Les maladies mentales représentent aujourd'hui la première cause mondiale de handicap acquis, touchant particulièrement les 15-30 ans. Dans ce troisième épisode de Healthier Humanity, le Professeur Marion Leboyer, figure majeure de la psychiatrie française, nous dévoile les avancées révolutionnaires d'un domaine en pleine mutation. Écoutez l'épisode ici 👇 🎙️Spotify 🍎Apple podcast 🎧YouTube Podcast 📺 Substack
Directrice de la Fondation FondaMental, chef du département de psychiatrie à l'hôpital Henri-Mondor et lauréate du Grand Prix de l'Inserm, elle a publié plus de 500 articles scientifiques qui ont transformé notre compréhension des troubles mentaux.
Pionnière de la médecine de précision en psychiatrie, le Professeur Leboyer développe une approche novatrice qui considère la santé mentale comme partie intégrante de notre santé globale. Ses recherches ont notamment mis en lumière les liens étroits entre maladies mentales et physiques, ouvrant la voie à des traitements plus ciblés et efficaces.
Dans cette conversation riche en enseignements, le Professeur Leboyer nous explique :
Alors que notre compréhension des maladies mentales progresse rapidement, le Professeur Leboyer nous offre une vision à la fois scientifique et humaine. À travers une approche rigoureuse et novatrice, elle révolutionne notre compréhension des maladies mentales et leurs liens avec la santé globale.
Car au-delà des 160 milliards d'euros que coûtent chaque année ces maladies à la France, c'est notre rapport collectif à la santé mentale qui est en jeu. Le message du Professeur Leboyer est clair : en investissant massivement dans la recherche et en déployant les innovations thérapeutiques, nous pouvons transformer la vie de millions de personnes.
Que vous vous interrogiez sur votre santé mentale, que vous cherchiez à comprendre celle d'un proche, ou que vous soyez simplement curieux des dernières avancées scientifiques, cet épisode passionnant vous donne les clés pour mieux comprendre et préserver ce qui est peut-être notre ressource la plus précieuse : notre santé mentale.
Jean-Charles : Bonjour et bienvenue au tout premier épisode de Healthier Humanity, un podcast dédié à l'exploration de différentes perspectives sur des façons de vivre pleinement sa vie et d'optimiser notre santé et notre bien-être. Je suis votre hôte, Jean-Charles Samuelian, et je suis ravi que vous vous joigniez à nous dans ce voyage.
Imaginez un monde où nous vivons non seulement plus longtemps, mais aussi en meilleure santé, avec moins de stress, moins de maladies, plus d'énergie, et on espère une joie de vivre débordante. C'est la vision qui anime ce podcast. Dans chaque épisode, nous parlerons avec des experts renommés dans des domaines divers liés à la santé, au bien-être, des chercheurs de classe mondiale, des leaders visionnaires, pour recueillir leurs idées sur la façon dont nous pouvons mieux prévenir et prospérer ensemble.
Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'avoir comme première invitée le professeur Marion Leboyer, psychiatre et chercheuse de renom qui a énormément contribué au domaine de la santé mentale. Elle a gagné le Grand Prix de la recherche de l'Inserm, elle est actuellement chef du département de psychiatrie à l'hôpital Henri-Mondor, elle est directrice de la Fondation FondaMental et a publié plus de 500 articles scientifiques. Ses recherches ont considérablement fait avancer notre compréhension des troubles mentaux et ouvert de nombreuses voies pour le traitement.
Jean-Charles : Pour commencer, j'aimerais avoir votre point de vue sur la façon dont vous définissez la santé mentale. Selon vous, quels sont les éléments clés du bien-être mental, de la santé mentale ?
Marion Leboyer : Permettez-moi de prendre ma casquette de docteur. L'objectif du médecin que je suis, c'est d'aboutir à une bonne santé mentale ou de préserver une bonne santé mentale quand on n'est pas malade. Il y a une certaine confusion en général en ce moment dans les termes qu'on utilise, entre ce qu'on appelle les maladies mentales et ce qu'on appelle la santé mentale.
Curieusement, on est passé dans la communication actuelle du terme de fou ou de folie à la notion de santé mentale en oubliant de parler des malades et des maladies mentales, qui sont notre objet à nous. Ça peut être un autre objet pour quelqu'un d'autre, mais moi, je suis psychiatre avant tout.
L'autre notion par rapport à la notion de santé mentale, c'est qu'aujourd'hui, on est beaucoup plus dans une perspective holistique. Il me semble qu'on doit parler de santé globale. C'est important d'avoir une bonne santé mentale et une bonne santé physique ou somatique. Et on a encore une vision très clivée entre ce qui ressort du mental, qu'on imagine à tort être uniquement l'esprit ou le cerveau, et de ce qui est la santé somatique, physique, qui serait périphérique et qui serait coupée bizarrement au niveau du cou. Ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe.
Jean-Charles : C'est passionnant et un des points que vous avez mentionné, c'est justement ce périmètre entre qu'est-ce qui rentre dans les maladies mentales ou pas, qui est un périmètre flou. Comment vous le définissez ? Où commence votre travail et où s'arrête-t-il ?
Marion Leboyer : C'est une question extrêmement importante parce que la difficulté, il y en a beaucoup, mais une des difficultés qu'on a en psychiatrie, c'est qu'on n'a pas de marqueur. On n'a pas de thermomètre pour mesurer la fièvre, on n'a pas de tensiomètre pour mesurer la tension artérielle et on est encore dans des notions de continuum.
Pour le moment, notre manière de mesurer, d'identifier, de diagnostiquer une maladie, c'est quand il y a un trouble du fonctionnement. C'est-à-dire quand quelqu'un va avoir des difficultés à fonctionner dans son environnement familial, professionnel, social et qu'il souffre, et qui a une vraie difficulté et une vraie souffrance.
Et pour le mesurer, c'est l'objectif du chercheur que je suis aussi, c'est d'identifier ce qu'on appelle des marqueurs ou des biomarqueurs qui vont nous aider, comme c'est le cas aujourd'hui dans le cancer ou même maintenant dans les maladies neurodégénératives, à identifier de façon très précise, comme dans toutes les autres maladies, à partir de quand on peut parler de maladies ou à partir de quand on ne peut pas en parler.
Et dans le domaine des autres maladies, ça a pris beaucoup de temps à identifier ces marqueurs, qui peuvent être des marqueurs biologiques, des marqueurs cérébraux, des marqueurs physiologiques. On a une épilepsie, on n'en a pas. On a une hypertension artérielle, on n'en a pas. On a une maladie d'Alzheimer, on n'en a pas. On est presque au moment où on va arriver à trouver ces biomarqueurs. Et c'est vraiment un enjeu très important pour qu'il n'y ait plus de doute entre on a besoin de stratégies de prévention parce qu'on est porteur de marqueurs de risque et on a besoin de développer des stratégies qui vont empêcher quand on est malade. On est malade et voilà ce qu'il faut faire sur le plan diagnostique, thérapeutique et pour empêcher l'évolution de la maladie.
Jean-Charles : Donc ce serait vraiment un changement de paradigme entre une analyse qui était plus de compréhension de la personne dans son environnement et de sa souffrance, vers des vrais marqueurs scientifiques. Alors, l'autre était une autre méthode scientifique, mais donc c'est un changement de paradigme du métier, vous pensez, et de l'approche de la maladie mentale ?
Marion Leboyer : Ce n'est pas un changement de paradigme parce que tous les acquis de la psychiatrie qui sont la connaissance de l'environnement, la connaissance sociétale, l'impact qu'on peut avoir pour toute une série de prises en charge, elle va rester là, cet acquis-là, elle demeure. Ce qui va être beaucoup plus précis, en tout cas c'est ce qu'on espère, c'est que le champ des maladies mentales rejoigne le champ des maladies comme les autres. Ce qui est un concept qu'on a du mal à accepter aujourd'hui.
Et pourtant, ce sont des maladies comme les autres. On n'est pas coupé en deux. On n'a pas la tête d'un côté et le reste du corps de l'autre. Donc, on est un seul individu avec une seule santé. Et on a besoin d'outils qui permettent d'identifier avec précision quand est-ce que quelqu'un a besoin de stratégies thérapeutiques précises.
Jean-Charles : Et vous disiez qu'on avait du mal à l'accepter. En parallèle, on a l'impression que dans ces dernières années, le discours public et la perception ont changé. Comme on l'a dit, on a fait un saut presque quantique de la folie à la santé mentale, en oubliant peut-être le spectre des maladies. Mais en parlant, on le prouve plus, on en parle plus dans les entreprises.
Pourquoi vous pensez qu'on a encore du mal à accepter que la santé mentale fait partie d'une santé plus holistique ? Quels sont les changements que vous voyez dans la société en ce moment et comment on peut continuer à les pousser ou quels sont les freins à ceci ?
Marion Leboyer : Alors d'abord, qu'est-ce qui explique qu'on n'en parle plus ? Je pense que la pandémie de Covid a complètement changé les représentations et la communication. On a beaucoup parlé, on a beaucoup tenu compte et écouté les difficultés qui étaient liées à toute une série de sources évidentes d'anxiété pendant la pandémie. Donc on en a beaucoup parlé en fait. On a plus parlé de troubles anxieux, on a plus parlé de troubles dépressifs, les jeunes s'expriment beaucoup plus sur les réseaux sociaux, sur ces sujets.
Pour autant, on ne continue pas à parler de maladies, et probablement parce qu'on ne comprend pas encore la physiopathologie, les causes, les explications de ces maladies, même si là aussi on a fait des progrès considérables, et que ces progrès, elles ont à vaincre des années de représentations qui probablement sont des fausses représentations.
Un des grands domaines, par exemple, où on a curieusement beaucoup de mal à évoluer, c'est de comprendre que quand on a une maladie mentale, on a très souvent associé une autre maladie somatique, qui souvent a commencé avant la maladie mentale et/ou s'associe à cette pathologie. Et on a l'impression, très clairement, que cette notion relativement simple, qui est que quand on a un trouble bipolaire, par exemple, ou une schizophrénie, on est plus à risque d'avoir ce qu'on appelle un syndrome métabolique, qui sont des choses relativement simples à mesurer, c'est hypertension artérielle, obésité, anomalies lipidiques ou anomalies glycémiques qu'on devrait tous être capables de surveiller dessus.
Jean-Charles : C'est fascinant et j'ai des dizaines de questions, donc je vais essayer de les prioriser. Vous parliez de prendre soin de sa santé mentale, peut-être construire une sorte de résilience. Est-ce que prendre soin de sa santé mentale, c'est optimiser son bien-être ? En gros, quelles sont vos clés pour un peu tout le monde, les citoyens, pour prendre soin de leur santé mentale dès aujourd'hui ?
Marion Leboyer : Alors aujourd'hui, on sait que les règles d'hygiène de vie sont absolument clés, à la fois pour préserver une bonne santé mentale, mais aussi quand on est malade. Aujourd'hui, il y a un trépied reconnu pour le traitement d'une maladie, qui est le bon médicament au bon moment, la bonne psychothérapie au bon moment, le bon choix de la psychothérapie et les règles d'hygiène de vie.
Et ça, c'est aussi quelque chose qui arrive doucement, mais qui est encore trop lent à pénétrer nos sociétés. Et ces règles d'hygiène de vie touchent l'activité physique. Et c'est exactement la même chose que si on est à risque d'avoir une maladie cardiovasculaire ou qu'on veut préserver sa santé cardiovasculaire. Il faut avoir une activité sportive régulière qui peut être de marcher 30 minutes par jour. On ne demande pas de devenir un athlète pour les Jeux Olympiques, c'est vraiment quelque chose qui est à la portée de tous, à condition qu'on accepte d'avoir une routine un petit peu régulière.
Deuxièmement, on sait que l'alimentation est extrêmement importante. Et à la Fondation FondaMental, on est en train de beaucoup travailler là-dessus, en organisant des journées d'information qui s'appellent Food for Mood, pour montrer à quel point l'alimentation, ce qu'on mange, et des choses relativement simples, là aussi sont très proches de ce qui se passe pour avoir une bonne santé cardiovasculaire. C'est le régime méditerranéen, c'est toute une série de choses qu'on connaît parfaitement.
Troisièmement, il y a la régularité du sommeil qui est extrêmement importante. Et puis quatrièmement, il y a tout ce que vous avez appelé tout à l'heure, prendre soin du stress et apprendre un certain nombre de techniques que peut-être on devrait apprendre à la maternelle en fait. C'est comment est-ce qu'on gère le stress qui nous entoure, qui est extrêmement important. Comment est-ce qu'on peut apprendre toute une série de techniques relativement simples pour contrôler son niveau de stress dont on sait qu'il est très délétère et qui peut entraîner toute une série de pathologies.
Donc ça, c'est le grand axe, règle d'hygiène de vie. Il y en a un autre, et c'est probablement ce que vous voulez faire avec ce podcast, c'est comment est-ce qu'on informe les gens, et comment est-ce qu'on leur donne un espace pour avoir le droit de parler de leurs difficultés et de leurs maladies mentales. Et ça non plus, ce n'est pas quelque chose qu'on est encore capable de faire suffisamment, ce qui entraîne un retard de la prise en charge, un retard de diagnostic, parce qu'on a encore honte de ces pathologies, et prendre rendez-vous avec un psychiatre ou avec un psychologue quand on ne va pas bien, ou en parler à son généraliste, ou en parler à ses proches. C'est encore quelque chose qui est retardé, mais qui reste très tabou, probablement parce qu'on ne comprend pas bien ces pathologies. Et quand ça vous tombe sur la tête, sans jeu de mots, on a beaucoup de mal à le reconnaître et à aller chercher de l'aide.
Jean-Charles : Il y a en effet énormément de choses à faire. Je vais rebondir d'abord sur un premier point qui était lié à l'hygiène de vie. En effet, ce que vous racontez autour du sommeil, de la nutrition, de la gestion du stress, qui sont des clés fondamentales, sans mauvais jeu de mots, sur cette approche holistique, en effet, d'une santé mentale et somatique. Vous parliez de techniques de gestion du stress. Est-ce que vous pourriez en partager une ou deux que les auditeurs pourraient rechercher rapidement et que ce soit des exercices de respiration, des méditations, des choses...
Marion Leboyer : Il y a toute une série de stratégies qui sont bien codifiées et bien décrites et qu'on peut apprendre tout seul. C'est pour ça qu'à la Fondation FondaMental, on a fait toute une série de plateformes pour apprendre et communiquer sur ces stratégies qui ne sont pas très compliquées à apprendre et qui peuvent, avec une petite vidéo ou une petite audio, être apprises et peuvent être complétées par le fait qu'on va voir un psychologue ou qu'on va aller voir quelqu'un qui va vous vérifier qu'on le fait correctement et qu'on l'apprend correctement.
Encore une fois, exactement comme si on allait voir un kiné qui va vous apprendre un certain nombre d'exercices à faire à la maison. Donc ça, c'est le cas de la méditation, c'est le cas des techniques de respiration, c'est le cas quelquefois des thérapies cognitives ou comportementales quand il y a une difficulté un petit peu plus importante. Donc ça s'auto-apprend et puis si ça ne suffit pas, le message c'est vraiment de ne pas hésiter, surtout qu'il y a maintenant plein de dispositifs pour avoir accès plus facilement à un psychologue, d'aller plus loin dans une technique qui permet de maîtriser le stress, mais aussi de traiter un certain nombre de symptômes qui peuvent être des symptômes anxieux, des symptômes dépressifs, des troubles du sommeil. Et pour chacune de ces difficultés, il y a énormément de méthodes et d'outils qui doivent être prescrits ou qui peuvent être, encore une fois, utilisés tout seuls avec son ordinateur et donc accessibles au plus grand nombre.
Jean-Charles : C'est en effet ce qu'on a essayé de créer dans Alan avec tout l'espace santé mentale où l'on donne accès à tous ces exercices. Comme vous le dites, il y a une combinaison de beaucoup de choses qu'on peut faire soi-même et après d'accompagnement. Tout à l'heure, vous parliez, j'aimerais bien augmenter ma concentration sur le sujet de la corrélation entre maladie mentale et maladie somatique. Et la question que j'avais, et je ne sais pas si la recherche vous a déjà amené là, mais c'est quel est le niveau de corrélation de causalité et s'il y a causalité, dans quel sens elle est ?
Marion Leboyer : Alors c'est dans les deux sens. En fait, ce qu'on sait aujourd'hui, c'est que les maladies mentales, elles se déclenchent quand il y a une interaction entre notre terrain génétique, donc les facteurs qui nous permettent de résister ou pas à des agressions de l'environnement. Et la première de ces agressions, mais il y en a beaucoup d'autres, c'est les infections.
On l'a vu pendant le Covid, pour revenir à un exemple de ce qui nous est arrivé il n'y a finalement pas très longtemps. Et ces infections, certaines de ces infections, dont le Covid, mais aussi des infections virales ou des infections bactériennes, on sait qu'elles peuvent interagir avec notre terrain génétique, ce qui fait qu'on va être capable de se défendre ou pas par rapport à ces infections.
Donc, par exemple, les énormes bases de données des pays nordiques en Europe montrent très clairement que quand on a un antécédent de maladie infectieuse ou d'hospitalisation pour maladie infectieuse, on augmente le risque de développer par exemple des dépressions ou des schizophrénies. Donc ça c'est quelque chose qui est parfaitement connu et parfaitement codifié.
On sait aussi maintenant le mécanisme physiopathologique à partir duquel une infection déclenche une réaction inflammatoire. On a beaucoup entendu parler pendant le Covid des tempêtes cytokiniques. Et puis donc on se défend ou on ne se défend pas bien en produisant pas assez ou suffisamment de ces fameux marqueurs de défense de l'organisme. Et après, normalement, il y a un signal stop qui dit on arrête l'inflammation.
Chez certaines personnes, ce signal stop ne va pas fonctionner et donc persiste à la fois des marqueurs de cette infection et des marqueurs de cette inflammation qui vont avoir toute une série de conséquences sur le déclenchement de maladies somatiques et sur le déclenchement de maladies psychiatriques. Donc ça, c'est absolument connu.
Et de nouveau, en fonction de ce qu'on appelle les marqueurs de l'immunité adaptative, il va se passer une autre étape. Pas chez tout le monde, bien sûr, ça dépend de son terrain génétique, qui est la production d'auto-anticorps, d'anticorps contre le soi, et en particulier d'anticorps contre les récepteurs cérébraux qui peuvent déclencher ce qui est une découverte française qu'on appelle les psychoses auto-immunes, qui sont des maladies psychiatriques qui sont associées dues à la production d'auto-anticorps contre différents récepteurs cérébraux.
Et ça, c'est un changement paradigmatique très clair, et on est capable aujourd'hui, lentement mais sûrement, de démontrer ce qui déclenche ces maladies auto-immunes qui sont des maladies auto-immunes qui se soignent comme d'autres maladies auto-immunes. Et là, avec les différentes équipes sur le plan national, en particulier l'Université de Bordeaux et la Fondation FondaMental, on va commencer un premier essai thérapeutique chez des patients porteurs de ces marqueurs biologiques qui sont des auto-anticorps qui sont très probablement déclenchés par une infection ancienne qui a persisté.
Autre exemple pour continuer sur le fil de ces maladies auto-immunes, on sait que très souvent, préexiste au déclenchement une maladie mentale, une maladie auto-immune. Il y a une augmentation du risque de développer des troubles dépressifs, des troubles bipolaires, des troubles schizophréniques. Et ces maladies, elles peuvent aussi se déclencher pendant une maladie psychiatrique et elles nécessitent une prise en charge.
Donc il y a tout ce terrain de l'auto-immunité qui est extrêmement important. L'autre grand domaine dont on a déjà un petit peu parlé, c'est ce qu'on appelle le syndrome métabolique. Aujourd'hui, on sait qu'un certain nombre de maladies mentales sont des maladies de l'énergie. Ce qui n'est pas très étonnant quand on sait ce que c'est que la dépression, ou même le trouble bipolaire qui est par essence une maladie où il va y avoir trop d'énergie quand on est à une phase qu'on appelle maniaque, ou pas assez d'énergie quand on a une phase dépressive et qu'on est tellement ralenti sur le plan moteur qu'on n'arrive plus à se lever de son canapé.
Et en fait, ça c'est dû au fait qu'il y a à l'intérieur de nos cellules des petites organelles qui sont les producteurs de l'énergie qui probablement sont dysfonctionnels. Et c'est ce qui entraîne cette comorbidité, cette association entre ce qu'on appelle le syndrome métabolique et les maladies psychiatriques, en particulier certaines dépressions ou certains troubles bipolaires ou certaines formes de schizophrénie, qui déclenchent, quand elles ne sont pas prises en charge à temps, l'augmentation du risque de maladies cardiovasculaires.
Donc ça, c'est quelques-uns des exemples de toute l'association qui existe entre maladies inflammatoires, entre anomalies de production de l'énergie et syndrome métabolique. Puis il y a un troisième grand champ, puis je m'arrête là, parce qu'il y a beaucoup, beaucoup d'exemples. C'est le lien cerveau-intestin qu'on connaît de mieux en mieux aujourd'hui.
Et on sait aujourd'hui qu'en association avec les maladies mentales, il y a des anomalies de ce qu'on appelle la flore intestinale, c'est ce qu'on appelle la dysbiose, où on sait que la flore intestinale est altérée, modifiée à la fois dans sa variété et dans sa quantité de bactéries, associée souvent à des anomalies inflammatoires de l'intestin, et va entraîner souvent des dépressions, mais aussi d'autres pathologies.
On connaît bien aujourd'hui le lien entre l'autisme et les anomalies de la flore intestinale. Pas dans tous les cas, et c'est ça qui conduit à la psychiatrie de précision dont on parlera tout à l'heure, parce qu'il ne faut pas entendre de ce que je dis que ça touche tous les malades. C'est certains patients qui ont une histoire particulière, qui ont des antécédents familiaux, donc un terrain génétique particulier, qui ont aussi l'exposition, et on revient à cette notion de facteur de risque environnementaux, probablement que le fait de vivre en ville, le fait d'avoir une alimentation déséquilibrée, de ne pas faire assez de sport, ça va contribuer à déclencher une séquence d'événements qui, et c'est un message d'optimisme, peuvent être prévenus, améliorés et contrôlés.
Jean-Charles : C'est fascinant. Merci beaucoup de ce partage. J'aimerais qu'on creuse un peu maintenant des sujets que vous avez commencé à toucher, qui sont autour de la neurobiologie de la dépression et qu'est-ce qui se passe vraiment dans notre cerveau. C'est un de vos grands domaines d'expertise. Est-ce que vous pourriez nous donner un aperçu de ce qui se passe dans le cerveau, mais apparemment pas seulement dans le cerveau d'ailleurs, c'est ça qui est vraiment très intéressant, d'une personne qui souffre de dépression ? Quels sont les déséquilibres neurochimiques qui sont impliqués et comment ça se mesure ? Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'on en comprend aujourd'hui ?
Marion Leboyer : Alors premier point, la dépression ça n'existe pas et aujourd'hui il faut parler des dépressions comme on parle des troubles du spectre de l'autisme ou des schizophrénies avec un S ou des troubles bipolaires. Donc on est dans des entités diagnostiques catégorielles qui sont définies par une symptomatologie clinique et pour lesquelles on essaye de comprendre les mécanismes étiologiques, les voies biologiques, la physiopathologie, pour développer les biomarqueurs diagnostiques dont on a parlé tout à l'heure, mais aussi pour avoir des traitements beaucoup plus ciblés sur les causes.
On n'en est pas là encore, mais on n'est pas très loin. Donc si on essaye de décrire des années de recherche dans le monde entier sur, par exemple, les dépressions, on sait qu'il y a plusieurs domaines biologiques qui ont été décrits simultanément ou progressivement.
Le premier d'entre eux et le plus ancien, c'est ce qu'on appelle les anomalies des neurotransmetteurs, qui sont ces petites molécules qui permettent la transmission de l'information d'un neurone à l'autre. Et on sait que dans les dépressions, il y a des anomalies de ces neurotransmetteurs qui touchent la voie de la dopamine, la voie de la sérotonine, la voie de la noradrénaline. Et c'est sur ces neurotransmetteurs que la majorité des traitements antidépresseurs depuis des années ont été construits et conçus et ciblent ces neurotransmetteurs.
On sait aussi que ces neurotransmetteurs et ces anomalies sont très probablement consécutives à ces anomalies inflammatoires dont je parlais tout à l'heure. Et le domaine de l'immuno-psychiatrie est un des domaines qui a beaucoup évolué et s'est beaucoup développé depuis ces deux dernières années. Et ce qu'on sait aujourd'hui sur cette immuno-psychiatrie, sur cette origine inflammatoire de ces maladies, c'est qu'elles sont associées à quasiment toutes les maladies, dont les dépressions, mais pas chez tous les malades, c'est à peu près 40% des patients, présentent une inflammation de bas niveau, ça n'a rien à voir avec quand on a la grippe ou quand on a le Covid, c'est une inflammation très bas niveau, mais qui va avoir des conséquences au niveau cérébral, parce que cette inflammation peut passer dans le cerveau, et au niveau du cerveau, par toute une série de voies biologiques, elle va aboutir à cette fameuse diminution des neurotransmetteurs. Donc c'est ça l'origine probablement de ces anomalies.
Et cette inflammation, elle est due soit à des persistances d'infections, soit à des anomalies au niveau intestinal, de nouveau dans un lien très fort entre ce qui se passe au niveau du cerveau et ce qui se passe au niveau de la périphérie, avec toute une série de voies biologiques qui vont être activées et qui permettent d'espérer identifier des formes cliniques homogènes et développer des stratégies thérapeutiques beaucoup plus ciblées que ce qu'on fait aujourd'hui avec ces traitements antidépresseurs qui sont la première ligne de traitement.
Donc c'est la première chose qu'on fait quand un patient a un épisode dépressif, mais qui sont efficaces en gros dans 50% des cas. Donc c'est déjà formidable de traiter et de soigner 50% des patients, mais ce n'est pas suffisant et il faut qu'on fasse mieux, probablement en ajoutant, quand il y a cette inflammation de bas niveau, d'autres types de traitements sur lesquels il y a énormément de recherches en ce moment pour arriver à mieux caractériser les patients et pour développer des stratégies thérapeutiques.
Et puis il y a d'autres voies qui sont aussi très connues depuis ces dernières années, qui sont les voies de la neuroplasticité et qui montrent qu'il y a une baisse d'un certain nombre de marqueurs qui sont impliqués dans le BDNF par exemple, ou les voies de la neuroplasticité, qui sont la cible d'un certain nombre de traitements. On sait aussi de mieux en mieux les causes de ces anomalies, parce qu'on a des données en imagerie cérébrale qui montrent qu'il y a des anomalies de la connectivité entre différentes régions et qui ont conduit au développement et à la description de circuits qui dysfonctionnent, par exemple dans la gestion des émotions, où on sait qu'il y a des dysfonctionnements, par exemple dans le trouble bipolaire, qui peuvent être la cible de traitements très ciblés.
Il y a aussi toute la découverte faite grâce au progrès de la génomique. Alors le poids de la génétique n'est pas extrêmement important dans la dépression par rapport aux autres maladies mentales. Pour donner un chiffre très global, on sait que quand on a quelqu'un dans sa famille, dans les premiers degrés, donc les parents, les enfants, les frères ou les sœurs qui ont une dépression, on a un risque multiplié par 3. Donc c'est loin d'être négligeable, mais ce n'est pas du tout aussi important que d'autres maladies.
Et cette observation épidémiologique a conduit à créer et a lancé beaucoup d'études mondiales sur le terrain génétique de la dépression, qui en gros a montré qu'il y a beaucoup de gènes qui ont chacun un rôle très faible, mais qui ensemble jouent un rôle et permettent là aussi d'identifier des voies particulières.
Il y a tout ce qui est rôle des facteurs de risque environnementaux, parce qu'on sait que la génétique à elle seule ne peut absolument pas expliquer le déclenchement de dépression ou d'autres maladies mentales, et on en a un petit peu parlé tout à l'heure. Le rôle des facteurs environnementaux, il est extrêmement important, et on le connaît de mieux en mieux. Et un de ces facteurs, c'est le stress. Et quand on parle de stress et de maladies mentales, c'est des stress sévères, avec des événements souvent pendant l'enfance qui vont prédisposer plus tard, quand on a été exposé à des situations de stress importants au risque de développer une maladie mentale et en particulier une dépression, avec là aussi des sanctions ou des stratégies thérapeutiques spécifiques qu'il faut mettre en place.
Jean-Charles : Il y a encore une fois beaucoup de choses à creuser. Vous parliez et vous avez fait beaucoup de recherches sur le sujet, sur le rôle des émotions et de la régulation émotionnelle dans la dépression. Est-ce que vous pourriez creuser encore un peu plus, vous avez commencé à le toucher, mais sur ce lien ? Entre la dysrégulation émotionnelle et comment ça contribue aux symptômes dépressifs, comment traiter ça ?
Marion Leboyer : La dysrégulation émotionnelle, c'est le cœur du diagnostic d'un certain nombre de ce qu'on appelle les troubles de l'humeur. C'est le cas par exemple des troubles bipolaires, c'est le cas des dépressions au sens large, avec toute une pléiade de symptômes qui sont présents chez certains patients, pas chez tous, parce qu'il y a une coloration émotionnelle différente d'un patient à l'autre.
Donc le symptôme le plus connu et le plus souvent présent, c'est ce qu'on appelle l'anhédonie, qui est l'incapacité à éprouver des émotions ou du plaisir pour des choses qu'on aimait bien auparavant. Et donc, on n'a plus de plaisir à regarder un beau paysage, à écouter de la musique, à être avec des proches. Et ça, c'est probablement lié au circuit de la dopamine. Donc, on connaît la physiopathologie de cette dysrégulation émotionnelle qui est aussi associée à des marqueurs de l'inflammation.
Il semble qu'il y ait une dimension autour de l'anhédonie qui soit très liée à des anomalies de dysfonctionnement de la connectivité entre certaines régions du cerveau et entre la production de cette inflammation de bas niveau. Donc l'intérêt de connaître ces circuits des émotions, c'est d'arriver à développer des paradigmes en imagerie cérébrale par exemple, ou en biologie, où on est en train d'affiner les diagnostics et l'identification de ces dysfonctionnements pour pouvoir développer des stratégies thérapeutiques qui vont depuis des traitements biologiques ciblés. Par exemple, il y a certaines équipes américaines qui utilisent ce qu'on appelle des agonistes dopaminergiques qui visent à restaurer la perception des émotions jusqu'à des paradigmes à partir de données d'imagerie cérébrale qui visent à traiter de façon très spécifique la restauration de ces émotions dysfonctionnelles.
Jean-Charles : Génial merci beaucoup Marion. Je vais passer à un sujet que vous aviez mentionné aussi, qui était la nouveauté de la médecine de précision en psychiatrie. C'est un axe majeur de vos travaux. On a beaucoup entendu parler de médecine de précision dans d'autres pans de la santé et de la médecine. Qu'est-ce que ça veut dire la médecine de précision en psychiatrie dans le contexte de la maladie mentale ?
Marion Leboyer : Aujourd'hui en psychiatrie, on porte des diagnostics à partir de données qui viennent de ce qu'on appelle les manuels diagnostics. Vous avez peut-être entendu parler du DSM, qui est un manuel diagnostic qui fait l'objet de réévaluations tous les dix ans à peu près, qui est issu de consensus internationaux entre des observations très comportementales.
Comment on fait un diagnostic de dépression, comment on fait un diagnostic de schizophrénie, essentiellement basé sur des observations comportementales qui conduisent à créer des catégories diagnostiques. Pour autant, même si ces outils sont majeurs pour que, quand un psychiatre à Hong Kong ou à Paris parle d'un patient, il va utiliser les mêmes définitions diagnostiques, donc ça a permis une homogénéisation de la façon dont on parle, ou dont on parle à des assureurs pour dire que quelqu'un est malade.
Donc c'est extrêmement important de se dire qu'on a les mêmes critères diagnostiques et qu'on parle le même langage. Pour autant, ces entités diagnostiques, elles restent très hétérogènes. C'est pour ça qu'on rajoute "troubles" en ce moment partout devant toutes les entités diagnostiques et qu'on rajoute des "S" à la fin. Donc on sait que c'est des pathologies très hétérogènes, c'est des pathologies chevauchantes. On peut avoir plusieurs pathologies qu'il faudra prendre en charge spécifiquement.
Et surtout, la recherche biologique de ces 10, 20, 50 dernières années n'a jamais réussi à obtenir une validation biologique de ces entités. Il n'y a aujourd'hui pas de marqueurs biologiques qui permettent de dire "vous êtes déprimé, vous ne l'êtes pas." Il n'y a pas d'outils, je prenais l'exemple du thermomètre tout à l'heure ou du tensiomètre, on n'a pas ça. Et pourtant, il y a eu énormément de recherches au plan mondial qui ont essayé de trouver des marqueurs de validité.
Donc on a des constructs qui sont raffinés très régulièrement par les rééditions du DSM. Là, les Américains viennent de lancer le début du DSM 6 qui va sortir dans quelques années. On peut dire probablement plein de choses qui nous intéressent, et on travaille de façon très étroite avec eux, donc c'est tout à fait passionnant et intéressant, mais pas de validité biologique.
Donc la médecine de précision, elle s'inscrit dans ce champ de questionnement qui est de reconnaître l'hétérogénéité de ces pathologies, de reconnaître aussi que les traitements qu'on utilise sont des traitements essentiellement symptomatiques, mais ne sont pas des traitements qui ciblent la cause. Aujourd'hui, vous avez cité le cancer, on continue à utiliser le terme de cancer du poumon, ou de cancer de mélanome. Mais on sait que derrière ces termes qui, pour les patients ou pour les médecins, sont utilisés tous les jours, on a des cibles biologiques qui peuvent être mesurées de façon extrêmement précise et ensuite traitées de façon très précise.
C'est la même chose dans un autre domaine qui touche le cerveau, qui sont les démences. On sait aujourd'hui diagnostiquer une maladie d'Alzheimer à partir d'un marqueur biologique, quel que soit le stade d'évolution de la maladie, quel que soit le niveau du handicap, quelle que soit la sévérité de la maladie. Donc cette médecine de précision qui est à l'œuvre pour les maladies cardiovasculaires, pour les cancers, pour les maladies neurodégénératives, elle doit aussi être l'objet de recherche en psychiatrie pour qu'on arrive à être beaucoup plus précis sur le diagnostic d'une entité qui va pouvoir être diagnostiquée très précisément sur le plan clinique, sur le plan des marqueurs et donc sur le plan thérapeutique, parce qu'on comprendra mieux.
Quand on parle de marqueurs, pour identifier ces formes cliniques homogènes, on va utiliser plein de marqueurs. On peut utiliser des marqueurs sanguins, des marqueurs cérébraux, on peut utiliser des marqueurs électrophysiologiques, on peut utiliser le digital, les outils numériques qui permettent d'être aussi beaucoup plus fins et de compléter l'observation clinique que je vais faire cet après-midi à ma consultation, où on est très peu fin, c'est-à-dire qu'on va demander au patient comment vous avez dormi il y a 15 jours, alors que le jour où on aura un outil qui permette d'être très précis et de pouvoir demander au patient de nous montrer finalement sa courbe de sommeil ou sa courbe de pas, on sera beaucoup plus précis pour faire de la clinique très efficace.
Donc la médecine de précision, pour terminer, c'est l'utilisation de marqueurs pour identifier des sous-groupes homogènes de patients pour lesquels on va être plus efficace dans la compréhension des causes de la maladie et du coup dans le développement de stratégies thérapeutiques ciblées. La définition de la médecine de précision, c'est le bon traitement pour le bon patient au bon moment. On n'en est pas là aujourd'hui.
Jean-Charles : Est-ce que ça implique du coup en second temps, une fois qu'on aura bien identifié les problématiques, de repenser aussi la manière dont on conçoit les traitements, ce qu'on voit, on parlait des différentes typologies de cancer, mais on va faire des traitements de plus en plus ciblés suite à un séquençage ADN de la tumeur. Vous pensez qu'on va arriver là et que la recherche va dans ce sens ?
Marion Leboyer : On est tout près de là. Par exemple, vous citiez la génétique. Aujourd'hui, on travaille très étroitement avec France Génome et on est capable, chez certains patients, pour le moment c'est réservé à certains patients avec certains profils cliniques, d'identifier des anomalies génétiques qui changent complètement la représentation que les patients et leurs familles vont avoir de la maladie. Donc c'est des choses qui sont déjà accessibles, qui vont l'être de plus en plus, et qui vont permettre d'être beaucoup plus précis dans le diagnostic et dans le traitement.
Jean-Charles : Et vous parliez de ces nouvelles technologies, du phénotypage numérique, de l'émergence de l'intelligence artificielle, et on voit une vague avec l'intelligence artificielle générative en ce moment. Comment vous pensez que ça va impacter la psychiatrie de précision ? Où est-ce que vous voudriez voir des nouvelles équipes, des nouveaux laboratoires ou des nouvelles startups ou entreprises travailler pour améliorer ça ? Où est-ce qu'on en est ? Quelle est la direction ? Quels sont vos rêves sur le sujet ?
Marion Leboyer : Alors, on avait un rêve et ce rêve est devenu réalité parce qu'on a été sélectionné dans le cadre du projet d'Appel d'offres France 2030 pour lancer un programme français qui s'appelle le PEPR-PROPSY, programme de développement de la médecine de précision en psychiatrie, qui a été sélectionné en 2022, qui est en train de démarrer, parce que pour pouvoir faire du machine learning, il faut avoir des grandes bases de données.
Et donc la France a déjà, grâce au travail des centres experts de la Fondation FondaMental, des très grandes bases de données, mais qui sont pour le moment surtout cliniques, parce qu'on n'avait pas les moyens d'avoir accès à tous ces outils que sont la génomique, l'imagerie, etc. Et donc ce que nous apporte ce projet dans lequel on fonde beaucoup, beaucoup d'espoir, c'est qu'on va construire des bases de données multimodales qui vont nous permettre de faire des choses qui, on l'espère, d'utiliser les outils de l'intelligence artificielle pour utiliser toute la richesse phénotypique de ce qu'on va réunir comme caractéristique pour les patients qui vont participer à cette très grande cohorte. Il s'appelle French Minds et qui va réunir plus de 10 000 patients pour pouvoir identifier ces formes cliniques homogènes. Et donc, on l'espère, découvrir des nouvelles dimensions, des nouvelles formes cliniques et surtout des mécanismes qui vont conduire à des nouveaux traitements très ciblés.
Donc, c'est ça le rêve. Le rêve, c'est bien sûr de continuer à utiliser les termes qu'on utilise tous les jours, la dépression, la schizophrénie, mais d'être beaucoup plus précis et donc d'être beaucoup plus efficaces. Parce qu'aujourd'hui, force est de constater qu'on a fait d'énormes progrès par rapport à ce qui se passait il y a 50 ans, mais compte tenu de l'importance de l'enjeu de santé publique que représentent les maladies mentales, il y a encore beaucoup de patients qui sont diagnostiqués trop tard, pas diagnostiqués ou mal diagnostiqués, parce qu'on n'a pas les outils pour le faire, et qui sont insuffisamment soignés, qui développent des pathologies qui vont résister au traitement qu'on a aujourd'hui.
Donc ça ne veut pas dire que ceux pour lesquels ça marche, il ne faut pas continuer à utiliser les outils et l'arsenal thérapeutique qu'on a, qui s'est beaucoup enrichi de toute une série de stratégies thérapeutiques. Mais aujourd'hui, il y a encore des patients qui ne répondent pas aux traitements, quelle que soit la variété des traitements qui vont des traitements médicamenteux, psychothérapie, aux stimulations cérébrales, toute une panoplie de traitements qui s'enrichit tous les jours.
Jean-Charles : Et vous parliez justement de ces programmes qui vont arriver dans le temps de traitement plus personnalisé, basé sur un profil plus précis du patient, presque unique. C'est une sorte de saint Graal de ce qu'on pourrait faire. Est-ce qu'il y a aussi des limites ou des freins, que ce soit éthiques, ou juste des peurs par rapport à la précision, à trop en savoir sur ces sujets ? Et comment vous menez à la fois cette importance, cette nécessité de cette médecine de précision poussée à l'extrême, avec en parallèle la peur et les tabous qu'on peut avoir, en particulier par rapport à la santé mentale ou aux maladies mentales ? Et vous parliez qu'on a trois fois plus de risques de dépression dans une famille lorsqu’une personne du cercle très proche est affectée. Comment on gère ça et comment vous combinez précision, et les peurs pour pouvoir pousser ces traitements à l'échelle ?
Marion Leboyer : C'est un point très important, ça touche à l'information et donc c'est la conversation qu'on a aujourd'hui. Donc on fait beaucoup de choses, aussi bien au niveau international qu'au niveau national et à différents niveaux. Parce que je ne parlerai pas de peur, mais je parlerai par contre de fausses représentations.
Et donc les premiers à associer à cette réflexion, c'est les décideurs. Donc on fait depuis quelques années, grâce au PEPR et grâce aux actions de la Fondation FondaMental, des sommets internationaux sur la médecine de précision en psychiatrie, où on invite des académiques français et internationaux, les grandes agences de régulation, les industriels, pour à la fois faire le point des connaissances qui progresse, mais il faut bien s'athétiser, pour informer, aussi bien venant de l'information académique ou des progrès de l'industrie, pour informer les décideurs sur les progrès de ce qui se passe.
Donc c'est à la fois des réunions qui permettent de faire la synthèse des données et de définir aussi les challenges, c'est-à-dire quelles difficultés sont devant nous et elles sont multiples. Par exemple, aujourd'hui, quand on fait un essai thérapeutique pour tester l'efficacité d'un médicament, il n'y a aucune obligation d'utiliser un marqueur biologique. Et donc, du coup, on a un nombre d'échecs d'essais thérapeutiques énormes parce qu'on va mettre dans le même groupe de patients qui vont être testés des patients qui ont probablement des maladies extrêmement différentes et ça entraîne des échecs et des pertes de chance pour les patients qui sont tout à fait considérables.
Donc, on a pensé que c'était très important de travailler avec eux pour que, lentement mais sûrement, les décideurs français, européens, internationaux, aient cette nouvelle représentation qu'ils ont acquis pour le cancer ou les maladies cardiovasculaires, ou même maintenant les maladies d'Alzheimer, mais pas du tout aujourd'hui pour les maladies mentales. Le dernier sommet qui s'est tenu à Bruxelles a rassemblé plus de 400 personnes, puisqu'on fait ce travail d'information. L'autre niveau extrêmement important, c'est d'informer les patients. Je vous parlais de ce PEPR-PROPSY, dans le cadre de la construction de ce projet de cohorte, qui vient de nous prendre un an avec des jeunes collègues, on a associé les patients et on a fait un patient advisory board qu'on réunit tous les six mois auprès de qui on a présenté le protocole. On leur a demandé si les dimensions, les formes cliniques qu'on avait choisis étaient des dimensions qui, pour eux, étaient la source de handicap et représentaient une vraie difficulté dans la vie de tous les jours. On leur a demandé comment est-ce qu'ils partageaient cette notion de médecine de précision en psychiatrie. Donc c'est extrêmement important de les informer, bien sûr, et d'avoir leur avis. Et on va continuer à faire des réunions d'information, on a tout un programme de communication pour tous les niveaux, parce qu'il faut informer les patients, mais il faut aussi informer les médecins, les jeunes médecins de toutes ces modifications, qui sont encore, qu'il faut appréhender avec une certaine prudence, parce qu'on n'en est qu'au niveau de la recherche. Donc la recherche, ça nécessite de faire de la science, d'écrire ses résultats dans des papiers, mais aussi de communiquer, et de communiquer dans les radios, dans les télés, dans les podcasts, dans les journaux, de faire des réunions d'information et d'utiliser toute la force des podcasts ou d'autres outils pour pouvoir modifier lentement mais sûrement les représentations et la prudence, parce qu'il faut aussi avoir beaucoup de prudence. Les challenges ou les “refus”, puisque vous utilisiez ce mot tout à l'heure, viennent par exemple de l'idée que ça va coûter très cher. C'est-à-dire que si l'avenir dans 5 ans ou dans 10 ans, c'est de dire que tous les patients doivent avoir une étude de leur génome, qu'ils doivent avoir une imagerie cérébrale, qu'ils doivent avoir un électroencéphalogramme, je ne sais pas si c'est comme ça que ça sera.
À l'heure actuelle, nous on veut acquérir le maximum d'informations. Pour autant, ça inquiète beaucoup de gens qui disent que ça va coûter extrêmement cher cette évaluation très approfondie. On n'est pas du tout sûr qu'on aura besoin de tout ça. Par exemple, dans le cas de la maladie d'Alzheimer, aujourd'hui, c'est un marqueur, mais on n'en est pas là.
Donc, il y a un décalage entre ce que la recherche exige comme moyen aujourd'hui, et on n'a pas, ça permet de le dire, on n'a pas assez de moyens aujourd'hui, malgré ces financements qui viennent de nos aides données. On reste très à la traîne. On, la discipline psychiatrique, malgré le coût, on va sûrement en reparler tout à l'heure, reste très à la traîne des financements.
Pour autant, nous, on continue à vouloir faire des études médico-économiques qui démontrent que même si en apparence, on va faire plus de biologie, donc ça coûtera plus cher, en fait, on pense que si on est plus précis, plus efficace, plus rapide, ça devrait coûter moins cher à terme.
Jean-Charles : Il y a en effet une stratégie d'entonnoir où on regardera beaucoup de facteurs au départ, qu'on va comprendre ceux qui auront le plus d'impact et être de plus en plus précis, avoir des meilleures corrélations dans le temps.
Marion Leboyer : Peut-être pas. Peut-être qu'avec des tableaux cliniques ou des symptômes d'appel, on va... comme on le fait devant une angine aujourd'hui, être capable de faire un diagnostic très rapide avec un seul marqueur. Mais aujourd'hui, on n'est pas capable de le dire. En tout cas, c'est l'espoir.
J'ai fait ça il n'y a pas très longtemps. J'ai demandé à ChatGPT de me faire une diapo du bureau du psychiatre dans dix ans. Et il m'a fait un dessin d'un médecin avec une blouse blanche et autour de lui, des tubes de l'imagerie. Enfin, plein d'outils technologiques. Et je lui ai demandé ce que c'était que le bureau d'un psychiatre aujourd'hui. Et en gros, c'était une table et une chaise.
Donc, on peut avoir cette vision-là qu'on va avoir besoin de plein d'outils versus faire un diagnostic, par exemple, de l'ulcère de l'estomac. C'est un diagnostic biologique aujourd'hui, ce n'est pas une pléiade de marqueurs biologiques. Donc, il peut y avoir des craintes, aussi des craintes que dans certains milieux défavorisés ou dans certains pays défavorisés, ce ne soit pas accessible, cette médecine de précision, qui peut être perçue comme une médecine de riche. Mais on peut aussi se dire que ça va aboutir à des choses qui seront plus simples, plus accessibles et moins coûteuses.
Jean-Charles : Oui, c'est l'histoire généralement des technologies. On commence par quelque chose de très cher où on n'a pas encore, et après, que ce soit la loi de Moore ou d'autres lois qui sont derrière, vont faire tomber les coûts progressivement et rendre ça plus accessible à tous.
Jean-Charles : Vous parliez tout à l'heure aussi beaucoup des facteurs de mode de vie. Et si on réfléchit un peu au niveau de la population, qu'est-ce qu'on sait aujourd'hui de l'influence des modes de vie et des facteurs sociaux sur le développement de ces maladies mentales ? Et du coup, qu'est-ce qu'on peut faire en tant que société pour agir ?
Marion Leboyer : Donc, je pense que l'information sur ces modes de vie et sur ce qu'on peut faire, c'est quelque chose de très important à diffuser. Il n'y a pas assez de communication sur ces sujets. Il y en a sur le cœur, c'est-à-dire qu'on sait très bien prendre soin et apprendre aux gens très tôt à prendre soin de leur cœur, mais on ne réalise pas que finalement, les mêmes choses qui sont bonnes pour le cœur, elles sont aussi bonnes pour le cerveau. Et ça, je pense que c'est vraiment des messages importants à faire passer.
Parce que prendre soin de sa santé mentale, c'est des choses qui sont faisables tous les jours, qu'on soit à risque parce qu'on a des parents qui sont malades ou parce qu'on a été exposé à des situations traumatisantes, qu'on ait déjà des symptômes ou qu'on soit juste quelqu'un qui veuille prendre soin de sa santé. Et ça, ça s'apprend et ça s'apprend avec une bonne alimentation, donc une alimentation qui est saine, qui est proche du régime méditerranéen. C'est là qu'il y a le plus d'éléments de preuve, donc légumes, fruits, les fruits à coque, tout ce qui est poisson gras, etc.
Deuxièmement, l'activité physique. Pas les Jeux Olympiques forcément, encore que, mais une activité sportive régulière, c'est extrêmement important. On vit dans des sociétés qui sont de plus en plus urbaines, on bouge de moins en moins, et ça, on sait que c'est des facteurs de risque. Il faut faire attention à faire un petit peu d'exercice physique à sa portée, à sa main, mais de façon régulière. Tout ce qui est les règles du sommeil, qui doivent être là aussi adaptées à chaque personne, mais le plus régulières possible.
Et le troisième élément fondamental, sans jeu de mots, c'est quand on a un symptôme ou quand on a l'impression d'avoir une difficulté de fonctionnement, en parler à ses proches, à son médecin généraliste, à un psychiatre et ne pas hésiter à prendre un rendez-vous parce que trop souvent, les gens attendent très longtemps avant de consulter.
Jean-Charles : Je voudrais rebondir là-dessus. Vous avez beaucoup souligné en effet le long délai entre le départ de la maladie et l'accès au soin ou le diagnostic de celle-ci. Qu'est-ce qui peut être fait ? Donc vous mentionnez là, essayez d'en parler à ses proches ou à votre généraliste, etc. Est-ce qu'il y a d'autres choses qui peuvent être faites au niveau du système, des individus ou des proches aussi ? Quels peuvent être les outils pour les proches qui perçoivent quelque chose pour aider à combler ces lacunes et réduire ce gap entre le déclenchement de la maladie ou le déclenchement potentiel et supposé et l'action ?
Marion Leboyer : Alors d'abord, il faut savoir que c'est des maladies qui commencent chez les adultes jeunes. Donc c'est surtout eux qui doivent être l'objet de notre attention et de notre information. Les maladies mentales, elles commencent majoritairement entre 15 ans et 25-30 ans. Et pour autant, les diagnostics se font malheureusement encore aujourd'hui très tard, alors que comme toute maladie, plus tôt on fait le diagnostic, meilleur est le pronostic.
Le problème, c'est qu'il y a autour de ces maladies des fausses représentations, donc des peurs, donc la crainte d'aller consulter ou d'aller demander un avis parce que les traitements font peur, alors qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur, et parce qu'on n'a pas une bonne compréhension ou vision des progrès de la recherche et de la compréhension de la physiopathologie de ces maladies, ni de l'ensemble des stratégies thérapeutiques qu'on peut mettre en place.
Ces stratégies peuvent être, vous le savez très bien chez Alan, d'abord psychothérapie, hygiène de vie, puis éventuellement, si ça ne suffit pas, médicaments, puis d'autres choses si les médicaments qu'on utilise tous les jours ne fonctionnent pas. Donc il y a toute une série de choses qu'on peut mettre en œuvre, qui sont mal connues du grand public, et qui restent aujourd'hui, pas pour tout le monde heureusement, mais qui restent encore l'objet de craintes, ce qui fait qu'on a peur d'en parler et de franchir le pas de prendre un rendez-vous avec un médecin.
Jean-Charles : Et donc, un des grands éléments, c'est de faire tomber ces frictions pour prendre ses premiers rendez-vous, avoir ses premiers accès, avoir accès au savoir, démystifier. Il y a beaucoup de choses à faire, en effet, là-dessus.
Jean-Charles : On discutait tout à l'heure aussi très rapidement, vous avez commencé à toucher le sujet, Marion, mais de l'impact économique des troubles de la santé mentale. C'est souvent pas très bien perçu, mais à quel point c'est un tribut économique qu'elle prélève sur la société et sur les individus qui sont touchés, sur les familles, bien sûr. Est-ce que vous pourriez nous donner une idée, pour nos auditeurs, de l'ampleur des coûts et de ce que ça représente ?
Marion Leboyer : Alors, l'ampleur des coûts est énorme, et c'est pour ça que toutes les stratégies d'amélioration de la prévention du diagnostic et de la recherche sont extrêmement importantes, non seulement à l'échelle individuelle, bien sûr, ou familiale, mais aussi à l'échelle de nos sociétés. L'OMS a démontré et a dit que les maladies mentales étaient la première cause mondiale de handicap acquis. Donc c'est un enjeu considérable de santé publique.
S'associe à cet enjeu important un enjeu économique, puisqu'on sait par exemple en Europe qu'on dépense en coûts directs et en coûts indirects 800 milliards d'euros. Et ce coût, il augmente. Par exemple, la Fondation FondaMental fait très régulièrement, avec l'aide d'économistes de la santé comme Isabelle Durand-Zaleski, des études très régulières pour essayer de mesurer le coût direct et le coût indirect.
Le coût direct, c'est le coût des dépenses de santé, médicaments, hospitalisations. Le coût indirect, c'est le chômage, le fait que les proches ne peuvent pas travailler, la perte de qualité de vie. Bien sûr, c'est le coût indirect qui coûte extrêmement cher. Et la résultante de tout ça, c'est qu'aujourd'hui, en France, on dépense 160 milliards d'euros par an, dû ou lié aux maladies mentales, avec une toute petite part qui est due aux médicaments, par exemple, parce qu'on a des médicaments qui sont pour la plupart génériques, qui ont très peu d'innovation et très peu d'accès à l'innovation.
Donc c'est surtout le coût indirect qui grève vraiment le budget. Ceci dit, c'est quand même 23 milliards d'euros de dépenses de santé directe, surtout dues aux hospitalisations. 80% du coût direct est dû aux hospitalisations et aux réhospitalisations. Donc il y a toute une série de réflexions à mener, surtout autour des innovations qui sont développées en France, qui permettraient de réduire ce coût.
Je prends l'exemple de ce que modestement, mais efficacement, on a fait à la Fondation FondaMental, où on a créé un réseau de centres experts, qui sont des centres de diagnostic qui sont répartis sur l'ensemble du territoire et qui permettent en deux jours de faire un bilan complet de la maladie, diagnostic, somatique, neuropsychologique, sociale, et de proposer aux patients une restitution de cette observation qui leur permet de mieux connaître et donc de mieux maîtriser leur pathologie et qui permet de leur proposer des stratégies thérapeutiques personnalisées.
Et on a vu quand on passait du temps à faire ce bilan diagnostic et à le restituer, il y avait une diminution de 50% des réhospitalisations, ce qui réduit le coût de façon tout à fait considérable. Tout ça pour dire qu'il y a vraiment beaucoup de choses qui peuvent nous rendre optimistes, les progrès de la recherche d'une part, mais aussi la réflexion sur ce qui se passe autour de nous.
Je prenais cet exemple-là, mais il y en a beaucoup d'autres, d'innovations qui sont faites par les psychiatres français, qui sont très innovants et qui développent beaucoup de choses pour essayer d'améliorer le système, qui ne sont pas toujours généralisées. C'est un petit peu ça le problème, c'est qu'on ne se saisit pas de cette chance, ou pas suffisamment en mon sens, de ces chances que représentent toutes ces innovations pour améliorer le parcours de soins, pour utiliser un certain nombre d'outils thérapeutiques qui ne sont pas suffisamment accessibles à tous pour améliorer nos compétences diagnostiques, pour transférer ces informations aux patients. Bref, pour regarder ce qui existe, l'évaluer et le déployer si c'est efficace.
C'est ce que fait le ministère avec les articles 51, par exemple, où on teste l'efficacité d'un certain nombre d'innovations dans toute une série de domaines. Et si c'est efficace, le ministère de la Santé les déploiera derrière.
Je pense que c'est une vraie source d'espoir pour améliorer la qualité des soins, mais aussi réduire le poids économique considérable que font peser ces maladies mentales. Et il y a beaucoup d'autres sujets autour du poids économique que ça représente.
Mais ce poids, il augmente, puisque quand on avait fait cette même étude sur le coût direct et indirect des maladies il y a quelques années, il était de 109 milliards d'euros. Donc, en l'espace de même pas dix ans, on est passé de 109 milliards d'euros à 160 milliards d'euros. Ce n'est pas parce que les maladies sont plus fréquentes, elles le sont probablement, mais c'est surtout à cause de la détérioration des soins, à cause de ce poids des hospitalisations, à cause de toute une série de facteurs peut-être sociaux, on ne les connaît pas bien, le coût continue à augmenter.
Donc c'est vraiment urgent d'investir, d'investir dans l'innovation, d'investir dans la recherche et d'utiliser les résultats de cette recherche pour améliorer la qualité des soins.
Jean-Charles : Vraiment, on a fait cette courroie de transmission entre la recherche, les expérimentations et la mise à l'échelle et à quel point le digital et les nouvelles technologies peuvent aussi essayer d'aider, mais pas que ça. C'est hyper important et ces chiffres sont en effet assez stupéfiants.
Et en face de ça, vous parliez tout à l'heure de ce financement quasiment chronique de la recherche sur les traitements fondamentaux et d'ailleurs les diagnostics. Qu'est-ce qu'on doit changer, vous pensez, en tant que société, et je sais que c'est un combat que vous portez beaucoup avec FondaMental, pour qu'on alloue plus de capital à cette recherche ? Dans un monde idéal, qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus et comment le financer ?
Marion Leboyer : Alors dans un monde idéal, on arriverait à ce que chacun d'entre nous consacre une toute petite partie de son budget pour soutenir la recherche en psychiatrie, comme on le fait régulièrement pour les maladies rares, par exemple. Vous connaissez tous le Téléthon ou comment on soutient la recherche sur le cancer. Je pense que si tous les gens qui étaient touchés et tous leurs proches qui étaient touchés acceptaient de donner un tout petit peu d'argent tous les ans, ça ferait un changement de paradigme absolument considérable.
Aujourd'hui, il faut savoir que le budget de la recherche biomédicale en France, est de 2 à 4%. C'est-à-dire qu'on consacre à la recherche en psychiatrie, à l'innovation en psychiatrie, 2 à 4% du budget total de la recherche. Donc c'est dérisoire par rapport au coût, par rapport à la fréquence de ces maladies, par rapport à l'impact sur les individus, par rapport à l'impact sur le monde du travail.
Donc alors qu'on sait en parallèle que c'est en investissant dans la recherche qu'on sera le plus performant en termes d'innovation de toutes les disciplines médicales. Il y a tellement de choses à faire et tellement de progrès et c'est tellement le moment de le faire qu'il faudrait qu'on arrive à soutenir un élan de générosité pour que la recherche soit soutenue. Ça ne peut pas toujours être les pouvoirs publics qui financent la recherche. Il faut qu'il y ait une compréhension du grand public du fait que globalement, nos malades, les patients qui sont atteints de maladies mentales, ils ont le droit comme les autres à ce que de la recherche de qualité soit faite, et ensuite qu'on prenne connaissance de ces innovations, et si elles ont permis des avancées, s'il y a suffisamment de preuves, si toutes les stratégies de réplication, de reproduction des résultats ont été obtenues, qu'elles puissent être utilisées dans la pratique de tous les jours.
Jean-Charles : Ça me donne beaucoup d'idées sur ce qu'on va pouvoir faire et on réfléchit à ces sujets de financement de la recherche dans Alan, donc je réfléchirai à ça avec vous très bientôt.
Marion Leboyer : Avec plaisir.
Jean-Charles : On a parlé de ces sujets au niveau systémique et de ces problèmes systémiques. Il y en a aussi beaucoup, j'ai l'impression, qui dépendent de l'autonomisation des individus avec des connaissances, des outils, prendre en charge leur propre bien-être mental et vous avez commencé à en mentionner plusieurs.
Comment donner le plus d'outils et d'accès aux individus pour qu'ils soient plus autonomes ? Est-ce qu'il y a de la littérature qu'il faut lire ? Est-ce qu'il y a de la synthèse de cette littérature qu'il faut lire ? Est-ce qu'il faut juste se concentrer sur les outils et les solutions ? Comment on pense aux compétences d' ”autodéfense” ? Je ne sais pas si c'est le bon terme.
Marion Leboyer : Il y a probablement plusieurs questions et plusieurs niveaux de réponses et elles sont déployées de façon différente d'un pays à l'autre. Je prends l'exemple de l'Allemagne où ils font très tôt dans les écoles primaires de l'information sur, par exemple, le cannabis et les produits toxiques, sans avoir peur d'informer très tôt.
Donc je pense que faire de l'information et doter les futurs adultes que sont les enfants d'informations sur les maladies mentales, sur les addictions, sur toute une série de connaissances scientifiques, ça serait extrêmement important pour que les futurs adultes qu'ils vont devenir soient outillés d'outils pour comprendre ce que c'est que ces maladies, pour savoir comment gérer sa santé mentale, comme on en parlait tout à l'heure, connaître les règles d'hygiène de vie, bref, pour faire des citoyens informés sur leur capacité de maîtriser finalement un certain nombre de choses.
Alors ils ne peuvent pas tout maîtriser, mais on sait que cette connaissance aujourd'hui, elle n'est pas déployée. Et ça, ça pourrait être quelque chose d'extrêmement intéressant à diffuser. Il y a plein de programmes, j'ai entendu à la radio, d'informations scientifiques des petits. Peut-être que c'est quelque chose à inventer et de se dire qu'ils sont tout à fait réceptifs à ce genre de choses et qu'on ne le fait pas pour les adultes, mais on ne le fait pas non plus pour les enfants ou les ados. Donc ça, il me semble que c'est une piste de réflexion pour rendre les individus autonomes.
Jean-Charles : Il y a encore beaucoup à faire. Il faut trouver en effet les bons messages et le bon moment, mais vu d'où on part, je pense qu'on ne peut que faire mieux. Nous arrivons vers la fin de notre conversation, mais j'aimerais discuter un peu du futur proche et un peu plus lointain. Vous êtes très ancrée et plongée dans la recherche. Vous y contribuez très fortement.
Quels sont les sujets les plus excitants, en tout cas vous, ou les plus prometteurs en ce moment que vous regardez, dont vous pensez qu'on va avoir de très belles surprises ? Je ne sais pas si c'est une surprise pour vous, mais en tout cas, au sens large, des très beaux résultats pour les mois et années qui viennent.
Marion Leboyer : Alors d'abord, je voudrais dire qu'il y a un vrai optimisme à avoir parce qu'il y a effectivement énormément de progrès. Si on en a les moyens, si on nous donne les moyens qui sont très proches d'aboutir à des améliorations sur le plan diagnostique et sur le plan thérapeutique, en utilisant les mêmes outils finalement que ceux qui sont utilisés pour toutes les maladies, qui sont les progrès de la génomique, les progrès de l'imagerie cérébrale, les progrès de la métabolomique, les progrès de l'analyse de notre flore intestinale, les progrès de l'immunologie.
Et en découle une meilleure compréhension : la compréhension des circuits cérébraux, la compréhension des mécanismes qui génèrent cette inflammation chronique, la compréhension des liens entre tous ces facteurs de risque environnementaux qu'on a expliqués et le déclenchement de ces maladies mentales. La capacité de déployer toute une série, un arsenal thérapeutique extrêmement varié, qui vont des anti-inflammatoires à la stimulation cérébrale, aux produits qui ciblent le microbiote intestinal.
Vous voyez la panoplie qu'on peut avoir. Il y a énormément de choses qui sont en préparation. Donc l'optimisme est grand. La clé, c'est est-ce que la France acceptera de suivre ces innovations ? On a aujourd'hui le portefeuille de médicaments le plus faible de toute l'Europe. Donc ça c'est vraiment triste.
Il y a une vraie question et un vrai challenge, pas seulement au niveau de la science, mais ce qui se passe après les découvertes, qui est comment est-ce qu'on applique ces découvertes dans le milieu clinique, hospitalier, où qu'il soit, mais comment est-ce qu'on traduit ces progrès. Et puis il y a bien sûr tout le domaine du numérique et le domaine du digital, qui à mon avis va améliorer beaucoup la précision du diagnostic, la précision du suivi des patients, la capacité de prédire très tôt ou d'identifier très tôt des rechutes pour intervenir très tôt.
Et puis la capacité de donner accès à tout le monde, à toute une série de ressources thérapeutiques auxquelles aujourd'hui ils n'ont pas suffisamment accès parce qu'on ne trouve pas facilement le psychologue qui est formé à telle stratégie thérapeutique. Ça reste compliqué, ça reste extrêmement coûteux, et l'outil digital numérique et toutes les plateformes que vous développez, que nous à la Fondation FondaMental, on essaye de développer pour toute une série de situations, y compris des situations de guerre, par exemple, où on a mis en place toute une série d'outils pour essayer de prévenir les stress post-traumatiques.
Il n'y a pas que la dépression, il y a toute une série de pathologies dans lesquelles on peut prévenir et intervenir. Je pense à ce qui se passe en Ukraine, je pense à ce qui se passe en Israël et à Gaza, où on a créé, avec la Fondation, très rapidement des outils pour leur donner, pour parler d'autonomie tout à l'heure, dans des endroits où l'accès aux soins est très difficile, l'accès à des ressources thérapeutiques via le digital et le numérique. Et je crois que ça aussi, mais il faut qu'on prouve l'efficacité, c'est des sources de grand optimisme, je dirais, grâce au progrès, à condition qu'il soit bien maîtrisé et qu'on exige la démonstration de son efficacité.
Jean-Charles : Une fois que cette efficacité est là, il faut qu’elle soit déployée, comme vous le disiez, et qu'il n'y ait pas d'effort ou qu'on ne soit pas en retard.
Marion Leboyer : Un des grands freins, c'est la compréhension que l'effet sur une économie n'est pas immédiat. Donc il faut d'abord investir avant que quelques années après, on en voit le fruit. Et ça, c'est à l'échelle des politiques de nos pays, c'est quelque chose qui est très difficile à faire comprendre. Donc il faut d'abord dépenser un peu d'argent pour soigner les gens, réduire les coûts énormes liés aux hospitalisations, qui devraient être réduites grâce à ça, et en voir l'impact quelques années après.
Jean-Charles : Et qui ne s'aligne pas avec les mandats politiques et toutes ces complexités-là, qui est finalement le principe du venture capital, mais qu'il faudrait appliquer à l'économie de la santé.
Jean-Charles : Vous avez posé cette question à ChatGPT, mais j'aimerais bien avoir votre réponse à vous, Marion : à quoi pensez-vous que ressemblera la psychiatrie et la gestion des maladies mentales dans 10 ans ? Est-ce qu'on aura des thérapies en intelligence artificielle, ou des psychothérapies en intelligence artificielle, où en sera la médecine de précision ? Je suis ravi d'avoir votre vision en sachant que c'est un exercice qui est impossible. Mais en tout cas...
Marion Leboyer : On a le droit de rêver. Et donc si on rêve, moi je rêve depuis longtemps qu'on aura des cliniques où on pourra faire des bilans diagnostiques complets. À l'issue de ces bilans complets, on pourra donner un risque de développer une maladie et on pourra donner des clés de prévention pour empêcher que s'installent ces maladies, un petit peu comme on le fait dans les maladies cardiovasculaires ou dans le dépistage des cancers.
Donc on imagine qu'il y aura des cliniques où on pourra aller dans un but de prévention et de dépistage et on aura accès à toute une série d'outils dont on aura pu démontrer auparavant qu'ils ont une pertinence et on sortira de là avec un score de risque de dépression. Par exemple, on vous dira que vous avez un risque de 3 sur 10 de dépression et donc il faut que vous mangiez mieux, il faut que vous preniez tel... Vous alliez faire telle stratégie thérapeutique, qu'on puisse prévenir le développement comme on le fait aujourd'hui pour différentes pathologies.
Et puis on peut imaginer que dans ces mêmes cliniques, on ira tôt quand on commencera à avoir des symptômes, pour ne pas attendre que les patients aient des pathologies déjà très chroniques, voire déjà très résistantes, et qu'on puisse là aussi, à l'aide de visions très personnalisées, très précises, avoir accès très rapidement à un diagnostic, qui soit partagé avec le patient, sa famille et un réseau de praticiens de manière à ce qu'on puisse mettre en place les stratégies thérapeutiques au bon moment, pour le bon patient, de façon le plus spécifique possible.
Avec toute une série d'acteurs du soin qui sont amenés à jouer un rôle de plus en plus important : les assurances bien sûr, la prévention, les mutuelles bien sûr, mais aussi des acteurs du soin comme les infirmiers de pratique avancée, qui à mon avis sont amenés, surtout dans un moment qui durera j'espère pas trop longtemps, où il n'y a pas suffisamment de médecins, à jouer un rôle avec des compétences augmentées de plus en plus importantes pour coordonner le parcours de soins.
Aujourd'hui, ces parcours n'intègrent pas suffisamment toute une série d'acteurs, qui vont du généraliste jusqu'au spécialiste, jusqu'au diététicien, jusqu'au coach sportif, enfin toute une série de personnes qu'il faut arriver à coordonner pour amener à une efficacité thérapeutique la plus rapide possible.
Donc c'est le numérique, mais le numérique avec des individus, parce qu'on sait que c'est beaucoup plus efficace que les deux en même temps. Donc il y a des progrès dans tous ces domaines qui nécessitent qu'il y ait des endroits, alors ça peut être compléter ces cliniques dont je rêve avec des cliniques virtuelles par exemple, où on va permettre aux gens, une fois le bilan fait, d'être suivis par un IPA par exemple, et par un outil numérique de suivi pour prévenir la rechute et pas attendre qu'il y ait une urgence et qu'on se retrouve aux urgences par exemple.
Jean-Charles : Et avec une approche extrêmement pluridisciplinaire, comme vous l'avez évoqué. Je voulais finir sur le fait qu’en effet, il y a pas mal de recherches et vous l'avez mentionné sur la marche et l'impact sur la santé mentale, sur comment marcher en extérieur ou dans la nature a un impact sur la santé mentale. Et donc comment avoir cette approche très holistique me semble extrêmement important.
Jean-Charles :Professeur Leboyer, merci beaucoup, je ne sais pas comment vous remercier pour tout ce que vous nous avez partagé avec à la fois beaucoup de profondeur, de sagesse mais aussi de clarté. C'était très didactique et très inspirant. À la fois, comme vous le disiez, il y a beaucoup d'optimisme à avoir parce que la recherche avance, la pratique avance. Mais il ne faut pas que ce soit un optimisme naïf : il y a encore beaucoup à faire et il faut qu'on dédie les ressources, l'énergie pour continuer à investir dans la recherche, pour continuer à mettre en pratique les résultats de cette recherche et les rendre accessibles à tous.
J'espère que nos auditeurs auront autant appris que moi. J'ai beaucoup appris, mais j'ai encore envie d'énormément creuser. La santé mentale, les maladies mentales sont un sujet très préoccupant de notre société, qui ne va pas s'envoler, mais qu'on peut contribuer à limiter, à combattre et surtout à traiter ensemble, et ça passe par la connaissance, l'accès, faire tomber les frictions, et encore une fois, les nouvelles stratégies thérapeutiques et la recherche.
Donc merci infiniment, Marion, Professeure Leboyer, pour votre temps et pour tout ce que vous avez partagé.
Marion Leboyer : Merci à vous, c'était une discussion très inspirante, effectivement, et des questions tout à fait intéressantes. Merci à Alan de permettre à vos auditeurs d'écouter, d'entendre et de passer le message.
Jean-Charles : Merci. Et si vous avez trouvé cette conversation utile, n'hésitez pas à la partager avec d'autres qui pourraient en bénéficier. Comme vous l'avez compris, parler des maladies mentales et de la santé mentale est primordial pour lutter, gérer et traiter.
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D'ici là, prenez bien soin de vous et rappelez-vous, une humanité plus saine commence par chacun de nous !