moins cher) que de faire en sorte qu’une salariée ménopausée ne se mette en arrêt de travail ou démissionne.
Les entreprises voient la différence de salaire, mais elles oublient que la femme sénior a un réseau, une vision, un carnet d’adresses, une compétence, que le nouveau venu va devoir apprendre. Il va falloir sortir les rames.
C’est aussi oublier que le jeune nouvellement formé voudra grimper plus vite dans la hiérarchie, partira rapidement après et qu’il faudra tout recommencer. Alors que l’ex employée serait sans doute restée plus longtemps. Au lieu de s’en séparer, les RH gagneraient à la faire évoluer, à lui proposer des missions plus adaptées : un rôle de mentor, de management, de formatrice. Quitte à ce qu’elle retrouve son poste ensuite. Pour gagner de l’argent, l’entreprise a besoin de collaborateurs épanouis. Mais ce sont des calculs rarement pris en compte.
A.F.G : D’abord parce que la culture française aime les carrières au parcours linéaire. C’est très différent dans les pays Anglos saxons, en Belgique, en Suède ou au Danemark. Là-bas on demande à un candidat « qu’avez-vous envie de faire ? ». En France on préfère l’interroger sur « ce qu’il a déjà fait ». Difficile dans ces conditions d’imaginer faire évoluer une salariée à un autre poste au sein de la société, de lui faire changer de rôle.
Ensuite parce que les RH n’ont souvent aucune idée du coût de leurs actions, ni même de ce qu’elles peuvent rapporter. Un projet humain magnifique, à impact, c’est bien, mais cela ne suffit pas. Il faut démontrer qu’il rapporte de l’argent à l’entreprise. Pour cela il faudrait que DRH et direction financière travaillent davantage ensemble.
Les RH sont trop souvent considérées comme un service administratif, alors qu’elles ont un vrai rôle de coordination entre les équipes et la direction. Elles doivent accompagner la croissance de l’entreprise, grâce aux ressources humaines. Comme c‘est d’ailleurs inscrit dans leur titre.