__De nombreuses études ont pu mettre en évidence que les femmes ont un recours plus fréquent au médecin que les hommes. Pourquoi, et surtout, existe-t-il des leviers pour modifier cette tendance ? __
En 2020, l’espérance de vie à la naissance a atteint 79,2 ans pour les hommes et 85,3 ans pour les femmes, selon l’Insee. Cette différence entre hommes et femmes pose toujours question. Les hommes ont-ils une vie plus dure ? Sont-ils davantage fragiles ou sujet à des maladies graves plus jeunes ? La réponse est loin d’être claire.
D’une part, de nombreux facteurs expliquent cet avantage féminin, parmi lesquels des différences biologiques, mais aussi des comportements plus favorables à la santé (moins de tabagisme, alcoolisme, conduites à risque) ainsi que des emplois moins exposés, du moins en termes de pénibilité physique. Mais d’autre part, on sait aussi que si les femmes vivent plus longtemps ce n’est pas toujours en bonne santé. Une part d’explication peut être trouvée dans la moindre importance donnée à la prévention et aux consultations médicales par la gente masculine.
L’attentisme masculin face à la maladie
« J’attends d’être vraiment malade pour consulter » est une phrase qui revient souvent dans la bouche des hommes lorsqu’on leur demande quand ils prennent rendez-vous chez le médecin. De nombreuses études en France comme à l’étranger ont pu mettre en évidence que les femmes ont un recours plus fréquent au médecin, généraliste comme spécialiste : la proportion de femmes ayant une consultation dans l’année est plus élevée et le nombre moyen de consultations aussi - sans pour autant qu’elles ne coûtent plus cher au système de santé car elles consultent à temps et nécessitent alors moins d’hospitalisations et de soins lourds. Par exemple, les amputations, qui sont des complications graves du diabète tant en termes de survie qu’en termes de qualité de vie, se concentrent vers les hommes, qui représentent 69 % des personnes amputées en 2008, 73 % en 2014. La raison ? Les femmes diabétiques avaient davantage recours à des soins de pédicurie qui permettent de prévenir ces complications dramatiques. Ces disparités valent également pour la santé mentale : parmi les personnes ayant souffert d’un épisode dépressif, seule la moitié des hommes avaient eu recours à un professionnel de santé, une structure de soin ou à une psychothérapie, alors que c’était le cas pour deux tiers des femmes.
__Stéréotypes de genre __
Comment expliquer ce phénomène dont les hommes sont les premières victimes ? C’est là que la sociologie vient nous aider. Commençons par un petit test : imaginez que vous vous occupiez d’enfants. Ils jouent dans un square. Un petit garçon tombe. Comment réagissez-vous ? Et si c’est une fille ? En règle générale, nous sommes plutôt conditionnés pour encourager le garçon à se relever rapidement et à reprendre ses jeux alors que nous allons davantage réconforter la petite fille.
Ce type de schéma genré est profondément ancré dans nos pratiques et se répercutent à l’âge adulte. Un certain nombre d’hommes adultes se demandent s’ils ont le droit de dire qu’ils ont mal. Ils ont peur d’exprimer une plainte. Pourtant, ils ne sont pas plus résistants à la douleur, ils l’expriment moins afin de se mettre en conformité avec une image virile, dure à cuir, capable de supporter les maux sans se plaindre. « Chochotte », « fillette », « fiotte », « lopette » .… Lorsqu’un homme se plaint, on lui attribue naturellement des caractéristiques dépréciatives volontiers homophobes ou qui remettent en question son identité de genre. Ce poids d’une société souvent viriliste pèse sur les choix de santé des hommes, et, ceci est bien ancré.
Ainsi, les sociologues constatent chez les hommes une nette tendance à se percevoir comme moins vulnérables que les femmes et comme étant en meilleurs santé qu’elles. Ils relèvent également que plus les hommes adhèrent aux normes masculines traditionnelles, sont hétérosexuels et mariés, moins ils sont enclins à adopter des conduites que nous appellerions responsables en matière de soins, au profit de comportements à risque et d'un éloignement de la prévention. Ils seraient alors influencés par des scripts de genre masculin, qui induisent également une plus grande méfiance envers l'expertise du corps médical.
De l’autre côté, on note que les femmes sont, tout au long de leur vie, davantage proches du soin. D’une part parce qu’elles sont habituées à consulter même lorsqu’elles ne sont pas malades comme lorsqu’elles font des visites de contrôle chez le gynécologue. Et d’autre part, parce qu’elles sont généralement en charge du « care » au sein de la famille : par exemple, ce sont elles qui accompagnent les enfants chez le pédiatre ou qui prennent soin des personnes âgées. En outre, le poids des stéréotypes ne pèse pas de la même manière sur leurs épaules et elles sont moins stigmatisées si elles consultent régulièrement.
Peut-on désormais œuvrer pour changer les mentalités et permettre aux hommes de s’écarter de ces scripts de genre pour prendre davantage soin de leur santé ? Très certainement puisque ces inégalités de genre face au soin relèvent de questions d'apprentissage des normes et d'éducation à la santé. On pourrait utiliser le contrôle social par les pairs, comme cela a été fait avec Movember, le mois de sensibilisation aux maladies masculines. L’idée serait de montrer que l’on n’est pas moins « homme », « viril », « mari » ou « père » si l’on surveille sa santé. On pourrait aussi globalement œuvrer contre les stéréotypes de genre mais c’est un débat autrement plus large…