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Healthier Humanity podcast Épisode 10 Votre longévité se joue la nuit - Professeur Patrick Lemoine

Comment notre sommeil façonne-t-il notre santé mentale, physique et notre capacité à vieillir en pleine forme ? Pourquoi tant de mythes et d’idées reçues circulent-ils sur ce pilier essentiel de notre bien-être ? Dans cet épisode de Healthier Humanity, le Professeur Patrick Lemoine, psychiatre, neuroscientifique et expert du sommeil, partage son expertise et démêle le vrai du faux sur les grands enjeux du repos nocturne.

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Healthier Humanity podcast Épisode 10 Votre longévité se joue la nuit - Professeur Patrick Lemoine
Mis à jour le
15 mai 2025
Mis à jour le
15 mai 2025
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Votre longévité se joue la nuit

Auteur de nombreux ouvrages de référence, Patrick Lemoine milite pour une approche déculpabilisante et individualisée : « Le sommeil, ce n’est pas du prêt-à-porter, c’est du sur-mesure. » Il détaille les erreurs les plus courantes, les vrais signaux d’alerte, et propose des conseils pratiques pour renouer avec son rythme naturel et retrouver un sommeil réparateur.

Au fil de la conversation, découvrez :

  • Pourquoi le sommeil est le socle de notre santé et de notre longévité
  • Les cycles du sommeil et l’importance du sommeil profond
  • Comment la qualité de l’éveil en dit plus que la quantité d’heures passées au lit
  • Les dangers des somnifères, des écrans et du “jet lag social”
  • Le rôle de la mélatonine, de la lumière, de la température et des micro-siestes
  • Les liens entre sommeil, mémoire, émotions, immunité, poids et prévention des maladies chroniques
  • Comment sortir de la culpabilité et respecter son propre rythme biologique

Cet épisode s’adresse à toutes celles et ceux qui veulent comprendre les vrais leviers d’un bon sommeil, s’émanciper des normes toutes faites et renouer avec la science… et l’art du repos.

[EPISODE TRANSCRIPT]

Introduction [00:03 - 00:40]

Jean-Charles Samuelian : Imaginez un monde où nous vivrions en meilleure santé, plus longtemps, avec plus d'énergie et moins de stress. Bienvenue dans le podcast Healthier Humanity. Je suis Jean-Charles Samuelion Werv et j'interview des experts à la renommée mondiale, des athlètes de haut niveau ou des leaders visionnaires pour parler du futur de la santé, du bien-être et de la longévité. Je suis ravi que vous vous joigniez à nous dans ce voyage. Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir le docteur Patrick Lemoyne, qui est psychiatre, docteur en neurosciences et spécialiste du sommeil. Patrick, Merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui.

Patrick Lemoine : Je suis ravi, Jean-Charles.

Parcours et expertise du Dr. Lemoine [00:43 - 01:52]

Jean-Charles Samuelian : Vous êtes ancien praticien hospitalier, directeur d'enseignement clinique à l'Université Claude Bernard de Lyon. Vous avez été aussi chercheur à Stanford, en Californie, à Montréal. Vous êtes ancien professeur associé à Pékin, donc une vision très globale. Vous avez publié de nombreux ouvrages sur le sommeil, ses troubles ou encore sur l'anxiété. Dont 20 milieux sous les rêves que j'ai ici, qui est un excellent livre sur le sujet. Vous avez aussi Dormez, le programme complet pour en finir avec l'insomnie, Dormir sans médicaments ou presque. Bref, le sommeil est un pilier fondamental de notre santé, pourtant souvent négligé ou mal compris, ou en tout cas, ses implications sont très mal comprises. On estime que 68% des Français souffrent de troubles du sommeil. Avec 30% de la population touchée par l'insomnie de manière occasionnelle et 10% de façon régulière.

Définition du sommeil [01:52 - 02:56]

Patrick Lemoine : Alors, juste avant, je vais vous corriger, je vais vous dire, ce n'est pas un pilier fondamental, c'est le pilier fondamental. Parce que je crois qu'en effet, notre longévité, comme pour la nutrition, par exemple, repose sur la qualité de notre sommeil. Et que souvent, il y a des mythes sur la qualité du sommeil qui font qu'on fait des erreurs. Et les erreurs, c'est ce que vous venez de dire, c'est-à-dire une quantité de gens incroyables qui dorment mal. Pas assez, trop ou de mauvaise qualité. Alors dormir, c'est quoi? Le sommeil au fond, c'est une perte de connaissance, on perd conscience. Mais je dors, donc je ne suis pas dans le coma. Et qu'est-ce qui me permet de dire que je ne suis pas dans le coma? Parce que si je fais ça, si je fais ça, je me réveille. Donc, c'est réversible. Et puis, je ne dors pas n'importe quand. Donc, c'est un phénomène cyclique. Et puis peut-être le plus important, c'est que si tout se passe bien le matin, j'ai la pêche quand je me réveille. Donc, c'est un état de perte de conscience réparateur, cyclique, et qui est facilement réversible.

Les phases du sommeil [02:56 - 05:11]

Jean-Charles Samuelian : Et on parle de plusieurs phases de sommeil. Comment ça se découpe? Une nuit, le sommeil, quels sont les sous-éléments qui constituent le sommeil?

Patrick Lemoine : J'ai envie de dire que c'est tout le monde s'en fout des phases de sommeil, puisque c'est juste un truc électro-encéphalographique. Il ne faut pas prendre la carte pour le terrain. Mais quand même, pour faire scientifique, on va quand même en parler un peu. On va dire qu'il y a deux stades importants dans le sommeil. On va oublier le Stade 1, qui est l'endormissement, le 2 qui est le bouche-trou, mais le 3... Il est essentiel, c'est ce qu'on appelle le sommeil lent, profond, qui, chez un adulte, représente les deux premiers cycles, c'est-à-dire les trois premières heures de sommeil, à condition de dormir, comme d'habitude, aux mêmes horaires. C'est-à-dire que vous, Jean-Charles, si vous, habituellement, vous vous couchez classiquement de 23h jusqu'à 7h, votre sommeil utile, essentiel, fondamental, le noyau dur de votre sommeil, c'est de 23h à 2h du matin. Si vous vous couchez à 2h du matin, vous pouvez bien faire toutes les grasses matinées du monde, ça ne servira à rien. Pourquoi c'est si important? Parce que c'est au cours de ce temps précis que nous fabriquons pratiquement la totalité de notre hormone de croissance. Ce qui nous permet de fabriquer de la viande, ce qui nous permet de multiplier nos spermatozoïdes chez les garçons, ce qui nous permet de cicatriser, ce qui nous permet de grandir si on a un enfant. Bref, l'hormone de croissance est essentielle, et c'est à ce moment-là qu'elle est produite. Donc, premier conseil, déjà, il faut se coucher par heure, fixe, parce qu'il faut aussi, comme en matière de régime, de temps en temps, donner des coups de canif dans le contrat, faire une fête, c'est un petit stimulus qui relance la machine, c'est pas mal du tout. Mais quand même, globalement, il faut à peu près toujours se coucher à la même heure. Il y a des gens qui se couchent toujours à 1h du matin, pas de problème. C'est entre 1h et 4h du matin que ça se passe. Moi, c'est plutôt 10h30, c'est de 10h30 à une heure et demie, qu'est-ce qui se passe, il faut se coucher. Et puis, il y a enfin, le sommeil paradoxal, celui au cours duquel se passent les rêves intéressants, la majorité des rêves. Et là aussi, ils ont une utilité tout à fait essentielle dans plein de domaines que nous allons aborder, bien sûr.

L'horloge biologique [05:11 - 07:43]

Jean-Charles Samuelian : Formidable. Et du coup, vous parliez de l'importance de cette heure de coucher, que si on décalait, on perdait en fait la valeur du sommeil lent et profond. Comment on parle souvent du terme horloge biologique. Comment est-ce que ça fonctionne? Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce qu'elle est différente chez les individus? Comment on peut apprendre à connaître sa propre horloge biologique? Est-ce qu'on peut la modifier?

Patrick Lemoine : Il faut bien comprendre que le sommeil, ce n'est pas du prêt-à-porter, c'est du sur-mesure. Chacun a, comme des empreintes digitales, son propre sommeil. Et que tout ça, c'est régi essentiellement par nos gènes. Il y a des sujets qui sont des moyens dormeurs. En gros, 7h, 7h20 pour un Français. Il y a des cours dormeurs jusqu'à 5h. Notre président actuel prétend qu'il dort 4h. Il ne faut pas le croire. À mon avis, il se vante. Ou alors, c'est qu'il fait comme un de ses prédécesseurs, Jacques Chirac, qui fait des micro-siestes dans la journée, quand il est à l'arrière de sa voiture et que son chauffeur conduit. Mais en gros, 5h, c'est pratiquement le minimum. Il y a des longs dormeurs. À Lyon, on a eu un maire... Premier ministre célèbre pour s'endormir sur les bancs de l'Assemblée, qui était au moins à 10 heures. Tout ça, c'est normal. Il faut rester là-dedans. Ceci dit, pour vivre vieux, c'est quand même mieux d'être un moyen dormeur, puisque les courts dormeurs et les non-dormeurs ont une espérance de vie qui raccourcit, malheureusement pour eux.

Durée du sommeil et espérance de vie [07:43 - 08:57]

Jean-Charles Samuelian : Et pourquoi?

Patrick Lemoine : Alors, il y a énormément de raisons. Il y a des tas de biais. Par exemple, si je ne dors que 5 heures, ça veut dire que je suis réveillé plus longtemps que les autres. Donc j'ai plus de chances d'avoir un accident de voiture, j'ai plus de chances d'attraper un microbe. Bref, il y a des facteurs confondants qui font que ce n'est pas forcément le raccourcissement du temps de sommeil, peut-être plutôt l'allongement du temps d'éveil qui va jouer. Mais autrement, il est possible aussi que ces personnes n'aient pas leurs trois premières heures vraiment consacrées au sommeil dans le profond. Il n'y a pas vraiment d'études convaincantes là-dessus, mais c'est une cause. Quant aux longs dormeurs, beaucoup d'entre eux sont des gens qui ont des apnées du sommeil. Et les apnées du sommeil, ça veut dire infarctus, AVC, Alzheimer, un tas de trucs sympas qu'on pourrait également énumérer si vous voulez. Donc, pour vivre vieux et en bonne santé, c'est mieux de dormir autour de 7 heures, même s'il ne faut surtout pas recourir à l'arme chimique. Très toxique.

L'importance de l'éveil [08:57 - 11:43]

Jean-Charles Samuelian : On en parlera, ça m'intéresse beaucoup. Et sur ces cycles-là, entre ceux qui ont besoin de se coucher tôt, ceux qui ont besoin de se coucher tard, donc c'est inscrit dans nos gènes.

Patrick Lemoine : C'est dans nos gènes.

Jean-Charles Samuelian : Et ça, comment on le découvre en tant que personne?

Patrick Lemoine : Je vais vous dire une chose qui va peut-être vous surprendre, mais le sommeil, tout le monde s'en fout. En fait, ce qui compte, c'est l'éveil. On pourrait, à la limite, dormir, enfin, vivre sans dormir, presque. Il y a un record, je crois, qui est à 11 jours et 11 nuits sans dormir. Sans problème, chez un jeune. À San Diego, qui a été enregistré. De nuit, il a tout retrouvé sans aucun dégât. Ce n'est pas recommandé quand même. Pour quelqu'un qui a une angine de poitrine, ce n'est pas forcément une bonne idée. Mais en fait, ce qui compte, c'est l'éveil. On ne peut pas vivre sans être éveillé. Si le matin, je me réveille, que j'ai la pêche, que je suis de bonne humeur, que je suis bien réveillé, que dans la journée, je n'ai pas de coup de pompe, pas de problème, de concentration, c'est que j'ai dormi ce qu'il faut. Donc, en fait, on juge le sommeil par la qualité de l'éveil. On peut de temps en temps avoir besoin d'une micro-sieste, mais globalement, si la journée se passe dans la bonne humeur, dans un bon éveil, dans un bon niveau de concentration, c'est qu'on a dormi, ce qu'il faut. Donc on oublie le sommeil, on s'occupe de l'éveil. Pourquoi? Parce que nous sommes des animaux diurnes. Et ce qui fait que nos pendules, notre horloge biologique, se remettent à l'heure tous les jours, c'est la lumière du Bon Dieu, c'est-à-dire le soleil. C'est au moment où on se réveille, parce que n'oubliez pas que nos ancêtres, ils n'avaient pas un bouton électrique. Style les visiteurs, jour, nuit, clic, clic. Non, on avait une aube lente, un crépuscule lent, et on était rythmé par ça. Donc, le matin, c'est très important de s'exposer à la lumière du jour. Dans la journée, c'est important aussi d'être au soleil, s'il y en a. Et puis, du coup, notre horloge sera bien réglée. En revanche, effectivement, on n'a pas tous la même horloge, elle ne fait pas tic-tac de la même manière. Tic, éveil, tac, sommeil. Et qu'est-ce qui régit, ça? C'est la température de notre corps. C'est-à-dire que si tout se passe bien, le matin, notre température remonte. Il y a un stade où, paf, ça, nous réveille. Et le soir, elle commence à descendre. Et il y a également un gradient où on s'endort. Alors, il y a des variations. Moi, par exemple, je suis caricaturalement un sujet du matin. À 5h30, il y a une main invisible qui m'arrache de mon lit. Je ne peux rien, c'est comme ça. Et donc, le temps d'en avaler un café, à 6h, je suis sur ma bécane en train d'écrire. Puisque je suis malheureusement infligé d'une graffaurée chronique. Et intraitable. Donc, quand je fais mes enregistrements, je vois que le matin, à 5h15, 20, ma température remonte d'un seul coup. Elle se maintient correctement jusqu'à 13h. À 13h, tout le monde, vous, moi, tout le monde, a un petit creux qui s'appelle la sieste. Et puis ensuite, vers 17h, 18h, elle commence à décliner, irrémédiablement. Et vous m'auriez fait ce podcast, c'est... Vers 18-19 heures, j'aurais été bien moins beau. Et puis, je m'endors. Et comme tous les sujets du matin, la sonnette d'endormissement, je ne connais pas. Si, par exemple, par hypothèse, vous, vous êtes un sujet du soir, comme beaucoup de personnes, créateurs d'entreprises comme vous, eh bien, le matin, votre température, elle peine à remonter. 7h, 8h, 9h, puis elle remonte tout doucement, ce qui fait que... Les sujets du soir, le matin, il ne faut pas trop les approcher parce qu'ils ne sont pas commodes. Et puis, elle finit par remonter, petit creux de 13 heures, et elle se maintient bien, bien, bien jusqu'à 23 heures, minuit, et clac, elle se casse à l'écureuil d'un seul coup. Donc, on n'a pas le même profil de température, et c'est ce profil de température centrale qui va régler nos jours et nos nuits.

La caféine et son impact [11:43 - 13:00]

Jean-Charles Samuelian : Vous mentionnez la prise d'un café le matin. Est-ce que la nécessité de prendre un café est un indicateur de qualité, du sommeil ou pas? Et comment vous regardez et mesurez ça?

Patrick Lemoine : C'est un indicateur d'un vice parce que le café, c'est bon. D'une part, c'est bon au goût et d'autre part, c'est quelque chose qui est bénéfique. La caféine est très, très bénéfique pour l'organisme, à condition d'être prise avant 13 heures. Beaucoup d'études montrent que maintenant la caféine, et quand je dis la caféine, c'est thé, café, chocolat, coca, boisson énergisante. Et donc... C'est anti-Alzheimer, c'est stimulant, c'est antioxydant, donc c'est une très bonne molécule. Mais il a été montré qu'après 13 heures, donc l'après-midi, c'est une molécule qui devient toxique. Parce que même pour ceux qui disent « mais non, j'en prends un avant de me coucher, il n'y a pas de problème, je dors bien », si vous en prenez ce soir avant de vous coucher une tasse de café et que j'enregistre votre sommeil, je dirais que même si vous avez le sentiment de bien dormir, vous êtes complètement perturbé. Vous avez plein de changements d'état, votre sommeil est entrecoupé, même si ce n'est pas conscient. Donc le café, oui, mais avant 13 heures. Trop tard, non. C'est très agréable de prendre une tasse de café.

Le sommeil à travers les âges [13:00 - 14:40]

Jean-Charles Samuelian : Et comment le sommeil évolue-t-il au cours de notre vie? J'avais lu, par exemple, que pour les adolescents, le sommeil se décale pendant une période. Est-ce qu'il y a des évolutions? Quelles sont les grandes étapes, etc.?

Patrick Lemoine : Tout à fait. Alors, on ne va pas rentrer dans le détail du temps de sommeil chez le fœtus, chez le nourrisson, chez le bébé et chez l'enfant. Mais chez l'adolescent, effectivement, physiologiquement, comme ils ont un tas de changements corporels, ils ont besoin, probablement, c'est spéculatif ce que je dis, d'hormones, de croissance. Et donc, ils dorment plus longtemps et, bizarrement, ils se décalent. Ils ont un jet lag, non pas social, mais physiologique. Donc, ils se couchent plus tard, ils s'endorment plus tard, ils se réveillent plus tard. Évidemment, c'est aggravé par les réseaux sociaux, par le temps qui passe sur leur tablette ou sur leur téléphone le soir. Donc, on sait que cette lumière bleue de l'ordinateur, de la tablette, du téléphone, bloque la libération de la mélatonine, qui est une hormone que notre glande pinéale sécrète dès qu'on est dans la pénombre. Ce n'est pas une hormone de sommeil, c'est une hormone de pénombre, c'est l'hormone de la nuit. Et donc, les ados décalent encore plus leur tendance normale. Et donc, si vous avez des ados et que le matin, avec votre famille, vous mangez votre gigot faillot du dimanche midi, que votre ado arrive pas rasé, pas coiffé, pas maquillé pour les filles, en disant c'est bientôt le petit déjeuner et que vous êtes déjà à table, c'est énervant, mais il faut assumer parce que c'est normal.

La mélatonine et son rôle [14:40 - 16:54]

Jean-Charles Samuelian : Et vous parliez de mélatonine. J'avais lu qu'il y avait deux grandes molécules qui gouvernaient le sommeil, qui étaient peut-être la mélatonine et la dénosine. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu du rôle de ces molécules et de comment ça fonctionne?

Patrick Lemoine : Dans le sommeil, on parle surtout quand même de la mélatonine, qui est effectivement une molécule très, très simple, d'ailleurs. On sécrète dès qu'on est dans le noir, c'est-à-dire qu'ici, dans votre pièce qui est charmante, mais pas des plus éclairées, sauf si on a une lampe dans l'œil, vous, par exemple, vous avez moins de lumière, vous faites sûrement un peu de mélatonine. Ce qui ne vous aide pas à rester vigilant, surtout si vous êtes du soir. Donc, la mélatonine, c'est un signal qu'on appelle chronobiotique, qui dit à votre cerveau, bientôt, ça va être l'heure de faire dodo parce que la nuit tombe. Parce que, je vous rappelle, on n'est pas fait pour vivre avec des lumières électriques. Et donc, dès que la nuit tombe, pour nos ancêtres sapiens, c'était un signal de dodo, au moins jusqu'à l'invention du feu. Bref, la mélatonine a cet effet, synchroniseur, chronobiotique, mais elle a aussi quand même un petit effet soporifique, qui a été assez bien démontré. Bref, si on se couche... Quelques heures après le début de la libération de mélatonine, on s'endort, mais il faut que le matin, il y ait la lumière. Donc, prendre de la mélatonine le soir sans s'exposer à la lumière le matin n'a pas beaucoup de sens, parce que la lumière est un éveillant qui bloque la mélatonine, qui peut garder quelques traces le matin. Le souci, c'est que mesurer dans le sang ou dans les urines la mélatonine, ça ne sert à rien, parce qu'il n'y a pas que le cerveau qui en fabrique, il y a des tas d'autres organes dans le tube digestif, dans les plaquettes sanguines, qui fabriquent aussi de la mélatonine. Donc, la mélatonine sanguine ou urinaire n'est pas un bon reflet d'un mélatonine cérébral. Et aller trifouiller dans le cerveau pour chercher les taux de mélatonine dans les neurones, ce n'est pas forcément une bonne idée. Parce que j'avais proposé, à un moment donné au laboratoire, qui est le premier dans le monde, à aller fabriquer de la mélatonine, pour dire, c'est simple, pour savoir qui en a besoin, on fait une analyse d'urine. S'il en manque, on en donne. Et puis, s'il n'en manque pas, on n'en donne pas. Ça ne marche pas du tout, en fait. etc. Pour un rage complet.

Quand prendre de la mélatonine [16:54 - 17:29]

Jean-Charles Samuelian : Intéressant. Et, du coup, comment on sait si on a besoin de mélatonine ou pas?

Patrick Lemoine : En fait, c'est l'expérimentation. C'est-à-dire que pour moi, quelqu'un qui, de manière chronique, dort, pas assez, à plein de réveil nocturne, a du mal à s'endormir, ou se réveille trop tôt le matin, je lui prescris la mélatonine, qui est un produit très sécure, malgré tout ce qu'on peut en dire. Malheureusement, la HAS, mais aussi, prescrire, est un produit sans problème. Et donc, on l'essaye. Et si ça marche, tant mieux. C'est 70% des cas, selon les études, où ça marche. Et puis, si ça ne marche pas, on passe à autre chose.

Débat sur la mélatonine [17:29 - 19:48]

Jean-Charles Samuelian : Et justement, vous dites, sur la mélatonine, vous avez dit la HAS repoussée. C'est un coin, un peu les débats qu'il y a pu avoir. Et quelle est votre position là-dessus?

Patrick Lemoine : Moi, j'ai une position très claire. Et je trouve très dommage, justement, que des instances officielles tirent à bout les rouges sur une molécule qui est quand même, entre guillemets, naturelle, je ne sais même pas ce terme. En tout cas, physiologiques, ce qui favorise les molécules toxiques, artificielles, telles que les basodiazépines, dont on sait qu'elles altèrent l'espérance de vie en bonne santé. Et il y a des études impressionnantes qui montrent à quel point les somnifères, qui portent mal leur nom puisqu'ils n'induisent pas le sommeil, mais c'est une anesthésie légère, malheureusement, les pouvoirs publics favorisent les basodiazépines. Même si, d'un autre côté, ils disent bien qu'il faut quand même s'en sevrer dès que possible. Donc, je crois que la mélatonine est un produit, contrairement à ce qui a été dit, qui est sécure, avec très peu d'effets secondaires, car, c'est moi qui le dis, beaucoup d'effets secondaires qu'on impute à la mélatonine sont en fait des effets secondaires du sommeil. Imaginons que, puisque vous sortez à peine de l'adolescence, vous avez fait plein de fêtes, ou plein de gardes, et que vous avez mal dormi pendant, on va dire, une ou deux semaines, après, paf! Vous dormez normalement. Et bien, quand votre sommeil se normalise, pendant une semaine, vous aurez mal à tête, vous aurez la gueule de bois le matin, des migraines, des vertiges. C'est juste la régulation du sommeil, l'allongement du temps de sommeil qui donne ces effets secondaires. Ce n'est pas la mélatonine, elle-même. La mélatonine, elle-même, bon, elle a été incriminée en théorie, comme ayant des interactions avec les anticoagulantes, les antiepileptiques, que sais-je, en fait, c'est purement spéculatif. C'est purement théorique, parce qu'en réalité, ça fait des siècles que j'en prescris et j'ai vraiment quasiment jamais eu d'effet secondaire, sauf quand même des personnes qui se plaignent d'avoir des rêves bizarres. Certains parlent de migraine, mais je pense que c'est parce que sous la mélatonine, elle se réveille plus tard. La migraine est souvent déclenchée par un lever trop tardif par rapport à son horloge. Il suffit de l'élever un peu plus tôt et ça va. Les rêves bizarres, anormaux, pénibles, ça... J'ai pas de période.

Bon et mauvais sommeil [19:48 - 22:30]

Jean-Charles Samuelian : Extrêmement intéressant. Et du coup, vous parliez un peu des problématiques qu'il peut y avoir dans le sommeil. Comment on différencie bien un bon et un mauvais sommeil? Est-ce que ça se mesure? Comment vous faites ces différences sur la qualité du sommeil?

Patrick Lemoine : Jean-Charles, je vous ai déjà répondu à ça. C'est que si vous avez la pêche dans la journée, que tout va bien, et que vous gardez la pêche toute la journée, c'est que votre sommeil a été bon. Donc, peu importe, parce que souvent, on n'est pas des très bons juges de notre sommeil. Combien de patients j'ai eu qui m'ont dit « Oh, je n'ai pas refermé l'œil de la nuit, comme ça fait des années que je ne ferme pas l'œil, et d'ailleurs j'ai des cauchemars. » Tiens, c'est bizarre, faire des cauchemars. Bon. Et puis, on désespère de cause parce que rien ne marche chez eux. Je les enregistre. Ils se disent « Oula, s'ils m'enregistrent, c'est qu'ils ne me croient pas. Ils doutent de ma sincérité. Je vais lui montrer que je ne dors pas. » Et le matin, effondré, je ne sais pas ce qui s'est passé, j'ai dormi comme un bébé. Les bébés, ça dort très mal, il faut savoir. Je me suis rendu au courant. « Pourquoi? » « Et il dort? » « Bah écoutez, non, vous avez bien dormi. » Et en fait, qu'est-ce qui s'est passé? C'est que cette personne a lutté contre le sommeil pour me montrer qu'elle ne dormait pas bien. Et en fait, chez ces personnes-là, souvent, c'est le désir de dormir qui les maintient éveillés. Il y a des techniques en thérapie cognitive et comportementale qui, apprend à ces personnes-là à lutter contre le sommeil pour dormir. On est dans le paradoxe du paradoxe, mais ça fonctionne bien. Il y a aussi des personnes qui ont perdu la capacité à ressentir le sommeil. Elles dorment, mais elles ne savent pas qu'elles dorment. Je me rappelle une fois, j'étais embêté d'ailleurs, parce qu'un patient vient un peu parano. Et j'enregistre. Et puis, le matin, je lui dis « écoutez, vous avez très bien dormi ». Je vais vous foutre un procès parce qu'entre 1h et 4h du matin, je ne dormais tellement pas que j'ai mangé une pomme. Vous pouvez me montrer le trognon de pomme. En fait, il avait rêvé qu'il ne dormait pas et qu'il mangeait un trognon de pomme. Donc il a dit « il n'y a pas de pomme ». Et vous vous rappelez ce que vous avez fait autrement entre 1h et 4h du matin? La personne était incapable de me le dire. Donc, cette non-perception du sommeil chez des gens qui dorment bien, qui dorment bien, plutôt, est caractéristique. Et donc, quand quelqu'un vient me voir en disant « je dors pas » ou « je dors très mal », je vais dire « bon, et dans la journée, comment ça va? » Ceux qui me disent « bah si, ça va, dans la journée », c'est qu'en fait c'est des hypno-agnosiques, c'est-à-dire ils ne perçoivent pas leur sommeil, ce qu'on appelle l'insomnie paradoxale. Ceux qui disent je suis crevé, j'en peux plus là, je sais qu'il y a à une vraie dette de sommeil, un vrai déficit de sommeil. Donc, j'insiste, je suis un peu relou là-dessus, mais ce qui compte, c'est l'éveil.

Dette de sommeil [22:30 - 24:16]

Jean-Charles Samuelian : Et vous parlez juste de dette de sommeil et de déficit de sommeil. Est-ce que ça se rattrape et sur combien de temps ça se rattrape?

Patrick Lemoine : Alors, sur une nuit, ça ne se rattrape pas. Je vous l'ai dit tout à l'heure, quelqu'un qui n'a pas eu ses trois premières heures de sommeil aux horaires habituels, ça ne se rattrape pas par des grasses matinées qui ne servent à rien et qui sont même plutôt toxiques, parce que les grasses matinées entraînent un retard, un jet lag de phase sociale. Ce n'est pas pour rien quand même que l'Insee a pointé que le lundi matin, surtout après un pont, et encore, surtout après des vacances, s'accompagne de plus d'infarctus, de plus d'accidents de voiture et plus de tentatives de suicide. Donc, le fait de se décaler vers le bas... Entraîne des problèmes dans le fait que, d'une part, la dépression, c'est un retard de phase. Donc quelqu'un qui est déjà un peu triste ou nez risque de passer à l'aide. Parce qu'il s'est mis en jet lag social. Et que le premier traitement de la dépression, c'est de lever les gens. Au moins une heure et demie, voire trois heures plus tard plus tôt que ce qu'ils voudraient. Je leur dis toujours pendant qu'un jour vous allez me maudire, mais le restant de votre vie, vous allez me bénir et ça marche presque à tous les coups. Et puis autrement, si vous vous réveillez le matin, alors que vous avez ce décalage à cause des grasses matinées, du week-end, du pont ou des vacances, vous vous levez à la haute température, on n'est pas encore remonté. Et si vous avez un cœur fragile ou si vous avez une vigilance fragile, vous êtes toujours avec une température basse et vous allez péter une durite. Donc ça peut être quand même assez dangereux. Donc, quelqu'un qui ne dort pas bien, le premier conseil, c'est levez-vous à l'heure fixe et plutôt un peu plus tôt que vous ne voudriez. Et la nature est bien faite et remettra vos pendules à l'heure.

Décalage horaire [24:16 - 25:17]

Jean-Charles Samuelian : Et combien de temps on met pour se décaler, justement? Vous disiez après les vacances.

Patrick Lemoine : En moyenne 18 jours. C'est long. C'est-à-dire que si vous allez à New York, il faudra entre deux et trois semaines pour être à l'heure du pays d'accueil. Ce qui explique qu'aller aux Etats-Unis et revenir au bout de 15 jours, c'est le cas le plus fatigant. De même, pour les gens qui font les 3-8. Il ne faut surtout pas des rotations, ça les DRH le savent, de deux à trois semaines. Soit il faut des rotations très longues, de plusieurs mois, soit très courtes. Par exemple, beaucoup d'équipages, comme Air France, se débrouillent pour faire l'aller-retour très rapidement, être dans des hôtels internationaux où ils restent à l'heure du pays de départ. Pour ne pas se décaler. Parce que c'est un gros effort métabolique. Si je pars pour deux semaines aux États-Unis, mon organisme fait un gros, gros effort pour se mettre à l'heure du pays d'accueil. J'y arrive, ah, il faut repartir. Il faut recommencer le boulot. Donc, c'est complètement crevant.

Bénéfices du sommeil sur la santé [25:17 - 30:13]

Jean-Charles Samuelian : Oui. Dans l'introduction, vous mentionnez les bénéfices considérables du sommeil sur la santé et sur la longévité. Est-ce que vous connaissez d'en parler un petit peu plus et nous rappeler quelles sont les fonctions corporelles et les mécanismes corporels que le sommeil régule ou dérégule quand le sommeil est cassé.

Patrick Lemoine : Il faut savoir qu'au cours du sommeil, il y a un tas de phénomènes qui se produisent. Et en particulier, il y a des... Ce qui fait qu'on vieillit, c'est que l'extrémité de nos rubans d'ADN... Se raccourcit et s'effiloche. Et on sait que cette extrémité, c'est de la longueur de cette extrémité, de leur caractère interne ou pas, que dépend notre longévité. C'est-à-dire que si, moi, qui suis plus vieux que vous, mes extrémités de ces rubans sont raccourcies, c'est normal. Mais Dieu merci, toutes les nuits, si je dors bien, j'ai des petites couturières qui vont ravoder les extrémités de mes rubans d'ADN. Et donc, si je dors bien au bon moment, je vais quand même ravoder et continuer un petit peu plus longtemps temps, mon chemin en bonne santé. Ça, c'est le premier point. Donc, la longévité est directement liée à la durée, à la qualité de mon sommeil. Deuxièmement, on sait que au cours du sommeil, il y a une mise à jour de nos systèmes immunitaires qui se met en place. Il a été bien démontré, notamment par la raison de Morphée, que les personnes qui dormaient mal avaient des Covid plus graves. Et qui les emmenait plus facilement à l'hôpital, voire au cimetière. De même qu'il a été montré que les personnes qui prennent des vasodilépines, qui sont immunotoxiques, avaient plus de problèmes avec le Covid. Il a été montré aussi que les personnes qui dormaient bien toléraient mieux le vaccin et que le vaccin était plus efficace chez elles. Donc, cette mise à jour immunitaire... Explique que, par exemple, les personnes qui ne dorment pas bien ont plus facilement des cancers. Par exemple, les infirmières de nuit ont 18% de plus de chance ou de malchance d'avoir un cancer du sein. Et les gens qui ne dorment pas bien, les hommes, ont plus facilement des cancers de la prostate. Donc, il y a vraiment ce côté immunostimulant du bon sommeil qui fait qu'on est capable de reconnaître des agresseurs nouveaux. Le Covid, si c'est infectieux. Les cellules cancéreuses, si c'est oncologique. Donc ça, c'est le deuxième point. Le troisième point aussi, c'est que c'est au cours du sommeil qu'on régule la leptine et l'insuline. La leptine, c'est l'hormone de la satiété. La nature est bien faite, c'est mieux de ne pas avoir faim quand on dort. Et l'insuline, imaginons par exemple une étude qui a été faite. Je vous prends par hypothèse, vous êtes en très bonne santé, vous êtes jeune. Et donc, moyenne en finance, pendant 15 jours, je vous demande de dormir moins de 5 heures par nuit. Eh bien, si je vous fais une prise de sommeil au bout de 15 jours de privation de sommeil, je vais trouver une chute de votre insuline et un début de résistance à l'insuline. Vous serez pré-diabétique au bout de 15 jours de privation de sommeil. Et si, par malheur, vous avez des gènes de susceptibilité au diabète, vous risquez de basculer dans le diabète, qui est une maladie auto-immune, je vous rappelle. Donc, cette régulation de la leptine... De l'insuline, de la gréline, qui est l'hormone plutôt de la faim, par le sommeil essentiel. Et il a été bien démontré depuis pas mal d'années, maintenant que les insomniaques qui font la fête grossissent. Et je ne suis pas loin de penser que l'épidémie phénoménale d'obésité qui règne aux États-Unis est en partie aussi liée au fait qu'aux États-Unis, il y a plus de grandes villes et qu'on dort encore moins bien qu'à la campagne, par exemple. Il y a d'autres facteurs, parce qu'il y a la gender food là-bas, les sodas et tout ça, qui font aussi des ravages. Mais en gros, cette perturbation du sommeil va augmenter le poids, le diabète. Il y a aussi le fait qu'au cours de la nuit, la température baisse, la fréquence cardiaque, baisse, la tension artérielle baisse. Et donc, on a le moindre risque d'hypertension artérielle, donc d'Infarctus et d'AVC. Et puis, il y a aussi le fait qu'au cours de la nuit, le stress, si on dort, diminue. L'anxiété diminue, la noradrénaline diminue, le cortisol, etc. Et donc on a moins de risque d'état de stress et également de dépression. Vous voyez qu'il y a énormément de facteurs qui se régulent la nuit. C'est pour ça que j'explique bien que c'est le pilier de notre santé, de notre longévité, et non pas un des piliers. C'est-à-dire la raison pour laquelle en France, pendant toutes les études de médecine, on entre 0 et 2 heures, selon les facs. Cherchez l'erreur.

Le sommeil dans les études médicales [30:13 - 31:04]

Patrick Lemoine : Oui, et puis dites-vous bien que les médecins n'ont pas eu de cours sous le sommeil. Moi, je me rappelle mes premiers, ça fait longtemps, c'est une vieille époque, mais quand je faisais mes remplacements de médecine générale... Je n'avais jamais entendu parler des boutons, de la conjonctivite, de l'otite. Et c'est les mères qui m'expliquaient quand elles me voyaient sécher devant les gamins. « Docteur, je crois quand même que c'est la rougeole parce que mon aîné l'a eu. » « Ah, merci madame. » Et donc, on n'apprend pas les maladies bénignes. En revanche, on est très bon sur les maladies rares et graves. Et donc, l'insomnie fait partie des sujets quasiment jamais traités dans les études médicales. Et de ce fait, je ne dors pas. Ah, je prescris insomnifère. C'est vraiment catastrophique.

Le nettoyage du cerveau pendant le sommeil [31:04 - 33:08]

Jean-Charles Samuelian : Et des études qui poussent en plus la privation de sommeil pendant des périodes assez longues et légères. Vous parliez aussi des implications, et je pense que c'est connecté à la question précédente, mais sur la dépression, mais aussi sur les maladies neurodégénératives, comme Alzheimer. Qu'est-ce qui se passe pendant le sommeil? Notre cerveau se nettoie?

Patrick Lemoine : Alors, effectivement, c'est un sujet que je n'ai pas encore abordé. C'est assez récent comme découverte, mais on sait que... Notre cerveau, nos neurones, parce qu'on a toujours beaucoup insisté sur le cortex en oubliant tout le reste. Et en fait, depuis quelque temps, on s'intéresse plus à la glie, la neuroglie, qui est une espèce de filet nourricier qui enveloppe notre cerveau et l'ensemble de notre système nerveux central. Et ce filet n'est pas que nourricier. Parce qu'il a été montré que quand on dort, il y a des lents mouvements du liquide céphalo-rachidien qui baignent notre système nerveux central. Et qui permet de drainer tous les neurotoxiques, que ce soit des médicaments ou même des produits de catabolisme qu'on accumule dans la journée, et donc vont se prendre dans ce filet et ensuite s'évacuer par ces mouvements. Donc, on ne sait pas exactement quelles sont les conséquences, baisse de régulation de ce nettoyage du cerveau toutes les nuits, mais tout le monde est persuadé que ça a sûrement une grande importance et que c'est important de débarrasser nos neurones de tous ces produits, ces déchets accumulés en cours de la journée. Donc, effectivement, il est possible, mais c'est encore une spéculation, que la maladie d'Alzheimer et les maladies neurodégénératives, style, Parkinson, par exemple, sont peut-être liées aussi à un déficit de ce côté-là. Mais ça, ce n'est pas encore bien démontré. Il y a toujours des raisons, puisqu'on parle de maladies auto-immunes. Que le simple fait de mal dormir favorise, et ça a été bien démontré, l'Alzheimer. Les démences, aussi, de manière générale, sont favorisées par les apnées du sommeil, qui est un autre sujet très important.

Les apnées du sommeil [33:08 - 34:57]

Jean-Charles Samuelian : Peut-être qu'on peut un peu creuser sur les apnées du sommeil et définir ce que c'est, comment on les détecte, quels sont les impacts de l'apnée du sommeil.

Patrick Lemoine : Je vais encore vous passer pour un dinosaure, mais quand je suis revenu de Stanford, personne n'avait entendu parler des apnées du sommeil. Je n'y suis pour rien, mais j'étais chez Demand et Guimino au moment où c'est arrivé. Il y avait déjà eu des recherches à Marseille, les premiers au monde, à montrer qu'il y avait un rapport entre ce qu'on appelait à l'époque le syndrome de Pickwick, c'est-à-dire un gros rouge ronfleur qui s'endormait. C'était un cocher, M. Pickwick. C'était le cocher de M. Pickwick. Et donc, quand il attendait son maître, qui jouait au golf ou qui était dans son club britannique très distingué, il retrouvait leur cocher qui dormait en ronflant très fort. Et donc, Gaston, à Marseille, est le premier à avoir montré qu'il y avait un lien entre le fait de ronfler et d'arrêter de respirer en cours de nuit et de dormir dans la journée. C'est une découverte. Mais après, ça avait été un peu oublié. Jusqu'à ce qu'il y ait autour de 82 à Stamford, il y ait tout un développement autour de Guilleminot sur cette question-là. Un syndrome d'apnée du sommeil, c'est un arrêt complet de la respiration qui dure plus de 10 secondes. On commence à s'y intéresser, à appareiller les gens s'ils ont des arrêts de plus de 30 apnées par heure de sommeil. Entre 5 et 10, on surveille. Entre 10 et 30, 10, 20, 25... On met ce qu'on appelle des orthèses, c'est-à-dire des gouttières d'avancement de la mandibule inférieure. Alors, pourquoi en insistant là-dessus? Parce que d'une part, c'est très fréquent, et en plus, c'est de plus en plus fréquent.

Prévalence et conséquences des apnées du sommeil [34:57 - 38:30]

Jean-Charles Samuelian : C'est quoi la prévalence de l'apnée des sommeils?

Patrick Lemoine : On dit que vers 60-65 ans, c'est autour de 18%. Ça dépend, parce que les études varient. Si on prend 5 apnées, ou 10 apnées, ou 30 apnées, c'est très, très différent. En tout cas, c'est très, très fréquent et très grave, finalement. Parce que quand même, ça va vous amener du sommeil, et qu'à la décès, à la fertus, troubles du rythme, arrêt cardiaque, Alzheimer, démences, et je vous en passe, c'est des meilleurs. Donc, c'est vraiment important de les... De les détecter. Et quand je suis revenu en France, avec dans ma valise droite, le savon de l'apnée du sommeil, et dans ma valise gauche, la dépression d'automne et la luminothérapie, on m'a pris pour un illuminé. Et moi, le petit assistant en psychiatrie, j'allais dans les grands services de Pneumo à Paris pour leur expliquer ce que c'était que l'insuffisance respiratoire aiguë la nuit. J'étais très fier. On ne peut pas être trop fier du tout, d'ailleurs. Mais ça a mis beaucoup de temps à rentrer dans les mœurs. Maintenant, c'est bien détecté. Et en principe, toute personne qui a un accident vasculaire cérébral, qui a un problème coronarien, qui a un trouble du rythme, je vous rappelle que deux fois sur trois, la rythmie complète, qui est quand même assez fréquente, est due, du moins liée à un syndrome d'apnée du sommeil. Donc, en fait, toute personne qui a une hypertension artérielle, toute personne qui s'endort dans la journée, qui a des accidents de voiture au volant, toute personne qui a un trouble du rythme, toute personne qui fait un AVC devrait être enregistrée de manière systématique, comme par exemple, ça se fait très largement dans la Clinique mutualiste de Saint-Etienne, où ils sont pionniers dans notre pays, dans ce domaine. Donc on doit les repérer, d'autant plus que souvent, c'est des gens qui dorment trop, c'est une hypersomnie, il y en a qui dorment pas assez, c'est ceux qui se portent le mieux, puisque moins vous dormez, moins vous faites d'apnée, et arithmétique. Et puis... Si vous faites trop d'apnée, vous n'êtes plus endormi, mais le matin, vous vous réveillez complètement crevé, épuisé. C'est le signe principal du syndrome d'Apnée du sommeil. J'ai dormi comme une souche au réveil, c'est comme si j'avais passé une nuit blanche, j'ai ma tête, mon oreiller est plein de bave, et puis je suis épuisé. Et à ce moment-là, le diagnostic est pratiquement fait. L'enregistrement sert juste à quantifier le syndrome d'Apnée du sommeil. Donc, il est important de le diagnostiquer, surtout que j'avais démontré il y a bien longtemps qu'un quart de comprimé de Bromazepam pris à 20 heures, c'est exactement comme un verre de vin rouge ou un apéro de whisky, ça multiplie par deux le nombre et la durée des apnées. C'est-à-dire que si vous, vous êtes subnormal...

Impact des médicaments et de l'alcool sur les apnées [38:30 - 40:44]

Jean-Charles Samuelian : Bromazepam, pardon, c'est...

Patrick Lemoine : J'ai le droit de le dire? Oui. L'exomyle. Ok. Et donc, si vous, par hypothèse, vous faites entre 5 et 10 apnées du sommeil... Par heure de sommeil, vous prenez un quart de l'examine et vous allez en faire 20 qui ne vont plus durer 10 secondes, mais 20 secondes. Vous passerez d'un stade de ronfleur banal au stade d'apnéique. C'est quand même grave. Parce que le nombre de gens qui prennent un verre de vin ou qui prennent un hypnothique ou qui prennent un comprimé de tranquillisant le soir est énorme. Et souvent, je fais hurer mes confrères en leur disant prescrire une benzodiazépine ou un somnifère à quelqu'un et demander s'il ronfle. C'est une faute médicale. Il n'y a pas encore de procès dans notre pays, mais à mon avis, ça va venir. Aux Etats-Unis, il y en a.

Jean-Charles Samuelian : Et vous parliez aussi du coup, quel est l'impact de l'alcool sur le sommeil?

Patrick Lemoine : Il faut savoir que l'alcool, c'est exactement le même mécanisme GABA-RJ que les baseux d'azépine. Donc, c'est quelque chose qui approfondit le sommeil. Et là, c'est presque une lapalisade. C'est plus je dors profondément, plus je suis difficile à réveiller. Qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire qu'imaginons que vous ronflez et que vous arrêtez de respirer. Au bout de 10 secondes, 20 secondes, 30 secondes, panique à bord, parce qu'au niveau des carotides, vous avez ce qu'on appelle un glomus, des glomies, avec des récepteurs dopaminergiques qui disent « Ouh là, les mecs, attention, le gaz carbonique monte, l'oxygène chute, il faut faire quelque chose. » Ils envoient un email aux autres récepteurs qui sont dans le tronc cérébral. Alors là, branle-bras de combat. Si on ne se réveille pas avec cet hypercapnée, ça va mal se passer. Et là, ils envoient une alerte généralisée à tout le cerveau, notamment aux structures d'éveil. La personne, au bout de 10, 20, 30 secondes, se réveille, prend 2, 3 respirations, normalise l'oxygène, le gaz carbonique, et se rendort, lui recommence les apnées. Toute la nuit, en fait, il y a une succession d'éveils de quelques secondes, non mémorisées, suivies de réendormissement, de nouvelles apnées, etc. Donc les nuits sont épuisantes, parce qu'imaginons quelqu'un qui fait 40-50 apnées du sommeil de 10 secondes par heure de sommeil, c'est des lendormeurs. 10 heures de sommeil, multiplié par ce que je viens de vous dire, faites le calcul, ça fait un paquet d'éveils. Donc on peut comprendre que dans la journée, ils soient un peu fatigués, qu'ils soient impuissants ou frigides, et qu'ils s'endorment et qu'ils aient des accidents de voiture. Donc, c'est vraiment un état d'épuisement, c'est une fatigue majeure. Et le fait donc d'approfondir le sommeil fait que l'email d'éveil, qui est envoyé par le tronc cérébral, il faut qu'il ait une plus longue durée d'endormissement, parce qu'on est plus difficile à réveiller, donc les apnées sont plus longues, et plus fréquentes, et plus sévères. Donc, il y a vraiment une aggravation du syndrome d'apnée, du sommeil, voire une création du syndrome d'Apnée du sommeil par ces molécules.

Fragmentation du sommeil par les apnées [40:44 - 42:21]

Jean-Charles Samuelian : Et du coup, ça fragmente le sommeil.

Patrick Lemoine : Oui, et surtout le fait d'avoir plus d'hypercapnées. Avec une apnée du sommeil, il y a deux organes cibles, c'est le cerveau et le cœur. Et donc, plus les apnées sont longues, parce qu'en fait, l'index d'apnée de... Le temps de réveil de plus de 10 secondes par heure de sommeil n'est pas un très bon indicateur. Ce qui compte, c'est l'index d'hypoxie ou l'index d'hypercapnie, c'est-à-dire le nombre de fois où mon oxygène chute et mon gaz carbonique monte dans le sang. C'est ça qui est quand même le gros facteur de risque. Maintenant, les nouveaux logiciels permettent de le voir très facilement. C'est très important et c'est ça qui est le plus impacté par les somnifères et tranquillisants, et, de manière générale, par toutes les molécules qui approfondissent le sommeil, mais surtout quand même les bases de diézépine, parce qu'en plus, elles sont mieux relaxantes, c'est-à-dire qu'elles relaxent les muscles. Donc, si une apnée, c'est quoi? Je suis sur le dos, j'inspire, j'invade ma langue. C'est-à-dire que les muscles de ma glotte sont ramollis par la base de diézépine ou par l'alcool. Et donc, plus c'est mieux relaxant, plus ça va être sévère. Par exemple, le valium, qui est spécialement mieux relaxant, ou le rivotril aussi. Sont plus apnéigènes, surtout qu'ils sont longs comme molécules. Alors que des molécules, moi, je ne sais pas, je dirais, il y a des molécules antihistaminiques très légères, comme le 2-dormil, n'ont pas trop d'impact, a priori, sur ça dans l'année du sommeil, même si je ne les recommande pas de manière prolongée, mais de manière, puisqu'il n'y a pas de dépendance, bref, pourquoi pas.

Sommeil, apprentissage et mémoire [42:21 - 44:02]

Jean-Charles Samuelian : Fascinant, merci. Et quel est le rôle du sommeil aussi sur l'apprentissage sur la mémoire. Il y a pas mal de papiers qui essaient, qui corrèlent les deux. C'est quoi votre vision?

Patrick Lemoine : Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est vrai que là, vous faites bien de me rappeler à mes devoirs d'enseignant. En effet, parmi toutes les fonctions du sommeil, on sait que, n'en déplaise au Grand Sigmund, le rêve, ça ne sert pas qu'à résoudre des pseudo-problèmes inconscients. Il n'y a pas de clé des rêves universels, il n'y a que des clés individuelles. mais... Par ailleurs, on sait que lorsqu'on rêve, il y a une espèce de logiciel qui se met en place. Qui fait que 90% de nos rêves sont d'une banalité affligeante. On refait ce qu'on a fait dans la journée et puis on élimine. Ce n'est pas pertinent, ce n'est pas intéressant. Vous avez une très belle chemise, mais je ne suis pas sûr que dans cinq ans, ce sera passionnant pour moi de savoir que vous avez une très, très belle chemise. Donc probablement cette nuit, je vais virer votre belle chemise. En revanche, si ce que je vous dis est fascinant, peut-être que cette nuit, vous allez augmenter votre temps de sommeil en profond parce que votre logiciel sommeil, paradoxal, qui fait défiler les rêves, ce qu'il a dit, c'est vachement intéressant, je le garde et je l'engramme, je le fixe dans mon hippocampe, qui est la structure de la mémoire, ensuite le dispatcher, donc je grave les souvenirs pertinents et je vire le reste. Si, évidemment, mon sommeil paradoxal et mon sommeil en profond sont... perturbés, c'est clair que je n'ai pas qu'à mémoriser et peut-être qu'à terme, en effet, je vais faire le lit d'une maladie d'Alzheimer.

Sommeil et apprentissage chez les adolescents [44:02 - 44:59]

Jean-Charles Samuelian : Et donc, en effet, quand je vais apprendre des choses, que ce soit des nouvelles choses moteurs ou du nouveau savoir, j'ai intérêt à avoir un sommeil très précis.

Patrick Lemoine : Je vous vois venir. Effectivement, si vous avez des enfants adolescents, s'ils prennent sur leur temps d'endormissement, c'est-à-dire qu'un ado qui est programmé pour dormir à 23 heures, qu'il va réviser jusqu'à 2h du matin, ça ne sert à rien parce qu'il a très mal mémorisé ce qu'il a appris. En revanche, le même ado, s'il fait ce qu'il y a de plus dur, ce qu'il y a de plus compliqué, ce qu'il y a de plus important au cours des 2-3 heures précédant son endormissement, là, c'est vachement rentable. Il va pouvoir bien engrammer, bien fixer. Donc, vous, les parents d'adolescents, faites-les travailler avant de se coucher, mais pas en prenant sur leurs heures de sommeil d'endormissement.

Mémorisation et odeurs [44:59 - 46:02]

Jean-Charles Samuelian : Et c'est avant de se coucher qu'on a les meilleurs impacts.

Patrick Lemoine : C'est là qu'on aura les meilleures performances.

Jean-Charles Samuelian : Et j'avais lu aussi un papier...

Patrick Lemoine : On peut aussi, pardon de vous couper, mais il y a des études marrantes, mais qui n'ont pas été tellement suivies des faits. C'est que si vous imaginez que ce soir, vous décidiez de bosser un truc super important, mais qu'en même temps, vous mettiez un parfum, je ne dis pas quoi, de lavande, ou un numéro 5, et qu'ensuite, au cours d'un an, quelqu'un vous met sous le nez le même parfum, ça risque de faire revenir ce que vous avez bossé et de mieux mémoriser. C'est des études encore un peu rares. Pas très suivi, mais c'est peut-être quelque chose. Parce qu'en fait, quand on rêve, on n'est pas complètement coupé du monde. C'est-à-dire que si on a un bruit, c'est arrivé à tout le monde de rêver qu'il y a les pompiers qui arrivent, qu'il y a le feu. Et puis, en se réveillant, s'apercevoir qu'en fait, il y avait le réveil, qu'il se faisait une sonnerie qui a été transformée par le travail du rêve en une sirène des pompiers. Donc, les parfums également peuvent être interprétés par le rêve. Donc, on a comme ça tout un tas d'informations de l'extérieur qui sont transformés et qui peuvent éventuellement être utilisés.

Sommeil et régulation des émotions [46:02 - 48:55]

Jean-Charles Samuelian : Et j'avais lu aussi, et je serais très intéressé d'avoir votre point de vue, sur l'impact du sommeil, sur la régulation de nos émotions et sur notre perception des situations aussi, et des autres. Est-ce que vous avez du savoir là-dessus, vous voulez?

Patrick Lemoine : Du savoir, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que lorsque l'on rêve, on vit tout un tas d'émotions. Et il est probable que ce soit déjà le cas chez le fœtus. Puisqu'il a été montré quand même que lorsqu'on est toujours dans le ventre de nos mamans, on a du sommeil lent et du sommeil agité. Et qu'on continue à avoir du sommeil lent et du sommeil, agité en gros jusqu'à l'âge d'un an. Et la nature est bien faite parce que lorsque l'on est en vrai sommeil, paradoxal, on est complètement paralysé, pratiquement sourd et aveugle, et donc très, très vulnérable. Mais avant, on est agité. Pourquoi je dis que c'est bien fait? Parce que c'est quand on a autour d'un an, c'est-à-dire au moment où on acquiert la marche, qu'on se paralyse. Parce que, sinon, si on mettait en action nos rêves, comme les tout petits bébés font, ça pourrait être dangereux. Si je mets en action mes rêves, j'aurais plus de belle-mère, j'aurais plus de flics, j'aurais plus de contrôleur des impôts. Bref, le monde serait un peu dépeuplé. Donc, on a ce système qui nous paralyse au moment où nous rêvons. Du coup, j'ai perdu le fil.

Jean-Charles Samuelian : Je parlais de l'impact sur les émotions.

Patrick Lemoine : Oui, donc en fait, quand on... Une très vieille étude qui a été faite par Cyrulnik et Oaillon, qui a au moins 40 ans, qui se passe à Marseille, où on a privé de sommeil, paradoxal, en leur donnant des antidépresseurs, des bébés chats. Une fois devenus adultes, ils étaient incapables d'avoir un jeu relationnel, émotionnel, qui leur permettait de dealer avec les autres chats. Et donc, un chat mâle croise une chatte, il ne sait pas quoi faire. Il croise un autre chat mal, il ne sait pas s'il doit se battre, mais il ne sait pas faire. C'est-à-dire que ce serait au cours de ces États émotionnels, que nous fabriquons des tas de scénarios tous plus improbables. Les uns que les autres, en rêvant, in utero, étant bébé, qu'on apprend à réguler nos émotions lorsqu'on croise nos contemporains. Donc, ce serait une espèce de l'image de Michel Jouvel, l'immense chercheur lyonnais des années 70-80. Une espèce de sillon qui, toutes les nuits, nous permet de creuser, enfin, c'est un socle qui permet de creuser les sillons de notre vie sociale. Et ça, à mon avis, c'est par le fait même que, quand nous rêvons, nous traversons toutes les émotions possibles et imaginables, toutes les situations sociales et imaginaires, et en fait, le rêve servirait déjà à élaborer des scénarii, outre le côté mémoire, mais des scénarii nous permettant de dire avec nos contemporains. De vivre notre vie d'humain.

Le rôle de la sieste [48:55 - 52:11]

Jean-Charles Samuelian : C'est fascinant. On parlait tout à l'heure de l'impact du sommeil sur les émotions, sur notre mémoire. Vous avez aussi mentionné la notion de sieste et du fait que notre température tombait en début, d'après-midi vers 13 heures. Quel est le rôle de la sieste?

Patrick Lemoine : C'est très étonnant, d'ailleurs, de se dire qu'on soit suédois ou marocains, lillois ou marseillais, qu'on ait mangé ou pas, vers 13h, midi, heure solaire, il y a un petit décrochage de température qui fait que, qu'on ait mangé ou pas, quand même, il y a un moment où c'est un peu dur. Moi, qui suis en avance de phase, plutôt, c'est vers 11h30. J'en peux plus. Et donc, des fois, je fais une micro-sieste. À l'époque où j'étais fonctionnaire, j'avais un peu de temps. Et donc, je faisais une micro-sieste en me mettant devant la télé. Elle durait le temps des résumés des infos, c'est-à-dire 30 secondes, et ça suffisait. Et je repartais pour toute la journée. Donc, on a une régulation de notre éveil au milieu de la journée. À quoi c'est dû? Bon, à mon hypothèse, mais peut-être qu'elle ferait rire les paléontologues, à savoir qu'on est un animal qui est né en Afrique, du côté de l'Abyssinie. Rappelez-vous Lucie et ses copines quand elles gambadaient dans la savane. C'est des pays où toute l'année, 12 heures de jour, 12 heures de nuit, il y a une température à peu près stable. Et dans la journée, il faisait vraiment chaud. Donc, je pense qu'ils se mettaient à l'abri au frais. Pour essayer de ne pas cuire. Et peut-être qu'il nous est resté de manière atavique, gravé dans nos gènes, ce besoin de dormir. C'est une spéculation, ce que je dis. En tout cas, on a ce phénomène qui s'appelle la sieste, qui est physiologique. Mais il ne faut pas s'imaginer que c'est complètement génétique. C'est aussi très culturel. Il y a une façon de le prouver qui est simple. Prenez, par exemple, les Andalous. Ce n'est pas rare, à 2-3 heures du matin, de voir un gamin de 4-5 ans qui joue sur la femme ailleurs. Qui se couche donc très tard, qui va se réveiller pour aller à l'école et qui va dormir comme tous les andalous pendant 3 heures de midi à 15-16 heures. Et en fait, ils ont leur taf de sommeil puisqu'ils dorment au moins 3 heures dans la journée et 4-5 heures la nuit, donc ils ont ce qu'il leur faut. Et si vous regardez leurs voisins de palier, les Portugais, même climat, ils ne connaissent pas la sieste, ils ne savent pas faire. Maintenant, vous prenez les descendants des Espagnols. Les descendants culturels, je parle des Chiliens, je parle des Argentins, je parle des Boliviens, je parle des Péruviens. Les Péruviens, c'est des gens qui n'ont pas de gêne espagnol, c'est des Indiens. Et ils font la sieste. Culturellement, ils font la sieste. Prenez les descendants culturels des Portugais, les Brésiliens. Génétiquement, c'est des blacles pour la majorité. Ils ne connaissent pas la sieste non plus. Il faudrait faire chaud au Brésil. Donc on voit que... Ce besoin physiologique de sieste est moins fort quand même que l'imprégnation culturelle. Si vous êtes hispanophone, vous ferez la sieste. Les Mexiques sont les champions du monde de la sieste, les Mexicains. Alors que si vous êtes lusitanophone, portugais, vous ne ferez pas la sieste. C'est étonnant, non?

La micro-sieste [52:11 - 53:48]

Jean-Charles Samuelian : Extrêmement intéressant.

Patrick Lemoine : Alors la micro-sieste, parce que dans nos climats, on va dire hexagonaux, ce taux, disons, de... En gros, de Lille, jusqu'à Lyon, la sieste n'est pas très répandue. Et on la déconseille aux insomniaques. Si elle fait plus de 20 minutes, 20 à 30 minutes. Parce qu'en fait, moins de 20 minutes, vous relancez la machine, vous relancez la vigilance. Moi, je vous disais 30 secondes, ça me suffit. Et ça favorise la nuit suivante. On dort mieux si on a fait des micro-siestes quand on avait des coups de pompe. En revanche, une sieste de plus d'une demi-heure va amputer le capital sommeil de la nuit suivante. Donc j'interdis autoritairement, à mes insomniaques, des siestes de plus de 20 minutes. En revanche, je leur conseille des micro-siestes.

Jean-Charles Samuelian : Les micro-siestes, c'est 20 à 30 minutes, maximum?

Patrick Lemoine : Non, c'est déjà beaucoup. Entre 30 secondes et 15 à 5 minutes. Il y a des tas de gens qui vous disent « Moi, si je m'endors, j'en ai pour trois plombes. Puis, après, je suis crevé. » Je leur dis à ce moment-là, vous reprenez ce qu'a très bien enseigné Salvador Vali. Si vous tapez « Salvador Vali micro-siestes », vous tombez sur un très joli texte, presque un poème du grand Salvador. Il disait « Quand j'ai fini de manger, je me mets sur un beau fauteuil espagnol, bien sûr. » Bon, je vous la fais sans accent. « Je prends une petite cuillère en argent entre pouce et index. Par terre, j'ai mis une belle assiette en argent. Je m'endors, j'ouvre les doigts. La cuillère tombe, ça me réveille et ça suffit. » Et il avait raison.

Personnages historiques et sommeil [53:48 - 55:29]

Jean-Charles Samuelian : Je ne connaissais pas.

Patrick Lemoine : Les Talerans le faisaient aussi. Enfin, la micro-sieste était bien. Napoléon le faisait. C'était un court-dormeur. Et ça a très bien marché. Il y a des images d'Épinal où on voit des murs, des petits tambours qui protègent le sommeil de l'empereur. Pendant la bataille à Jena, Austerlitz. Et puis, il y a un moment où, et ça, je l'affirme dans un de mes livres sur la santé psychique de ceux qui ont fait le monde, qu'il y a eu un moment où il a développé un syndrome d'ablée du sommeil. On voit sur son masque mortuaire qu'il a toutes les caractéristiques avec une rétrognatie. Et puis il se plaignait beaucoup de ce qu'il appelait ses méridiennes, qui faisait qu'il dormait tout le temps. Et c'est à partir de ce moment-là qu'il a commencé à faire toutes les conneries du monde, la campagne de Russie, les 100 jours, tout ça, sont dues à ses apnées du sommeil. Donc, on voit que les micro-siestes lui ont réussi, et du jour où il a fait des macro-siestes, deux apnées, il a perdu. Pourquoi il y a de plus en plus d'apnées? La faute à McDonald's. Pourquoi? Parce qu'imaginons... Nos ancêtres, sapiens, quand ils tuaient un auroch ou un mammouth, la viande, c'était du costaud, même, cuite, c'était rude. Donc, ils avaient des bons maxillaires. Maintenant, si vous allez prendre un hamburger, vous avez une viande dégueulasse, molle, qui ne faisait plus amacher. Et donc il y a une atrophie progressive de nos massétères qui font qu'il y a une rétrognatie, menton en arrière, moi, j'ai un petit peu, et donc vous avez plus facilement des apnées du sommeil. Plus ça ira, plus il y aura d'apnée du sommeil. Peut-être qu'un jour, l'humanité sera sous machine pour dormir.

Vieillissement et sommeil [55:29 - 57:50]

Jean-Charles Samuelian : Et vous disiez que l'apnée du sommeil se développe avec le vieillissement. Quels sont les autres impacts du vieillissement sur le sommeil?

Patrick Lemoine : Malheureusement, comme tout le reste, le sommeil prend des rides. A savoir que le contraste jour-nuit est de moins en moins puissant, puisque notre écart de température, jour-nuit est de plus en plus faible. Normalement, si tout va bien, on a en moyenne 1°4°C de différence entre le maximum d'urne vers 16-17h et le minimum d'urne à 3h du matin. Et l'expérience montre que notre horloge, le tic-tac, le balancier, marche moins bien. Et donc, il y a moins de contraste, qui fait que, comme le sommeil en profond, ne se produit que si on est en température descendante, donc en début de nuit, quand on vieillit, au lieu d'avoir une heure de sommeil en profond, chez un adulte jeune et en pleine forme, un vieillard de 90 ans aura 3-4 minutes de sommeil en profond. D'où probablement la fatigue, les problèmes de cicatrisation, etc. Donc, plus on vieillit, moins on a de stades utiles, sommeil en profond et sommeil, paradoxal, plus ces stades sont hachés, plus il y a des événements nocturnes. Contrairement à la légende, les personnes âgées dorment autant en durée cumulée que les jeunes. Simplement, la nuit, ils ont des grandes plages d'Insomnie qu'ils récupèrent en somnolant dans leur fauteuil, à oreillettes. C'est la dure réalité. Et une fois de plus, les personnes âgées qui dorment mal, et notamment dans les EHPAD, surtout, ne les endormez pas à coup de chimie. Réveillez-les. Mettez-les à la lumière du jour. Et stimulez-les au maximum. Qu'est-ce qui stimule? C'est le fait de pouvoir jouer aux jeux de société. Opérer quelqu'un d'une cataracte, c'est traiter son sommeil. C'est également communiquer si on fait une belote. Appareiller quelqu'un de loué, c'est traiter le sommeil. Et puis, être réveillé, c'est faire de la gym. Donc, traiter avec un kiné, même des anthalgiques, une personne âgée, c'est traiter son sommeil. Bref, tout ce qui stimule leur âge d'aîné, c'est bien. La nuit, on leur fout la paix, on leur donne de la mélatonine, surtout les personnes Alzheimer. Parce qu'il y a beaucoup d'études qui montrent que c'est très utile. Surtout si c'est complet à la lumière, le matin.

L'impact sur les EHPAD [57:50 - 58:18]

Jean-Charles Samuelian : C'est connecter les deux, qui est très grave.

Patrick Lemoine : Moi, j'ai changé complètement l'ambiance d'EHPAD. J'étais dans une maison de retraite à l'ancienne. Juste en supprimant les hypnotiques, en tenant la mélatonine le soir à la lumière le matin, les personnes âgées démentent. Arrêtez de déambuler la nuit et de réveiller tout le monde. Et dors bien la nuit et t'es réveillé le jour. Ça change tout dans l'ambiance d'un EHPAD.

Types d'insomnies [58:18 - 61:59]

Jean-Charles Samuelian : Vous parliez d'insomnie aussi. Est-ce qu'il y a différents types d'insomnie et comment ça fonctionne? Quelle est un peu la définition?

Patrick Lemoine : Bien sûr. Je pense que tout le monde sait qu'à chacun, son insomnie, comme à chacun son sommeil. Donc, il y a les insomnies d'endormissement, c'est surtout le fait des personnes du soir. J'arrive pas à m'endormir le soir, il y a les insomnies de réveil, précoce. Si je suis un peu trop stimulé, ça va être mon cas. Ou je me réveille à 5h30, j'ai me réveillé à 4h15, 4h30, ce que je n'aime pas. Parce que là, j'ai un manque. Et puis, il y a les insomnies de maintien du sommeil, sans parler de ce dont on a parlé tout à l'heure, les hypno-agnosies, je dors, mais je ne sais pas que je dors. Donc, il y a des personnes qui ont du mal à s'endormir, d'autres qui se réveillent au cours de la nuit, d'autres qui se réveillent trop tôt le matin, et il y en a qui font la totale. Il y a des tas de raisons pour mal dormir. En gros, les trois quarts des personnes qui dorment mal, c'est dû à une raison psychologique ou psychiatrique. On va dire une cause très fréquente, c'est aussi les toxiques. En premier lieu, la caféine. Thé, café, chocolat, coca, boisson énergisante. Deuxièmement, il y a aussi toutes les drogues. À part l'héroïne qui fait dormir, mais je ne la prescris pas souvent. Tout le reste, la cocaïne, le crack, tout ça, ça, réveille. Le cannabis, c'est variable. Il y a des personnes que ça réveille, surtout si elles sont en groupe. D'autres que ça endort et que ça calme. Le CBD n'a pas démontré d'efficacité dans le... Dans le sommeil, mais certains de mes patients l'utilisent, et pourquoi pas, je ne suis pas hostile. Autrement, il y a plein de médicaments qui entraînent une insomnie, contre le Parkinson, contre l'hypertension, on n'en finirait plus si je vous donnais la liste des médicaments. Mais si vous ne dormez pas, alors que vous venez d'avoir un traitement nouveau, posez-vous des questions. Ensuite, il y a toutes les douleurs, toutes les fièvres, toutes les insuffisances cardiaques, rénales, pulmonaires. Et puis, plein de maladies propres au sommeil. Mais comme je vous le disais, les trois quarts des insomnies sont dues, soit à une raison psychologique. Je ne dors pas parce que je suis à la veille d'un événement. Je ne vais pas dormir parce que demain je me marie. Ou bien je ne vais pas dormir parce que demain je vais peut-être ou pas être élu. Ou je ne vais pas dormir parce que demain, j'ai été convoqué pour un entretien préalable à licenciement. Bref, il y a des tas de raisons qui sont, on va dire, normales, parce qu'on est stimulé, parce qu'on pense à ce qui va se passer le lendemain. Et puis, autrement, le grand pourrieur de la somnifération, c'est la dépression. Et la dépression, parce qu'en gros, 80% des déprimés sont insomniaques, 20% sont hypersomniaques et 100% dorment mal. Et un des grands critères de la dépression, c'est au réveil, je suis très, très mal, les déprimés sont mal en début de la première moitié de la journée. Et bizarrement, le soir, ils sont pas mal. Et combien de fois j'ai eu des visiteurs de mes services consacrés aux déprimés, ils venaient le matin, tout le monde pleurait, le soir, les gens, ils sont pas déprimés, ils rigolent tous. Ben oui, revenez demain matin, vous verrez. Donc il y a vraiment, c'est presque, on va dire, caricatural d'une maladie chronobiologique, la dépression, mal le matin et bien le soir. Il y a des gens qui sont pas tristes, mais qui ont des maux de tête que le matin et pas le soir, ou qui ont mal au dos que le matin et pas le soir. Ça sort la dépression, il faut faire gaffe à ça. Il y a les maladies propres au sommeil, quand j'en parle, l'arcolepsie, cataplexie, les apnées du sommeil, l'hypersomnie diatomatique, maladies assez rares, mais qui perturbent de manière majeure le sommeil.

Traitement des insomnies [61:59 - 65:04]

Jean-Charles Samuelian : Pour revenir sur les insomnies, comment on peut résoudre ces problématiques d'insomnie? Quelle est votre approche clinique quand vous êtes confronté à ça? Quels sont les conseils que vous pouvez donner aux gens?

Patrick Lemoine : D'abord, je prescris presque jamais des somnifères. J'insiste là-dessus, c'est des médicaments toxiques qui ne font pas dormir, qui ne font qu'anesthésier. D'ailleurs, les gens sous somnifères disent « je dors ». C'est bizarre, je suis quand même crevé dans la journée. Pourquoi? Parce qu'au bout de deux ou trois semaines, les personnes croient qu'elles dorment, mais elles ne dorment pas. Elles deviennent hypno-agnosiques. C'est très curieux de voir ces personnes qui disent « je croyais que je dormais ». Elles sont agri-hypno-agnosiques plutôt. Conscientes de leur réveil en cours de nuit.

Jean-Charles Samuelian : Elles sont assommées.

Patrick Lemoine : Oui, mais elles n'arment pas.

Jean-Charles Samuelian : Elles n'arment pas.

Patrick Lemoine : Elles n'arment pas. Les enregistrements de sommeil le montrent. Elles sont très surprises de voir que... Alors moi, mon hypothèse, qui n'est pas démontrée, mais je n'ai entendu personne la critiquer, c'est qu'en fait, les hypnotiques, au bout de deux à trois semaines, perdent leur côté sédatif. En revanche, le pic d'absorption entraîne une amnésie. Donc, pour moi, en fait, au bout de deux à trois semaines, les somnifères font oublier qu'on ne dort pas. C'est une amnésie d'insomnie. Le bénéfice est quand même moyen, vous en conviendrez. Donc, c'est vrai que je suis vent debout contre ces molécules, tout en sachant que de temps en temps, ça peut être un coup de pouce, dans les moments avant une opération, éventuellement avant une mise en examen, des choses comme ça. Ça peut être utile, ça permet de franchir un cap, mais surtout, le moins possible, le moins longtemps possible. Et si j'en prescris, je leur dis... Comme pour un antibiotique, ça va être pour 3 jours, ça va être pour une semaine. Ce qui fait que psychologiquement, dès le départ, les gens savent qu'il y a une durée limitée. Et ça fait qu'il n'y a pas d'addiction. En fait, c'est très facile de l'arrêter quand on sait que c'est pour une période déterminée, que de toute façon, quoi qu'ils disent, ils n'en auront plus. Et donc, alors que la législation, enfin, la réglementation fait que normalement, un hypnotique, c'est 4 semaines, un anxiolytique, c'est 12 semaines, on se demande pourquoi, d'ailleurs. Enfin, c'est comme ça. Combien de patients prennent leur temesta depuis 15 ans, prennent leur Imovan depuis 10 ans. C'est hyper fréquent. Et pourtant, j'ai dans mes archives une étude anglaise où il y a, je crois, 106 000 sujets, suivis pendant 5 à 15 ans en les répartissant en deux groupes. Ceux qui ont pris des basos, ceux qui n'en ont pas pris. Un tiers en ont pris, deux tiers n'en ont pas pris. Presque deux fois plus de morts dans le groupe qui en a pris. Alors, il y a des facteurs évidemment confondants. Si je prends des médicaments, c'est que je suis malade. Si je suis malade, j'ai plus de chances de mourir. Mais si vous supprimez statistiquement tous ces facteurs confondants... Vous voyez qu'il y a quand même plus de chances de mourir si on est avec ces molécules. Et plus de chances de mourir, il y a les apnées du sommeil, il y a le côté immunotoxique, il y a plein d'autres raisons. Donc, vraiment, il faut faire attention, surtout qu'il y a plein de manières autres de faire dormir. Les gens, tout à fait efficaces, aussi efficaces que les bases de l'ézépine. Je vous dis, je n'en prescris, enfin, je n'en initie presque jamais. Parfois, je suis obligé de les renouveler en faisant les gros yeux, en disant, je vous préviens, je vous mets dans un programme de sevrage. Ça ne marche pas toujours, mais quand même, ça marche souvent, heureusement. Sinon, je changerais de métier. Et donc, j'en initie rarement, mais après, il y a énormément de techniques. Alors, si vous voulez qu'on en parle, il y a, par exemple, ce qu'on appelle l'hygiène des rythmes. Donc, je dis aux gens, la dernière fois que vous avez eu la pleine forme dans la journée, rappelez-vous. Oh, docteur, ça fait longtemps. Rappelez-vous quand même. Je me souviens, oui, j'étais en vacances, c'était il y a trois ans. Vous vous rappelez à quelle heure vous vous couchiez, à quelle heure vous vous réveilliez le matin? Là, je demandais à ma femme. Ben oui, en fait, je me couchais à, on va dire n'importe quand, 23h30, je me réveillais à 7h30. Ah, bon? Et bien maintenant, je vais vous prescrire, je l'écris, réveil à 7h45. 3h15 plutôt. Ça va pas, je vais jamais pouvoir. Ben si. C'est un ordre. C'est pas discuter, c'est comme ça. C'est un peu autoritaire, parfois. Et donc, la personne, je dis, n'est pas contente au début, et puis ça fonctionne. En fait, donc, hygiène des rythmes, c'est le réveil plutôt précoce, parce qu'en fait, souvent les anorexiques, on les prive de manger, et ça leur donne faim au bout d'un moment. Et bien là, les insomniaques, si on les prive de sommeil, elles ont sommeil le soir. Donc, privation de sommeil le matin, pour que, par régulation, au bout d'à peu près deux... 18 jours en moyenne, 2 à 3 semaines, mais on a plus envie de dormir le soir. Dès le réveil, je leur dis manger une pomme, je ne suis pas chéri qui est important. Ensuite, un peu de gym, des abdos pour mes filles, des pompes pour les garçons, une douche aussi chaude et aussi prolongée que possible, un petit déjeuner, costaud, si possible à l'anglaise, sous une lumière intense, s'il fait beau dehors. Sinon, avec une lampe de luminothérapie. Dans la journée, on vaque. À midi, on mange normalement. Pas de sieste supérieure à 20 minutes. Et le soir, un dîner aussi léger que possible, aussi tôt que possible, parce que le temps de jeûne entre le dernier dîner et le petit-déjeuner est quand même assez important. Plus il est long, mieux ça vaut. Et plutôt avec des sucres lents. Donc, quelques pâtes, du riz qui a été démontré comme un beurre. Un peu hypnotique par les japonais, comme par hasard. Et puis ensuite, le soir, on fait tout pour abaisser la température centrale. Donc ça peut être un bain tiède, un peu prolongé, sans sécher trop vite. Attention, on ne se met pas dans une baignoire avec des glaçons, parce qu'après, on thermorégule, on augmente la température et on crée une insomnie. On dit souvent le soir, pas de bain, trop chaud, sauf que les japonais, encore eux, ont démontré qu'un bain brûlant, je ne sais pas si vous êtes déjà allé au Japon, mais enfin... Les bains au Japon, le soir, on comprend le vécu du homard au moment suprême. C'est rare, c'est brûlant. Et ils ont montré que là, il y a une thermorégulation. Donc on transpire, on devient rouge, on abaisse la température centrale et on augmente le sommeil en profond. Il faut être en bonne santé, il ne faut pas être trop vieux, il ne faut pas être cardiaque. Mais quand on est culturellement habitué, pourquoi pas? Ou un sauna, si on est scandinave. Bref, le soir, c'est plutôt bain, tiède. Mais on peut prendre la nature à contre-pied, aussi comme les petits scouts le matin, ils prennent la douche sous la cascade d'eau glacée, là encore, ils thermorégulent et ils augmentent leur température. Mais si on est vieux, fatigué, déprimé, on n'a pas la ressource métabolique, ça va marcher une demi-heure et après, on s'épuise. Bref, on va dans le sens de la nature, le soir, on abaisse autant que possible sa température, on ne regarde pas un film d'épouvante. On évite les scènes de ménage qui ne sont pas bonnes pour le sommeil. Donc, si vous démarrez une scène de ménage, vous la reportez au dimanche midi. Sauf si vous vous réconseillez sur l'oreiller, parce que l'amour est quand même sur la télé, et pas interdite parce qu'elle est à plus de 2 mètres et qu'il n'y a pas trop de rayonnement. Bref, des trucs calmes, adoucissants, reposants, déstressants, dans une ambiance plutôt... En pénombre et plutôt rafraîchissante. Donc, avec des heures de levée très strictes et des heures de crochet assez régulières, autant que possible. Ce qui n'interdit pas la fête quand même. Et puis, si ça ne suffit pas, à ce moment-là... Il y a tous les systèmes de thérapie cognitive et comportementale. On ne peut pas détailler parce qu'ils sont très nombreux, mais qui sont très efficaces, qui ont été démontrés, plus efficaces et surtout plus durables que les techniques pharmacologiques. Et enfin, si on a un problème, on va dire plus circonstanciel, pour moi, le mon somnifère, c'est la valériane, qui est une plante qui a un niveau de preuve scientifique tout à fait raisonnable, tout à fait correct. Récemment, j'ai eu, j'ai publié une étude avec une association de Valériane, de Escolzia, dont les résultats sont tout à fait honorables, et valent largement celles des hypnotiques conventionnelles. Et puis, ici, j'ai un problème plus de fond, j'ai vraiment un problème d'horloge et de synchronicité, c'est la mélatonine. Je ne crois pas du tout à la mélatonine simple, parce qu'en fait, au bout de 20 minutes, elle est éliminée. Elle est catabolisée par l'organisme. Donc faire dormir quelqu'un tout de nuit avec une molécule qui, au bout de 20-30 minutes, est éliminée, c'est un peu bizarre. Sauf un adolescent qui a besoin d'être synchronisé ou en cas de décalage horaire dû à un voyage transpéridien. Et puis, autrement, ce que je prescris, c'est la mélatonine à libération prolongée, elle paie à un dosage d'au moins 1,9. Parfois, il en faut plus, puisqu'il y a des personnes, on ne sait pas pourquoi, qui résistent à la mélatonine. Moi, je ne réponds pas bien à la mélatonine. Ma femme, elle prend un compris de mélatonine à Pékin, et en une nuit, elle a l'alerte chinoise. Moi, il m'en faut 4. Presque 8 mg, ça marche assez bien, mais il m'en faut vraiment des grosses doses. Et puis, si les personnes se réveillent en cours de nuit et ont du mal à s'endormir, un spray sublingual de pchit, de mélatonine, sous la langue, ça marche très bien. Et enfin, les personnes qui se réveillent trop tôt ou qui vont vers l'ouest, style, New York, on prend une mélatonine à libération différée, c'est-à-dire que je le prends à 22h ou à 23h, et elle va se libérer vers 3h du matin. Ce n'est pas recommandé pour des personnes qui prennent le volant très tôt le matin, mais autrement, ça aide bien les gens qui sont en avance de phase, comme moi, sauf que moi, je ne réponds pas à la mélatonine ou les personnes qui vont aujourd'hui vers l'ouest.

Thérapies cognitivo-comportementales [72:04 - 74:37]

Jean-Charles Samuelian : Vous parliez des thérapies cognitivo-comportementales, sans toutes les mentionner, est-ce que vous avez un ou deux exemples de TCC qui sont intéressantes?

Patrick Lemoine : Oui, parmi les TCC, c'est évidemment la gestion du stress, la gestion de l'anxiété. Donc, la plus simple, c'est la cohérence cardiaque. Il y a des tas d'applications. On peut télécharger petit Bambou, Christophe André. Il y a énormément. Je crois que c'est MMA, la Fondation MMA, aussi. Des applications.

Jean-Charles Samuelian : Dans Alan, vous avez aussi.

Patrick Lemoine : Chez Alan, aussi. On va recommander Alan, bien sûr. Ouf, j'ai eu peur. Bref, ces applications marchent très bien. Leur seul souci, c'est que ça vous oblige à avoir les yeux ouverts sur un écran. Donc, c'est un peu paradoxal. De même que le do-down, qui fait que vous mettez un dispositif par terre qui, au plafond, envoie une lumière malheureusement bleue, vous oblige à garder les yeux ouverts. Donc, il y en a que ça aide. Mais il y a cette limitation que c'est quand même mieux pour s'endormir, d'avoir les yeux fermés. Souvent, le simple fait d'avoir ces techniques, comme je disais, de ces bruits roses... Marchent assez bien. Et puis, autrement, je vous disais, la gestion du stress, ça peut être aussi apprendre à lutter contre le sommeil dans certains cas, et puis, ce que j'appelle moi, les distracteurs, c'est-à-dire il y a un système qui s'appelle PSIO qui est assez sophistiqué, où vous avez comme des lunettes qui sont opaques avec des écouteurs, donc ces lunettes opaques vous envoient des des couleurs un peu psychédéliques, sur un rythme qui leur est propre, qui est un peu envoûtant. Et puis, dans les oreilles, vous avez soit ces bruits lancinants, soit un truc que je trouve vraiment hilarant, j'ai essayé, ça marche très bien, c'est, imaginez, vous n'arrivez pas à vous endormir. Donc vous mettez votre PSIO, et puis, dans l'oreille droite, vous avez une voix d'une dame, très douce, très gentille, qui vous raconte une histoire pas très intéressante. Mais vous l'écoutez, rien d'autre à faire. Et puis, 30 secondes, une minute après, dans l'oreille gauche, vous avez une voix d'un monsieur avec une voix très gentille, qui vous raconte une autre histoire, pas très intéressante. Alors vous essayez d'écouter les deux à la fois. En une minute, vous dormez. C'est pas possible. Et donc, elle me servait tellement distrait par cet effort d'écouter deux histoires décalées d'une minute, une dans chaque oreille. C'est un vrai paradoxe. Je trouve ça non seulement inhérent, mais efficace.

Poisons du sommeil et température idéale [74:37 - 77:51]

Jean-Charles Samuelian : Oui, mais c'est pas hyper intéressant. Et quels sont, je crois que vous avez mentionné quelque part, les poisons du sommeil et quels sont un peu les conseils que vous avez autour, par exemple, de la température de la chambre, des rituels, du cocher, etc.

Patrick Lemoine : Alors, c'est vrai que, je vous pose la question, quelle est la température idéale de la chambre pour dormir?

Jean-Charles Samuelian : Je crois que j'ai un peu triché, mais je crois que c'est 18,3 degrés.

Patrick Lemoine : Perdu.

Jean-Charles Samuelian : Ah, non?

Patrick Lemoine : C'est la température où vous êtes bien. Oui. Tout simplement. Comme la dureté du lit, c'est celle où vous êtes confortable. Vous savez, les hommes et les femmes, c'est pas... Tout à fait construit pareil. Et combien il y a de scènes de ménage parce que la plupart du temps, madame est plus frileuse que monsieur, et donc madame voudrait des énormes couettes, alors que monsieur, il voudrait la fenêtre ouverte. Et donc, très souvent, je prescris des émi-couettes, une très légère pour monsieur, une plus épaisse pour madame. C'est une question purement physique, c'est-à-dire que plus vous êtes lourd, plus vous êtes costaud, plus votre chaleur massique est importante. Et donc, moins vous avez de déperdition de température, ce qui explique, en gros, pourquoi les hommes, qui sont généralement plus lourds que les femmes, tout sexisme mis à part, quand je surveille mes arrières, fait que l'idéal, c'est d'avoir deux couettes, deux matelas et même deux sommiers différents qu'on puisse orienter et faire comme on veut. Et donc, la température de la chambre, c'est sûr que l'idéal... C'est en fait fenêtre ouverte, avec une bonne couette pour inhaler de l'air plutôt frais, parce que effectivement, la fraîcheur favorise le sommeil. Plus ma température va baisser la nuit, mieux, je dormirai. Mais si j'ai froid, je vais thermoréguler et je vais augmenter ma température. Donc, je vais aggraver l'insomnie. Donc, j'insiste, la bonne température, c'est la température confortable, en sachant quand même qu'il faut essayer plutôt d'être au minimum de la température confortable.

Jean-Charles Samuelian : Vous pensez quoi de ces matelas intelligents comme Aidsleep aux Etats-Unis? Font varier la température au fur et à mesure de la nuit?

Patrick Lemoine : En théorie, c'est logique. Je n'ai pas d'expérience parce que ça coûte des fortunes, mais je ne connais pas de Français qui l'utilisent. Je me méfie quand même un peu du marketing américain.

Jean-Charles Samuelian : J'en ai commandé un pour tester. Le problème, c'est que ça fait beaucoup de bruit,

Patrick Lemoine : parce que c'est de lourd. Ah, parce qu'il y a des matelas à eau? Oui. Ah, oui, alors là... Même quand j'étais là-bas, il y avait des matelas à eau. Alors, le floc, floc...

Jean-Charles Samuelian : C'est très fin, donc. C'est de l'eau dans des petits tuyaux qui permet juste de faire passer la température, comme un système de chauffage, en fait, extrêmement fin. Mais ceci étant dit, il y a quand même un petit bruit de fond. Bien sûr.

Patrick Lemoine : De même, à un moment donné, il y avait une mode des oreillers, soi-disant anatomiques, qui était faite avec des graines de son, je crois, enfin, de céréales. Et en fait, quand vous bougez, la tête, ça, c'est un crépitement. C'est plus un objet raffinement. Vous renvoyez... Aux fabricants, ses oreillers. Donc, ce qui compte, c'est d'avoir la température et le matelas et le semier confortables. C'est ça, le vrai secret. Et d'avoir des horaires réguliers. Deuxième vrai, secret.

Luminothérapie et types de dormeurs [77:51 - 80:43]

Jean-Charles Samuelian : Très clair. Vous parliez aussi de l'humothérapie. Comment vous... De l'huminothérapie, pardon. L'huminothérapie, oui, c'est très important.

Jean-Charles Samuelian : Comment vous pensez à ça et quels sont les outils pour bien gérer?

Patrick Lemoine : Par exemple, il m'arrive de prescrire ce qu'on appelle l'aube artificielle. Pourquoi? Les sujets qui sont du soir ont tendance à s'endormir de plus en plus tard. Il y a même ce qu'on appelle le syndrome de retard de phase, où, au début, la personne va se coucher à 1h et se lever à 8h, puis ensuite 3h et se lever à 10h, et il y a des personnes qui sont en inversion de phase et qui ne dorment pas la nuit, et qui dorment le jour. Là, il y a deux techniques. La plus classique, c'est de les priver de sommeil complètement, pendant une, voire deux nuits. Ils ont vraiment sommeil. On les met au lit à 23h, on les réveille à 7h. Ça marche très bien, six mois. Au bout de six mois, en fait, c'est des gens qui aiment bien leur rythme. Ils sont construits pour ça et ils rechutent immanquablement. Donc, maintenant, ma technique, c'est de leur dire, écoutez, vous allez changer de métier. Je vous rappelle encore, j'étais très fier d'ailleurs. C'était une jeune fille. Une jeune femme sénégalaise qui était institutrice et qui ne fermait pas l'œil de la nuit et qui, devant sa classe, s'endormait, ce qui était un peu compliqué pour elle. Et donc, je l'ai reçue. Elle a dit, mais rien n'a marché pour vous, les somnifères, ce n'est pas une solution. Est-ce que vous auriez aimé faire un autre métier? Moi, j'aurais voulu être chanteuse, faire des singles, me produire sur scène, etc. Eh bien, bingo, faites ça. Un an plus tard, elle m'a envoyé un DVD, à l'époque, je ne sais plus ce que c'était, un single, où elle était devant une salle en délire, en train de chanter et s'éclater. Et quand vous regardez bien... Tous les gens du showbiz, tous les gens du théâtre, tous les gardiens de nuit, toutes les inférieurs de nuit sont des gens qui sont des gens très du soir et court-dormeurs et qui ne font en fait que s'adapter à leur gêne. Et ça fonctionne bien. Écoutez les interviews des acteurs. Comment ça se passe? Ah, ben, on a eu une pièce, on a fini à 23h, puis après, il fallait se démaquiller, puis après, il fallait débriefer, c'était 1h du matin, donc il fallait bien qu'on mange. Il y a eu quelqu'un qui a dit « tiens, on va aller manger une gratinée au HAL ». Et puis il se couche à 4-5 heures. N'appelez jamais un acteur comme moi à 7 heures du matin, parce que je me serais mal reçu. Les acteurs, tous les Jenny Hallyday, tous les gens du showbiz, sont des gens qui sont en fait pratiquement à la version phase. Et c'est bien pour eux parce qu'ils sont adaptés à ça. Et à mon avis, ils n'ont pas de problème ni de longévité, ni de santé, parce qu'ils sont adaptés à leur gêne.

Rêves et créativité [80:43 - 84:06]

Jean-Charles Samuelian : Si on creuse rapidement sur les rêves, et vous avez votre livre « 20 000 lieux sous les rêves », est-ce que vous pouvez nous expliquer comment ils nous aident à mieux vivre? On en a un petit peu parlé, mais est-ce qu'il y a d'autres points que vous voulez mentionner sur les rêves qui sont intéressants?

Patrick Lemoine : Il y a pas mal d'exemples qui montrent que, d'abord, ça peut être sympa de rêver, ça peut être agréable, même si on sait quand même que 70 à 80 % des rêves sont plutôt à tonalité désagréable. Parce qu'en fait, on élabore des scénarios pour sortir éventuellement, de situations difficiles. Donc, effectivement, les situations difficiles, c'est pas agréable et on va faire des scénarios... Faut comprendre que tout le monde, toutes les nuits, est complètement fou 20 minutes, 3-4 fois par nuit. Parce que avoir des hallucinations sur des scénarios improbables et y croire dur comme fer, c'est fou. Simplement, on est fou, mais au réveil, on n'est plus fou. La différence avec la schizophrénie, c'est que ce n'est pas sur commande, c'est surtout tout le temps qu'ils sont fous. Pas complètement fous, mais en partie fous. Alors, quand on rêve, on est complètement fou, mais c'est sur une durée limitée. De même qu'un comédien, un bon comédien, il est complètement fou pendant le temps où il est sur scène. C'est-à-dire qu'il ne joue pas, qu'il est. Napoléon Jésus-Christ. Il est Napoléon Jésus-Christ. Il est en transe. Et c'est là qu'il est bon. C'est pour ça que c'est si fatigant d'être comédien, parce qu'après, il faut redevenir soi-même, et c'est un vrai effort. Donc, en fait, faire des scénarios improbables permet de sortir, éventuellement, par analogie de situations éventuellement dangereuses. Je pense que, du temps de Cro-Magnon, ça pouvait être quand même très utile d'avoir à dealer avec des situations dangereuses. Puis, deuxièmement, le... Le rêve, ça peut être très créatif. Ce n'est pas fréquent, mais ça arrive. Rappelez-vous Einstein, rêve qui fait de la luge, qui atteint la vitesse de la lumière, et il lève les yeux, il voit les étoiles qui se déplacent. La théorie de la relativité est née à ce moment-là. Vous avez un des Beatles qui rêve, qui se réveille au milieu de la nuit. Ah, ben tiens, c'est magnifique. J'ai dû sûrement le pomper en rêvant. Il s'aperçoit que non, Yesterday, c'est lui qui l'a inventé en rêvant. Et puis il y a d'autres rêves très créatifs. Moi, j'adore l'histoire que Hitchcock raconte. Hitchcock dit, une nuit, je me réveille, le scénario de tous les temps, le plus beau film de tous les temps, le scénario intégral, magnifique, formidable. Il se rendort, et le matin, il se dit, si vous ne notez pas tout de suite, les rêves s'évaporent comme rosés au soleil. Donc il est consterné, c'est le plus beau scénario de tous les temps, mais il l'a perdu. Mais quand même, il met un carnet avec un crayon à côté de son lit, au cas où. Et deux, trois semaines plus tard, il fait le même rêve. Fébrilement, dans le noir, il note son rêve. Et le matin, il se réveille. Il regarde son scénario. Un homme rencontre une femme. C'est un beau scénario, mais bon, j'étais un peu déçu. Ça peut être, pour ceci, parfois totalement banal, un rêve.

Jean-Charles Samuelian : C'est bien intéressant. C'est, je crois, Mendeleïev, qui avait... Aussi dit qu'il avait imaginé le tableau des éléments dans un rêve.

Patrick Lemoine : Tout à fait.

Mal dormir dans notre société [84:06 - 87:39]

Jean-Charles Samuelian : On dit ou on lit qu'on dort de plus en plus mal en tant que société. Est-ce que c'est quelque chose dont vous avez la même perception. Et quels sont un peu les facteurs sociétaux qui amènent ça?

Patrick Lemoine : C'est une réalité. Si vous êtes fou et que vous vivez à Paris, moi, j'ai toujours évité cette capitale, qui me paraît d'âge, moins pire peut-être que New York ou Pékin. Qu'est-ce qui se passe? C'est que non seulement vous bossez à un rythme quand même soutenu, mais en plus, vous avez un temps de trajet qui peut être long. À Tokyo, c'est deux autres trajets allés, deux autres retours. Et donc vous créez ce qu'on appelle un jet lag social. Bosser, jusqu'à 19h. Vous rentrez chez vous, il est 20h. Vous allez quand même profiter un peu de votre femme et de vos enfants. Et vous leur infligez aussi un coucher trop tardif. Et bref, vous avez ce retard de phase qui est facteur d'insomnie, surtout si vous êtes programmé pour être du matin. Moi, en tant que provincial, je suis hautement irrité. Je me rappelle, j'avais des oncles et tantes qui étaient à la retraite. Je me pointais chez eux pour dîner, à la... À la provinciale, c'est-à-dire à 19h, 19h30, ils n'avaient rien à faire. Ils ne pouvaient pas passer à table avant 22h. Ils rentraient chez moi épuisés à minuit. Je les maudissais. Et toute leur vie, jusqu'à leur mort, ils ont eu ce rythme qui est aberrant de retard, de phase, qui, à mon avis, n'est pas physiologique. Il y a ce snobisme parisien, n'ayant pas peur de le dire, qui fait qu'autrefois, quand vous écoutiez la RTF, le film, il commençait à 20h30. Maintenant, vous êtes content. S'il commence à 21h15, 21h20. Donc, toutes les conditions sont réunies pour être stressé au boulot, pour être stressé par les trajets, les klaxons, les incivilités, l'agressivité ambiante, et puis, surtout pour se coucher trop tard, tout bêtement. Donc, on fait tout ce qu'il faut pour dormir mal dans le monde moderne. Il y a le bruit, il a été montré aussi que ça a été montré dans les fonderies, un ouvrier qui, dans la journée, a trop de bruit, va mal dormir la nuit. Sans parler du fait que si votre immeuble est bruyant, ou si vous dormez près d'un aéroport, vous avez un risque d'hypertension artérielle qui est beaucoup plus augmenté. Les immeubles calmes ont en moyenne une tension artérielle des habitants 1 à 2 points en dessous de ceux des immeubles bruyants. Je ne suis pas en train de vous dire que vous allez traiter votre hypertension avec des boules qui s'essent, mais quand même, vous gagnez 1 ou 2 points. Et il faut savoir que si d'un point de vue, on va dire, comportemental, on s'adapte au bruit discontinu. Ça a été bien démontré par l'équipe CNRS de Strasbourg. Le bruit discontinu, on ne s'y habitue jamais d'un point de vue cardiovasculaire. C'est-à-dire que vous prenez un sujet, vous le mettez dans un bunker isolé et toutes les heures, vous faites un bruit. Au début, les gens râlent. Merde, tu m'as réveillé cette nuit, je ne suis pas bien. Au bout de 15 jours, les gens ne se réveillent plus. Ils disent, mais vous voyez sur les trans-hélalogrammes, il y a quand même un réveil électrique. Et puis, au bout d'un ou deux mois, les gens s'adaptent. Il n'y a plus de réveil électrique, plus de réveil comportemental. Mais toute votre vie, vous garderez un réveil cardiovasculaire avec un pic d'hypertension, puis d'hypotension, une tachycardie, une bradycardie. On ne s'habitue jamais au bruit de la nuit. Donc, petit conseil, si votre immeuble est bruyant, si vous dormez à côté d'un aéroport, soit vous vous isolez, soit vous achetez des boules-caisses, ça ira mieux.

Conseil final sur le sommeil [87:39 - 88:23]

Jean-Charles Samuelian : Quel est un peu le dernier message que vous souhaiteriez faire passer sur le sommeil ou un mythe que vous aimeriez, déconstruire ou un conseil que vous aimeriez partager?

Patrick Lemoine : N'écoutez pas les médecins, ne normalisez pas votre sommeil. Votre sommeil, je vous l'ai dit, c'est du sur-mesure. Vous évaluez une journée où vous aviez une pêche d'enfer, à quelle heure? Je me suis endormi, à quelle heure? Je me suis réveillé, et ça va être votre étalon, votre règle de vie. Et ensuite, autant que possible, si votre métier le travaille, si votre famille le permet, vous conformez à ces horaires voulus par votre maman nature, vos gènes, et vous verrez, ça ira beaucoup mieux.

Conclusion [88:23 - 89:51]

Jean-Charles Samuelian : Un immense merci, Dr Patrick Lemoyne, pour cette exploration des clés du sommeil, à la fois qu'est-ce qu'est notre sommeil, comment il se régule, comment il est unique à chacun, quels sont un peu les facteurs qui peuvent être... Des poisons du sommeil, mais aussi des manières de combattre nos insomnies et de retrouver notre propre rythme. C'était passionnant.

Patrick Lemoine : Et merci pas trop vite. Demain matin, si vous avez bien dormi, là, vous pouvez venir me laisser.

Jean-Charles Samuelian : Et promis, on ne va pas mettre deux histoires qui vont commencer en parallèle dans votre oreille gauche et dans votre oreille droite pour finir cet épisode. Mais à tous nos auditeurs, merci beaucoup d'avoir partagé avec nous aussi ce moment pour creuser encore une fois le pilier de notre santé, de notre longévité qui est... Le sommeil, cet élément fondateur qui nous permet d'opérer pleinement pendant la journée en tant qu'être de la journée. Merci de votre écoute. Et de suivre le podcast Healthier Humanity, qui essaie de pousser encore une fois les clés de la santé et de la longévité, ce qui nous tient très à cœur chez Alan. Pour penser rendre la prévention, la nouvelle norme pour tous, dont le sommeil est un des éléments clés. Nous avons une incroyable liste d'invités à venir. Et nous partagerons les différents épisodes dans les semaines qui viennent. D'ici là, prenez soin de vous et rappelez-vous... Une humanité plus saine commence par chacun d'entre nous et par notre sommeil. Merci.

Patrick Lemoine : Et maintenant, bonne nuit.

Jean-Charles Samuelian : Excellent, merci, beaucoup.

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Publié le 14/05/2025

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