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Healthier Humanity: Longévité - les clés pour vieillir en bonne santé avec le Professeur Benoît Gallix

Healthier Humanity: Longévité - les clés pour vieillir en bonne santé avec le Professeur Benoît Gallix

Comment prédire vos risques de santé dans 15 ans ? Est-ce vraiment possible de vivre mieux, plus longtemps ? Et si vous pouviez connaître votre âge biologique réel et le modifier ? Ces questions ne relèvent plus de la science-fiction. C'est la révolution qu’explore le Professeur Benoît Gallix dans ce nouvel épisode de Healthier Humanity. Écoutez l'épisode ici 👇 🎙️Spotify 🍎Apple podcast 🎧YouTube Podcast

3 piliers d'un professeur qui éliminent 80% des risques de vieillissement

Pionnier de la médecine préventive et de la longévité, le Professeur Gallix nous dévoile les secrets d'une médecine transformée, où l'intelligence artificielle et votre "jumeau numérique" permettent d'anticiper et de prévenir plutôt que de simplement traiter.

Radiologue de formation ayant travaillé aux côtés des pionniers de l'IA comme Geoffrey Hinton (prix Nobel 2024), il a révolutionné sa pratique après un constat frappant : "On traitait 10% des patients, malheureusement, parce que les autres n'étaient pas traitables." Aujourd'hui, à travers son programme Healthy Longevity à l'Hôpital Américain de Paris, il démontre qu'il est possible de changer radicalement notre trajectoire de santé.

Dans cette conversation éclairante, découvrez :

  • Les secrets d'un bilan de santé révolutionnaire
  • Pourquoi vos gènes ne sont qu'une partie de l'équation
  • La vérité sur l'âge biologique : mythe marketing ou révolution scientifique ?
  • Comment devenir le véritable partenaire de votre santé plutôt qu'un patient passif
  • Les 3 piliers non-négociables pour vieillir en bonne santé
  • Pourquoi il n'est jamais trop tard pour transformer votre santé, même à 60 ans

Cette discussion bouleverse nos idées reçues et prouve qu'avec les bons outils, "il n'est jamais trop tard pour revenir à un risque normal." Que vous ayez 30, 50 ou 70 ans, cet épisode vous donnera les clés concrètes pour optimiser votre longévité et éviter les pièges d'un système de santé encore trop réactif.

[EPISODE TRANSCRIPT] Introduction [00:03 - 02:55]

Jean-Charles Samuelian : Imaginez un monde où nous vivrions en meilleure santé, plus longtemps, avec plus d'énergie et moins de stress. Bienvenue dans le podcast Healthier Humanity. Je suis Jean-Charles Samuelian et j'interview des experts à la renommée mondiale, des athlètes de haut niveau ou des leaders visionnaires pour parler du futur de la santé, du bien-être et de la longévité. Je suis ravi que vous vous joigniez à nous dans ce voyage.

Aujourd'hui, j'ai l'immense honneur d'accueillir le professeur Benoît Gallix, un pionnier de la médecine préventive et de la longévité. Professeur Benoît, merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui. Vous êtes radiologue, on va se tutoyer même. Tu es radiologue, spécialiste en imagerie abdominale, diagnostic, j'ai réussi à le dire, et interventionnelle, et un expert académique reconnu dans le domaine de l'innovation en santé. Ton parcours est particulièrement riche avec des postes de leadership à l'Université McGill, à l'Université de Strasbourg. Et tu diriges aujourd'hui des initiatives majeures au sein de l'hôpital américain à Paris, où tu transformes les modèles de soins réactifs en systèmes proactifs centrés sur le patient.

Tu as d'ailleurs lancé en 2023 le programme Healthy Longevity, qui résonne pas mal avec le titre de ce podcast, qui cible les patients de 60 à 65 ans pour préserver leur autonomie et retarder le déclin lié à l'âge. Ce programme, qui est basé sur le cadre de l'ICOP de l'OMS, évolue sur six domaines essentiels : la mobilité, la nutrition, les fonctions sensorielles, la cognition, la santé mentale et la connectivité sociale. Et on va parler de tout ça en plus de profondeur aujourd'hui.

Tu as aussi mené beaucoup de travaux autour du jumeau numérique, dont on va parler aussi aujourd'hui. C'est un projet qui a un financement assez important avec l'INRIA. Tu diriges aussi le Prix Prévention et Innovation, un programme de subvention pour des solutions de santé innovantes dans le numérique et d'IA. Bref, au-delà de toutes ces initiatives, tu portes vraiment des messages forts et on a déjà discuté sur comment réfléchir à l'avenir de la santé à longévité.

Donc, comment on transforme un système de soins réactifs en un système de soins proactifs ? C'est toute la question d'aujourd'hui, et j'aimerais explorer tout ça avec toi. Est-ce que tu peux commencer par nous raconter déjà ce que c'est d'être un radiologue spécialisé en imagerie abdominale, diagnostique et interventionnelle, et quelles sont les différentes dimensions de ton expertise et de tout ce que tu fais ?

Le parcours d'un radiologue vers la prévention [02:55 - 10:03]

Benoît Gallix : D'abord, merci. Merci de cette invitation, Jean-Charles. Donc, on se tutoie, c'est clair. Tout d'abord, dire que j'ai le parcours académique assez standard de médecin très spécialisé, professeur de médecine dédié aux nouvelles technologies. J'ai débuté dans la radiologie dans les années 90. C'était l'explosion de cette technologie. Le développement du scanner, l'arrivée des nouvelles IRM. Et on a beaucoup travaillé sur des nouvelles technologies extrêmement pointues. On est vraiment dans le sommet de l'iceberg, et dans le sommet de la pyramide en matière de technologie. Beaucoup de physique, beaucoup de statistiques. Et puis des patients que l'on traite et qui bénéficient de ces traitements.

Alors mon domaine, en particulier, en effet, c'était le digestif. Tout ce qui était cancérologie digestive autour du foie, du pancréas, malheureusement des maladies qui sont très graves. Et évidemment, cette médecine, elle est indispensable. Elle est indispensable parce que quand vous êtes malade, vous devez être soigné au meilleur prix. Malheureusement, et mon parcours m'a amené progressivement à cette réflexion, ça n'est pas suffisant. Et en plus, ça n'est pas très efficace. C'est parfois efficace, mais pour un petit nombre, mais pour la plus grande partie de la population, c'est pas toujours efficace.

Au fur et à mesure de ma spécialisation de la médecine et puis de prise de poste à responsabilité dans le management, à la fois du soin et de la recherche, il m'a semblé naturel d'évoluer vers des choses plus transférables, plus généralisables. J'ai eu une bascule, si je reprends mon parcours, j'étais donc chairman à l'Université McGill et j'ai eu la chance de rencontrer un certain nombre de pionniers en matière d'intelligence artificielle. Joshua Banjo, à Montréal, avec son laboratoire du Milan, Jeffrey Hinton à Toronto, qui a eu le prix Nobel l'année dernière.

Et donc assez vite, ces gens avaient besoin, c'était l'image au départ, c'était sur l'image que ça marchait bien, c'était facile de travailler, l'image, les datas étaient là. En imagerie, en plus, on avait travaillé sur l'image très tôt et on avait archivé nos images. Dès les années 2000, on numérisait tout ce que ne fait pas la médecine encore aujourd'hui.

Et donc, ils ont eu besoin d'images, ils m'ont contacté, on a travaillé ensemble, et j'ai vite compris que ça allait bouleverser notre champ. Et surtout, ça allait bouleverser notre champ d'action, en passant de quelque chose où chacun est dans son silo, à quelque chose qui pourrait être plus transversal, parce que chacun, dans son silo, on est très pointu. Moi, j'étais très pointu dans les petits cancers du foie. Comment les détecter, comment les traiter ?

Donc, juste pour résumer, quand je faisais ça, c'était avoir les meilleures technologies pour faire du dépistage très, très précoce de ces cancers. Et ensuite utiliser les tactiques les moins invasives pour les détruire. C'est la partie diagnostique et interventionnelle. Donc, on avait développé ça. Ça marchait bien, mais on traitait 10% des patients, malheureusement, parce que les autres n'étaient pas traitables.

Et donc, comment est-ce que cette logique de dire mais il faut changer de dimension et aller vers quelque chose qui irrigue beaucoup plus près des patients et change la trajectoire des patients bien en amont. Et ça, notre médecine occidentale n'est pas prête. Elle n'est pas du tout faite pour ça. On ne nous apprend pas ça à la faculté de médecine, clairement pas.

Et les gens qui réfléchissent comme ça, il y en a. Il y a plein de spécialistes de santé publique, d'épidémiologie. Nous, nous travaillons à l'hôpital américain avec Columbia, une université qui est un peu sous les feux du projecteur actuellement. Et notamment le Centre de prévention, le Mailman Center. Il y a des gens extrêmement performants qui travaillent là-dessus, mais souvent, ce ne sont pas des médecins de terrain.

Et donc, comment associer la nécessité d'être au contact du patient, parce que sinon, on ne fait rien, et la capacité à avoir une vision extrêmement transversale d'une médecine qui est devenue de plus en plus complexe ? Et très vite, il m'a semblé que les outils digitaux, alors on peut l'appeler IA, on peut les appeler comme on veut, étaient une partie de la solution, pas la totalité, mais une partie de la solution.

Et c'est pour ça que d'abord, dans mon domaine, dans mon couloir de nage, j'ai travaillé sur détecter plus tôt les cancers avec ces outils. Ensuite, caractériser plus vite pour savoir est-ce que c'était un cancer, pas un cancer, par exemple, grâce à des outils digitaux. Alors, à l'époque, on appelait ça traitement du signal en 2012, puis on appelle ça IA. Grosso modo, ce n'est pas la même approche, mais les résultats sont meilleurs avec l'apprentissage machine. Mais ça marche aussi. Ça marchait aussi à l'époque.

Et comment ensuite, comment caractériser les tumeurs que l'on va pouvoir traiter ? Et de toute façon, malheureusement, c'est perdu quoi qu'il arrive, c'était la majorité de nos patients. Donc, comment sélectionner les 10, 20 % de nos patients qui vont bénéficier réellement d'un traitement ? Bien souvent, en médecine, on traite tout le monde sans savoir si ça va marcher, et on regarde après. Donc, c'est ce qu'on appelle essayer de faire la prédiction et le pronostic des maladies avant même de commencer des traitements, ce qui n'est pas le plus simple.

Et dans cette logique-là, j'ai continué, j'ai fait ça pendant 7-8 ans à l'Université McGill, et puis ensuite, j'ai pris en charge un centre de recherche à Strasbourg, et là encore... extrêmement technologique. Là, c'était plus sur les outils biotech et medtech. Comment ils pouvaient aider. Et là encore, on se retrouve avec un problème d'épidémiologie. À qui on applique ça ? C'est-à-dire, c'est fantastique d'avoir un robot chirurgical qui opère, mais s'il y a un pour mille des patients qui en bénéficient, quel intérêt en termes sociétaux ?

Et c'est ce qui m'a rapproché de l'Hôpital américain et de centres de prévention, où on a une expérience ancienne, 30 ans d'expérience en matière de dépistage et de diagnostic précoce. Et comment appliquer tout ce que j'avais essayé de faire dans d'autres domaines, dans une vision 360 du patient, dans des domaines qui ne sont pas des zones de compétences propres au départ.

Donc j'ai beaucoup travaillé, j'ai beaucoup lu. Je me suis rapproché aussi des meilleurs spécialistes parce que le monde est fait de gens très compétents. Donc, on travaille en collaboration avec l'équipe de Toulouse, Bruno Vélas, qui travaille sur le vieillissement. Et on a des programmes en commun. On travaille avec l'équipe de Columbia, avec l'équipe de Cornell. Donc, toutes ces collaborations ont aussi nourri ma réflexion.

Et aujourd'hui, on est en train de construire quelque chose où on essaie d'associer une vision 360 du patient et essayer d'anticiper le mieux qu'on peut les risques à 5 ans, à 10 ans, à 15 ans.

La vision 360 du patient : décloisonner les spécialités [10:03 - 13:08]

Jean-Charles : Super intéressant. Quand tu parles d'une vision 360 d'un patient, qu'est-ce que tu mets dedans ? Quelles sont les choses que tu vas regarder et quelle est l'approche ?

Benoît Gallix : Alors, 360, c'est d'abord, pour nous, médecins, c'est décloisonner les spécialités. Les spécialités se sont construites autour d'une logique d'organes ou de fonctions. Digestif, pneumo pulmonaire, cardiaque, neuro, le cerveau, le foie, etc. En fait... tout est extrêmement lié et on se rend compte que, par exemple, si vous prenez les risques cardiovasculaires, de maladies cardiovasculaires, ils s'overlapent, ils s'entrecroisent beaucoup avec les risques de cancer. Donc, en fait, avoir une vision extrêmement en silo n'est pas très rentable.

Aujourd'hui, d'ailleurs, et vous le voyez parce qu'on veille scientifique autour de ce qui se passe dans le domaine de la santé, on voit fleurir des applications spécialisées où on essaie d'intégrer un parcours de vie, des facteurs de risque, des tests, souvent biologiques ou autres, mais uniquement dans une logique, le cancer, le cardiovasculaire, le déclin cognitif. En fait, tout ça est extrêmement lié, il faut avoir une vision intérieure. Et c'est là que c'est compliqué, parce qu'on n'est pas formé, parce que les spécialistes sont dans leur couloir de nage. Et les généralistes ont du mal à suivre le volume d'informations des spécialistes.

Ça comprend en général des tests biologiques. Aujourd'hui, on se pose la question de tests génétiques. Nous ne les pratiquons pas encore parce qu'il y a une problématique éthique et comment on les utilise. On sait qu'on peut les utiliser. Des tests épigénétiques, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui des horloges biologiques, on en entend parler. Ça comprend des tests, on va appeler ça biométriques, tout simplement mesurés, pesés, mesurés en diamètre abdominal, regarder la graisse, la masse musculaire. Ça comprend des tests sensoriels, est-ce qu'on voit bien, est-ce qu'on entend bien, des tests cognitifs, des tests musculaires.

Et très important, des interrogatoires sous forme de questions pour comprendre quel est le parcours de vie. J'ai 55 ans. Jusqu'à présent, quel a été mon parcours de vie ? Quels sont mes antécédents familiaux ? De quoi est mort mon père à 55 ans ? Parce que ça change clairement la trajectoire de chacun. Rien n'est inéluctable, mais le savoir, ça peut aider. À condition, et peut-être qu'on en reparlera, que l'on puisse avoir une action. Et c'est le plus gros challenge. Je ne sais pas tellement de faire du diagnostic. Mais c'est comment changer les trajectoires de nos patients.

La montée en compétence dans un domaine en expansion [13:08 - 15:56]

Jean-Charles : Très intéressant. Tu parlais d'avoir beaucoup lu pour monter en compétence.

Benoît Gallix : Dans ce domaine que je connaissais. Dans ce domaine, exactement.

Jean-Charles : Comment il y a une production de savoir qui est immense, j'ai l'impression. Comment on choisit ce qu'on lit, comment on choisit, comment on monte en compétence là-dessus ?

Benoît Gallix : Alors, bon, c'est du travail comme toujours. En fait, c'est vrai que c'est une expertise. Et là, c'est mon parcours académique qui m'a aidé, qui m'aide aujourd'hui. Ça nous permet d'aller au plus vite. On connaît bien sûr la qualité des revues. Il n'y a pas de doute malgré tout. Même s'il y a toujours des discussions au départ. Quand vous avez un papier qui est dans le New England, en général, il a été quand même bien revu, bien relu. Et tout ce qui est dit n'est pas vrai. Mais en tout cas, méthodologiquement, ça peut tenir la route. Donc, il y a quand même des revues dont on connaît le sérieux. Et ensuite, il y a des équipes dont on connaît aussi le sérieux.

Il y a des équipes qui sont très dans une logique de publication pour la publication. On en connaît beaucoup. Et puis, il y a des équipes qui, quand elles publient, ne publient pas souvent. Vous savez, il y a des... Je prends toujours l'exemple, il y a des prix Nobel qui... j'avais vu il y a quelques années un prix Nobel qui n'avait publié que 30 papiers. Mais c'était des papiers un peu magistraux, physiques. Voilà, donc des fois, la quantité, la qualité, ce n'est pas toujours la même chose.

Donc, évidemment, il y a un dernier acte que j'ai essayé de développer, mais pour l'instant, avec un succès mitigé et sur lequel je veux continuer à travailler, c'est d'utiliser l'IA pour traquer l'information dans cette littérature. Mais comme c'est une littérature très large, c'est plus compliqué que quand on travaille sur les cristaux en chimie. Voilà, donc ça, c'est un axe aussi qui est intéressant. Essayer d'utiliser la lecture automatisée de ces revues, de ces papiers, pour en faire des synthèses à un moment donné.

Jean-Charles : Et faire émerger.

Benoît Gallix : Voilà. Puis, un deuxième élément, c'est que beaucoup de ces études sont des études épidémiologiques. Et donc, l'épidémiologie dépend d'un territoire et d'une population. Donc, il faut voir aussi ce qui est transposable. Et un des problèmes de la médecine moderne, c'est qu'elle n'est pas toujours transposable. C'est-à-dire que vous avez un papier qui est fait aux États-Unis ou en Allemagne, en France, qui sort des résultats magnifiques, seront-ils transposables si on les amène en Amérique du Sud ? Ce n'est pas certain. Surtout quand il s'agit de mode de vie, d'épidémiologie, de pratique. La vie au sens, tout simple, être comment je vis le matin, comment je me lève, à quelle heure je...

De la recherche à l'action : prévention primaire et secondaire [15:56 - 22:38]

Jean-Charles : Et, du coup, quelle est cette courroie de transmission entre ce nouveau savoir qui est produit et après la réalité des patients ou des personnes qui viennent faire ces bilans ?

Benoît Gallix : Alors, très clairement, il y a différents niveaux. Le premier, c'est que bien souvent, ces grandes études épidémiologiques ou ces cohortes, elles ont quand même une finalité, c'est de produire quelque chose qui soit actionnable. Et donc, elles produisent des scores ou des calculs de risque.

Peut-être que si on fait juste, on recule un tout petit peu. Quand on parle de prévention, il faut vraiment distinguer la prévention secondaire et la prévention primaire. Petite définition. Prévention secondaire, c'est ce que le public entend par prévention. C'est, je vais voir un médecin ou je fais un test pour détecter un cancer du sein. Donc on va chercher une maladie qui est déjà là, mais qui est infraclinique, très petite et qui n'a pas de symptômes. Ça, c'est la prévention secondaire. C'est ce qu'on entend par prévention. Je fais un test pour trouver du sang dans les selles pour essayer de détecter un cancer qui n'apparaît pas autrement.

Si je prends l'exemple de l'Hôpital américain et de notre centre de dépistage, globalement, jusqu'à il y a 5-6 ans, c'était l'essentiel de notre activité. Est-ce que je suis capable de trouver des signes qui font qu'on peut dépister une maladie avant qu'elle apparaisse ? On continue évidemment de faire ça, ça reste majeur.

Le deuxième niveau de prévention en aval, c'est la prévention primaire. Je ne suis plus là pour rechercher une maladie, mais pour des facteurs de risque. Un exemple, prévention secondaire, je cherche quelqu'un qui est fumeur, je cherche à détecter un cancer du poumon. Prévention primaire, j'essaie de le faire arrêter de fumer, parce qu'il a un facteur de risque. Et ainsi, de suite, on peut décliner. On peut même aller jusqu'à ce que l'on appelle plus récemment, la prévention primordiale, c'est-à-dire avoir des actions de santé publique pour essayer que chacun rentre dans des zones de facteurs de risque lorsqu'il s'agit notamment de modes de vie, des choses qui sont gérables.

Donc, pour revenir maintenant, comment actionner ça, puisque c'était ta question, un des points en prévention primaire, c'est que l'on peut assez facilement calculer sur la base des données littéraires, des scores de risque. Et on peut... grâce à l'intelligence artificielle, d'ailleurs, cumuler des cohortes qui n'ont pas été publiées par les mêmes équipes, au même moment, avec 20 ans d'écart, et essayer de trouver des facteurs de risque un peu plus larges, avant même d'avoir nos propres données.

Et pour avoir des propres données, il faut être fort en termes de représentativité. C'est clair que quand on a juste un centre unique, avec une population qui est biaisée pour plein de raisons, on va avoir du mal à avoir des propres données qui soient transférables. Par contre, on peut avoir des propres données qui sont intéressantes pour cette population.

Jean-Charles : Pour ce centre et pour cette population, exactement. Parce qu'on imagine que ça se reproduit. Tu disais que dans le passé, la prévention était principalement secondaire et elle passe de plus en plus vers du primaire. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement, dans la manière dont ces tests, ces check-ups sont faits. Et quel est le mix ?

Benoît Gallix : Alors, si vous voulez... aujourd'hui, on va dire qu'on est à 50-50. On est à 50-50. On fait 50-50 de dépistage, de screening. Si on a un bilan d'une femme, on va lui faire, si elle n'a pas eu ses tests de mammographie, ses différents tests. Si c'est, par exemple, une maladie cardiovasculaire, on va faire des tests cardiovasculaires pour évaluer qu'il n'y ait pas une sténose coronaire, des choses comme ça.

Mais ça, ça va toucher, peut-être dans une population, 100 patients que l'on voit, 10, 15%, 20% qui vont avoir des maladies infracliniques, parfois pas très graves, mais qu'il va falloir traiter. Pour une grande majorité, on ne va pas trouver de maladie, mais on va trouver des facteurs de risque. D'ailleurs, on sait que si la trajectoire reste identique, dans 10 ans, dans 15 ans, la probabilité d'avoir une maladie, elle est multipliée par 5, par 10, par rapport à quelqu'un d'autre.

C'est intéressant parce que c'est actionable, mais c'est le plus compliqué, en fait. Parce que c'est actionner quelque chose qui est un mode de vie.

Jean-Charles : Face à une probabilité.

Benoît Gallix : C'est une probabilité. C'est une probabilité, donc forcément, ça peut ne pas arriver. Mais quand même, alors, vous savez, nos concitoyens ne sont pas idiots. Quand vous leur dites, vous montrez une courbe, vous leur dites voilà où vous êtes sur cette courbe. Voilà, me voilà moi qui suis ni baratonier, etc., mais qui fait un peu de sport, qui fait un peu attention, etc. Et vous voilà vous en termes de risque. L'impact, il est majeur.

Et donc, forcément, dans la préparation de cette interview, on en avait un peu discuté, et c'est l'alliance thérapeutique entre le patient et le médecin, et dans la manière dont on peut communiquer et enseigner. Alors, enseigner, c'est même un bien grand mot, parce qu'aujourd'hui, à l'heure des réseaux, les informations circulent. Elles ne sont pas toujours bien utilisées ou bien comprises. Mais c'est à notre rôle, à nous, médecins, et en particulier aux médecins en première ligne, aux médecins généralistes, d'expliquer ça.

Et de dire, voilà, le risque là, il est multiplié par 10. Et 10, c'est pas rien. C'est-à-dire que, si je vous donne un exemple de cardiovasculaire, le risque à mon âge, mon risque actuellement, je l'ai calculé, de faire un accident cardiovasculaire dans les 10 ans, il est de moins de 2%. Quelqu'un qui a un mode de vie moins vertueux. Qui a pas mal fumé dans sa vie, même s'il a arrêté, qui est un peu en surpoids, qui a un pré-diabète, qui ne fait pas beaucoup d'activités physiques et qui a un taux de cholestérol qui flirte avec la normale. Et une petite hypertension qui ne l'a pas soigné, il va être à 10 à 15 %. C'est énorme. C'est énorme. Et croyez-moi, les patients, ils le comprennent très vite.

Donc, après, il y a la prise de conscience, mais encore faut-il que quelqu'un le dise. Et ensuite, après, il y a qu'est-ce que je fais, docteur ? Donc, là, ça devient évidemment plus compliqué. Et c'est là que c'est extrêmement intéressant.

L'équilibre entre intervention et abstention : gérer les risques [22:38 - 28:49]

Jean-Charles : Ça devient les sciences comportementales et comment on mène ça. Et on va creuser tout ça très rapidement. Une des questions que je me pose aussi souvent, c'est dans ces détections de facteurs de risque, et plutôt même sur la prévention secondaire, comment on identifie... le coût de l'action. C'est-à-dire que parfois, il y a un risque qui est présenté, mais agir, surtout si c'est des traitements, peut aussi avoir un coût. Comment vous prenez...

Benoît Gallix : Un coût financier ou un coût en risque en lui-même ?

Jean-Charles : Exactement, produire un risque différent. Et donc, il y a certains partisans de l'antifragilité qui disent qu'il faut intervenir le moins possible. Il y a plusieurs extrêmes, et je ne suis pas en train de pousser ça, mais je trouve que pousser le raisonnement est intéressant. Juste pour... avoir le débat de quand est-ce qu'il faut agir, pas agir, et comment est-ce que vous prenez ces décisions quand vous obtenez de l'information ?

Benoît Gallix : Alors c'est compliqué, hein. C'est compliqué parce qu'on n'a pas beaucoup de recul. Et qu'en plus, on est à proximité des sciences humaines et comportementales. C'est-à-dire que c'est beaucoup plus compliqué de monter des essais. Grosso modo, des essais sur le mode de vie, on est souvent dans le rétrospectif. On collecte. On fait des grandes cohortes, on collecte, mais avoir ce qu'on appelle nous, dans notre jargon scientifique, des interventions pour changer. Bon, il y a des études qu'ils font, mais c'est souvent sur une thématique. Je prends un groupe, je lui fais faire du sport. Je prends un groupe, je lui en fais pas faire. C'est ce niveau là.

Donc, c'est extrêmement compliqué de monter des essais. C'est là aussi qu'à un moment donné, il va falloir basculer sur d'autres modes d'évaluation de la médecine. C'est là que c'est un peu compliqué. On n'a pas trouvé beaucoup d'autres modèles pour l'instant. Donc, soit des essais en vie réels, qui posent aussi d'autres problèmes technologiques et statistiques.

Mais le coup de l'action, il est réel. Il ne faut pas le négliger. Et le plus classique, c'est le faux positif. C'est le grand classique. Pour les gens qui ne sont pas experts, c'est bonjour, vous avez une mammographie, un scanner du poumon et vous avez un nodule dans le poumon. Ce nodule, on sait qu'il va avoir une probabilité d'être cancéreux à 25% donc c'est déjà beaucoup, mais 75% c'est pas le cas. Que va nous coûter d'aller à la preuve ? Et c'est souvent très difficile de prouver la négativité, plus difficile de prouver la négativité que de prouver la positivité.

C'est-à-dire qu'on va progressivement poser la positivité chez 10, 15, 20 % et on va garder sur le côté un certain nombre de patients qu'on va surveiller, sur lesquels on va générer de l'angoisse, on va générer du coût de santé, des cascades. Et c'est là que c'est extrêmement intéressant. Parce qu'on rentre dans des sujets un peu pointus.

Donc, c'est la balance entre dépistage et over-diagnosis, sur-diagnostic, nécessite une ligne de crête extrêmement difficile. C'est pour ça que le dépistage est souvent décrié parmi les médecins qui disent mais ça ne sert à rien de faire des dépistages avec des gens qui vont bien, parce que dans la plupart du temps, tout ce qu'on va trouver, ça va être bénin ou pas grave.

Donc, il y a une logique, il doit y avoir une logique scientifique et qui, en fait, est une logique qui, jusqu'à aujourd'hui, la plus efficace, c'était une logique d'entonnoir. C'est-à-dire, on va step by step, stepwise. Une approche où on stratifie par groupe de risque. Si vous prenez aujourd'hui le dépistage du cancer du sein, c'est un sujet un peu polémique. On le fait à tout le monde, tous les deux ans, à partir de 45 ans. Est-ce qu'il faut faire ça à tout le monde, au même rythme ? Est-ce qu'il y a des patients qui doivent l'avoir tous les ans et d'autres peut-être ?

Donc, forcément, là, moi, je ne peux pas répondre. Je ne suis pas compétent, ce n'est pas mon domaine de compétence. Mais cette question doit se poser. Donc, quelqu'un qui n'a pas de facteur de risque et sur des premiers bilans qui peuvent être extrêmement peu complexes, peut-être qu'il faut surtout ne rien faire. Mais c'est toute une difficulté et ça nécessite... de l'ajustement très fin et que je ne crois pas qu'un médecin individuel dans son coin puisse faire. C'est impossible. Il faut avoir derrière soi, derrière soi, quand je dis derrière soi, c'est derrière ses ordinateurs, des outils qui permettent de l'évaluer.

Jean-Charles : C'est extrêmement intéressant. Et en effet, après, il y a les questions éthiques de ok, on a raté quelque chose parce qu'on ne l'a pas testé et qu'est-ce que ça pose ?

Benoît Gallix : Moi, j'ai travaillé dans le système nord américain où, avec les juristes. Et donc, la hantise du médecin nord-américain, c'est de louper quelque chose. Et donc, il est prêt à un coût extrêmement élevé pour son patient et pour la société, pour son assurance privée, tout ce qu'on veut, juste pour ne pas louper quelque chose. Et ce n'est pas bon. Ni pour la société,

Jean-Charles : ni pour le patient.

Benoît Gallix : Ni pour le patient. Ça, c'est beaucoup plus complexe à faire comprendre à nos patients. Que, oui, j'ai une technologie, je suis capable de voir si vous avez un cancer du pancréas. Je sais faire ça. D'abord, un, c'est impossible de faire à une population en totalité. Et si je le fais à une population en totalité, je vais trouver 100 tumeurs qui ne sont pas des cancers et qui n'ont aucun besoin d'être connues.

Mais expliquer ça à un patient, là, par contre, il y en a peu qui comprennent. Donc il faut être très pédagogue. Et expliquer, mais non, parce que pour savoir si c'est une tumeur du pancréas, je suis obligé de vous endormir, de vous faire une endoscopie, avec une éco-endoscopie, une ponction du pancréas, et il y a un risque que vous fassiez une pancréatite ou que vous fassiez un saignement. Là, on commence à se dire, ah, peut-être.

Jean-Charles : Là, on commence à débattre sur si on va le faire ou pas.

Benoît Gallix : Voilà.

Comparaison des systèmes de santé internationaux [28:49 - 35:15]

Jean-Charles : C'est extrêmement intéressant et ça s'applique en fait à toutes les verticales. Et je trouve que c'est un des débats les plus intéressants de la prévention et du dépistage. Tu en parlais récemment, mais tu as vu des systèmes de santé différents. Comment tu les compares et comment ils ont influencé ? Quels sont tes apprentissages de chacun sur la vision de la prévention ?

Benoît Gallix : Il y en a deux que je connais vraiment bien. Enfin, trois, le système français, évidemment. Le système canadien et le système nord-américain par extension, parce que j'y ai quand même passé pas mal de temps. Je crois que quand il s'agit, et donc quand on prend le système français, on peut y associer d'autres systèmes européens assez proches, comme le système allemand, qui sont assez proches en termes. Et puis, après, il y en a que je connais un peu moins bien, mais que j'ai un peu approché, qui sont les systèmes scandinaves, et les Pays-Bas, qui ont des similitudes, mais que je connais moins bien.

Globalement, quand il s'agit de la médecine de pointe, on est tous très bons. Globalement, on est tous très bons. Si le patient arrive au bon endroit, au bon moment, il est assez bien soigné dans ces systèmes. Comparé à il y a 20 ans, on a énormément progressé. Ou il y a 30 ans, il y a 50 ans, on a énormément progressé. Donc, j'aurais tendance à dire que ce sont des systèmes performants. Si le patient arrive au bon moment, au bon endroit.

Jean-Charles : C'est un gros si.

Benoît Gallix : Un gros si. Par contre, quand il s'agit de l'accès aux soins, et du triage, justement, pour arriver au bon moment, au bon endroit, là, il y a des disparités incroyables. Le système canadien est un système qui est assez économique, 9,5% du PIB, non, 10% maintenant, je crois, suivant les provinces, comparé au système français ou allemand, et très économique comparé au système américain qui a 18... du PIB un peu plus et en plus en valeur absolue, c'est encore plus évidemment.

Globalement, l'accès aux soins était excellent en France. Il s'est malheureusement dégradé ces dix dernières années, clairement, pour des raisons diverses et variées d'économie de santé, de démographie médicale, beaucoup de démographie médicale. Mais on reste dans un système d'accès aux soins qui est assez performant. Qui est mal organisé, mais l'accès n'est quand même pas si mal. Alors, je dis ça, les gens qui sont dans des déserts médicaux vont me dire que c'est n'importe quoi. Mais globalement, ça marche encore pas mal.

Quand vous êtes au Canada, l'accès aux soins est très compliqué.

Jean-Charles : Tout le monde est dans un désert médical.

Benoît Gallix : Tout le monde est dans... voilà, très compliqué. Voilà, une prothèse de hanche, c'est un an minimum pour avoir une chirurgie. Mais c'est une logique de priorisation. La prothèse de hanche, vous n'en mourrez pas d'une arthrose de la hanche. Si vous avez un infarctus, vous êtes parfaitement soigné, globalement. Donc, l'accès aux soins dans le système canadien est très dur.

Dans le système américain, il est d'une hétérogénéité puissance 10 par rapport à la France. Vous avez des endroits où vous avez un accès aux soins fantastiques, globalement sur les deux côtes, pour faire simple. Après, sinon, c'est plus complexe. Et après, vous avez un système, c'est culturel, comme les Pays-Bas. Pour moi, c'est un modèle aujourd'hui, qui, en 20 ans, a rattrapé et a dépassé beaucoup d'autres modèles de santé. Les pays scandinaves, où il y a une logique qui est beaucoup plus épidémiologique dans la prise en charge. L'accès est contingenté, mais en fonction des priorités qui sont données de santé publique.

Et puis, vous avez un système qui est assez performant, malgré... il est connu pour être très peu performant, c'est le système anglais, la NHS. Mais quand vous regardez les indicateurs de santé publique, ils ne sont pas si mauvais. Avec un coût de santé qui est de 8%, c'est-à-dire 4 points de moins du PIB que la France, ou 4,5. Les gens disent que c'est impossible de se faire soigner en Angleterre, c'est le message qu'on reçoit. Mais globalement, les indicateurs primordiaux de santé publique ne sont pas si mauvais. Ce qui veut dire qu'on peut faire mieux avec moins. Le ressenti des patients n'est pas toujours le même.

Jean-Charles : Bien sûr.

Benoît Gallix : Et après, il y a un dernier point, c'est quel est mon frein financier à l'accès aux soins ? Bon, clairement, la France est un système extrêmement vertueux pour ça, presque trop vertueux, parce que tout ce qui n'a pas de prix n'a pas de valeur, malheureusement. Et donc, une des difficultés de notre système, c'est qu'il y a eu, je pense que c'est moins le cas aujourd'hui, mais il y a eu quand même une surconsommation de soins.

Et il y a encore une hétérogénéité avec une disparité, c'est à l'ordre du jour aujourd'hui, puisque c'est un sujet politique sur l'installation des médecins, je ne me prononcerai pas là-dessus, qui est que dans certaines régions, vous êtes en surprise en charge médicale et vous pouvez avoir un rendez-vous, une consultation, alors que vous n'en avez pas forcément besoin. Puis, dans d'autres régions, vous n'avez pas d'accès complètement. Donc, là, on est sur une dégradation quand même assez nette.

Jean-Charles : Extrêmement intéressant, on pourrait creuser ça pendant très longtemps. Comment apprendre de chacun des secteurs et de chacun des pays ?

Benoît Gallix : Mais si on prend les Pays-Bas, par exemple, c'est intéressant, parce que les Pays-Bas, il n'y a pas de médecine spécialisée, quasiment, en dehors des grands hôpitaux.

Jean-Charles : Ok.

Benoît Gallix : Donc, la médecine libérale, privée, qui se décline sous différents axes, c'est essentiellement de la médecine générale. Dès qu'il y a besoin d'avoir un accès aux soins spécialisés, c'est dans des structures de soins hospitalières. Le statut est variable selon les structures. Et ça, c'est extrêmement intéressant, parce que ça permet de beaucoup mieux contingenter l'accès et l'utiliser à bon escient. Donc, c'est un système qui est assez vertueux et qui a des belles retombées en termes d'efficacité.

Jean-Charles : D'efficacité et de santé publique.

Le programme Healthy Longevity : de la théorie à la pratique [35:15 - 42:14]

Jean-Charles : Si on creuse un peu le programme Healthy Longevity, de l'hôpital américain, est-ce que tu pourrais nous guider à travers l'expérience complète d'un patient et de la prise de rendez-vous près jusqu'à la construction du plan d'action ?

Benoît Gallix : Alors, c'est un programme qui débute, qu'on est en train de mettre en place. D'abord, c'est pas nous qui l'avons inventé, soyons honnêtes. Donc, c'est un programme au départ qui est... il y a quelques équipes, et en effet, l'équipe de Columbia, les fragilités, Linda Freed, ont été les pionniers dans... la fragilité du vieillissement n'est pas la même chose que la maladie. Je pense qu'il faut qu'on en reparle.

Jean-Charles : Je reviens, tu m'expliques ça.

Benoît Gallix : Deuxième point, ensuite en France, il y a des leaders. Il y a un leader qui est à Toulouse, qui est Bruno Vélas, qui a obtenu il y a deux ans un IHU, IHU Health Age. Et qui... et ce sont des gériatres souvent, qui avaient pris en main ce sujet. Et puis, il y a quelques centres à travers le monde. Alors, c'est étonnant parce qu'ils publicisent peu. Quelques centres privés, mais qui sont là pour le business, on ne va pas en parler, mais les gros centres publicisent peu parce que, sinon, ils sont débordés.

Donc, vous avez la Mayo Clinic à Rochester et vous avez un centre à Singapour. Donc, il y a quelques centres comme ça, qui ont pris en main cette logique de dire bien vieillir, c'est une science en soi. Ce n'est pas de la gériatrie parce que ça commence à mid-age, à la moitié de la vie, vers 50, 55, 60 ans. Et c'est différent de dépister ou la maladie, parce que ce n'est pas exactement les mêmes facteurs de risque.

Donc, pourquoi ce n'est pas les mêmes facteurs de risque ? Un exemple, la dénutrition, ou, en tout cas, la restriction calorique, jusqu'à 55, 60 ans, c'est plutôt un facteur protecteur de tout ce qui est cardiovasculaire. Grosso modo, si vous êtes un peu dénutri, que vous ne mangez pas à votre faim, c'est plutôt bien. Mais à côté de ça, quand vous commencez à vieillir, c'est un facteur de risque important de troubles musculosquelétiques, de perte de force musculaire, de chute et de vieillissement accéléré.

Donc, on voit bien qu'on est parfois dans des parallélismes. Les facteurs de risque sont les mêmes. Vous êtes en surpoids. Vous avez un diabète, un syndrome métabolique. Et à côté de ça, vous avez des risques de cancer, des risques cardiovasculaires. Et vous allez avoir d'autres risques de vieillir prématurément, parce que vous allez avoir de l'arthrose, des choses comme ça. Mais des fois, les lignes se croisent, au contraire. Donc, on n'est pas exactement sûrs.

Deuxième chose, c'est en effet quelque chose qui a été initié par les gériatres en disant, on se rend compte que quand quelqu'un perd de l'autonomie, on peut mettre ça dans différentes boîtes. Il perd de l'autonomie parce qu'il n'entend pas bien. Et donc il ne connecte plus avec le reste de la planète. Ou il perd de l'autonomie parce qu'il a des troubles cognitifs ou qu'il ne socialise pas bien. Et donc l'un peut entraîner l'autre. Ou il perd de l'autonomie parce qu'il se sent fragile et il n'arrive plus à se lever quand il est par terre. Il a peur, etc. Ou il perd de l'autonomie parce qu'il est dénutri, etc.

Donc, à partir de là, l'OMS, sous l'impulsion d'un certain nombre d'équipes, dont l'équipe de New York et d'autres, a créé il y a une dizaine d'années un score qui s'appelle I-COP, qui teste ses capacités intrinsèques. Alors ça, c'est vraiment le basic de chez basic. Parce que c'est quelque chose qu'on peut faire, je dirais, avec une appli et trois tests. On va tester l'audition, mais de manière extrêmement frustre. On va tester la vision, mais comme on peut le faire, est-ce que vous voyez ce qui est écrit sur un livre ? On va tester quelques petits troubles, les troubles de la mémoire basique, de manière très simple. On va interroger le malade, est-ce que vous perdez la mémoire ? Est-ce que vous avez des choses que vous oubliez ? Donc, on est sur le basics, mais déjà, c'est pas mal. Déjà, c'est pas mal. Si on faisait ça à tout le monde, on pourrait détecter.

Et puis, surtout qu'il y a des manières de lutter. Vous avez une perte d'audition, on vous appareille. Ce n'est pas compliqué. Vous avez une perte de vision, mais il faut revoir vos lunettes, que vous n'avez pas fait faire depuis 10 ans. C'est de ce niveau-là, évidemment. Donc, je pense que ça vous touche un peu. Je ne suis pas mal chez Alan,

Jean-Charles : exactement.

Benoît Gallix : Ça vous touche un peu dans votre métier. Vous avez une dénutrition parce que, regardez, vous n'arrivez pas à vous asseoir et vous lever cinq fois de suite sans les mains. Vous avez une perte de force musculaire. Il y a des choses à faire en termes d'activité physique, etc. Donc, évidemment, il faut qu'il y ait quelque chose à faire. Mais au-delà de ça, évidemment, on peut tester beaucoup plus fort. Donc, une fois qu'on a des alarmes qui s'allument, il faut rentrer les patients dans des processus où on va tester beaucoup plus en profondeur.

Ces problématiques de différents ordres, montrer ces patients. Alors là, il y a tout l'intérêt des spécialistes. Jusqu'là, évidemment, personne n'est omniscient. Donc, à un moment donné, s'il y a une alarme sur les troubles cognitifs, qu'est-ce qu'on peut faire, etc. Donc, aujourd'hui... ces deux approches étaient vraiment très séparées, l'approche des bilans de santé et l'approche des pertes de capacité intrinsèque.

Ce que nous sommes en train de faire, c'est de les rapprocher en intégrant ça dès ce qu'on appelle mid-age, c'est-à-dire en 45-55 ans. Progressivement, intégrer ces traits. Alors, on le fait la plupart du temps, sans même le dire aux patients. Ça fait partie de nos bilans. Mais de plus en plus, on va commencer à l'intégrer de manière explicite. Parce qu'il faut aussi... que les patients, il y a une question de communication.

Dernier point, comme tous signaux, là, je retends dans mon domaine, c'est beaucoup plus simple de mesurer des variations que de mesurer des valeurs absolues. Donc, ce qui est important, c'est le suivi longitudinal de ces patients. Donc vous avez, vous, dans vos adhérents, potentiellement la capacité aussi de faire ces suivis sur des questionnaires simples. Voilà, donc ça fait partie. Le suivi longitudinal est majeur.

Jean-Charles : Il est extrêmement important.

Benoît Gallix : Il donne des signaux, il permet de mesurer des signaux faibles qu'on ne mesure pas en valeur absolue à un instant T.

Jean-Charles : Et quelle est la bonne fréquence de ce suivi longitudinal ?

Benoît Gallix : Alors minimum deux ans, 18 mois, deux ans, ça suffit. Une fois qu'on a commencé à faire des premiers bilans. Et en plus, on peut simplifier, parce qu'on peut aussi focaliser sur les points de fragilité.

Fragilité versus maladie : comprendre les nuances [42:14 - 47:16]

Jean-Charles : Et du coup... pour recreuser un peu plus cette notion de fragilité face à maladie, est-ce qu'on peut creuser un peu plus les définitions précises et quelles sont liées au vieillissement ?

Benoît Gallix : Alors, ça, ce n'est pas simple comme question. Parce que d'abord, si vous prenez la définition entre facteur de risque et maladie, il y a des overlaps. C'est-à-dire que, est-ce qu'avoir une hypercholestérolémie, c'est une maladie ? Ou est-ce que c'est un facteur de risque ? Donc, si on prend quelque chose d'encore, moins drôle, est-ce qu'avoir le gène à peau E, qui est très, très spécifique de l'Alzheimer, c'est une maladie ? Mais même si vous n'êtes pas encore malade ? Ou est-ce que c'est un facteur de risque que je devienne malade en 20 ans ? Donc, ça dépend du contexte. Donc, déjà, entre facteur de risque et maladie, il y a un continuum, évidemment. C'est une zone grise.

Entre maladie ou pré-maladie et perte de capacité intrinsèque, là aussi, il y a un continuum. Il y a des choses qui sont très spécifiques au vieillissement. Perdre de la capacité motrice, c'est quand même très spécifique. Alors, vous pouvez. Vous avez un accident à 30 ans, là, on est dans la maladie, dans la traumatologie. Progressivement, perdre de la capacité à se déplacer, à se mobiliser, ça clairement, on est dans une perte de capacité, de fragilité. Perte de l'audition, c'est à la fois une maladie, c'était considéré comme une maladie, je suis sourd, mais aujourd'hui, c'est une évolution normale du vieillissement. Donc oui... où est le vieillissement accéléré et où est la maladie ? Très dur. Voilà.

Donc, il y a deux courbes que j'aime bien montrer. Là, on ne peut pas montrer des slides, mais ce n'est pas grave. Ce qu'on appelle l'âge physiologique. Donc, l'âge physiologique, c'est quoi qu'il arrive, on vieillit. D'ailleurs, je voudrais juste peut-être faire un aparté. On n'est pas en train de parler des conneries de la Côte-Ouest, transhumanistes, etc. Le but, ce n'est surtout pas ça. On n'est pas en train de dire qu'il faut vieillir plus vieux. Il faut vivre plus vieux, on est en train de dire, il faut juste vieillir sans être malade. Donc, c'est aussi une philosophie.

Jean-Charles : C'est un choix philosophique.

Benoît Gallix : C'est un choix philosophique. Il faut essayer de vieillir sans être malade, et après, ça, c'est un autre problème. Donc, ne nous méprenons pas sur l'objectif. Vraiment, il faut se décaler un peu, parce que là on entend tellement d'horreur, et puis tellement de dérive. Ou la médecine...

Jean-Charles : Ça s'extrémise en effet.

Benoît Gallix : Oui, il y a trois axes. Vous avez vu dans le rapport de la Miviludes, qui est sorti il y a une semaine. Il y a sur le sectaire, il y a trois axes. Il y a le cancer, évidemment, le bien-être et le vieillissement qui sont des axes. Et bien-être et vieillissement, on voit fleurir. Alors, en France, on est encore un peu épargné, mais aux États-Unis, des officines dans tous les coins. Donc, évitons ces écueils-là, évidemment.

Donc, on en était à la courbe de l'âge. On vieillit. Quoi qu'il arrive, on vieillit. Mais on compense. Donc, si je prends les capacités intrinsèques au niveau cognitif, nous vieillissons tous et à 60 ans, nous avons moins de capacités de mémorisation qu'avant. On s'en rend compte tous les jours. Mais on compense par plein d'autres méthodes d'organisation, d'expérience, etc. Sauf qu'à un moment donné, on décroche. Et le problème, c'est d'éviter ce décrochage. Parce que quand on décroche, c'est une chute. C'est un escalier qu'on commence à dévaler.

Jean-Charles : Et ça s'accélère.

Benoît Gallix : Et ça s'accélère. En général, ça s'accélère. Donc la chute, clairement, un des facteurs aussi de vieillissement, c'est la chute chez les personnes âgées. Donc, prévenir la chute. Voilà, vraiment, c'est un continuum. Où est la limite entre fragilité ? Et puis, après, il y a le dernier point, il y a des fragilités qui sont congénitales. Donc, qui sont... liés à notre génome ou des gens qui ont moins de chance ou plus de chance que d'autres à la loterie de leurs gènes et de leur histoire. Donc tout le monde n'est pas formaté pour vivre pareil de la même manière, mais pour vivre pareil clairement.

Les tests génétiques : enjeux éthiques et perspectives [47:16 - 52:31]

Jean-Charles : Et c'est d'ailleurs intéressant quand on étudie la vie. Les personnes qui ont dépassé les 100 ans, ils n'avaient pas tous d'ailleurs des comportements recommandés. Donc il y a une grosse partie de génétique, aussi, bien sûr. Et vous parliez justement, tu parlais tout à l'heure des questions éthiques, des tests génétiques pour ces problématiques de longévité. Il y a d'autres endroits, d'autres géographies où on se pose moins cette question-là. Comment on l'approche et pourquoi tu penses, qu'est-ce qu'on pourrait en faire aujourd'hui, si c'était possible ? À quel point ça t'aiderait dans tes analyses et dans ton suivi de tes patients ?

Benoît Gallix : Alors c'est un sujet extrêmement intéressant. Et sensible. Il y a une expérience en cours qui est étonnante. Justement, j'en discutais à New York avec nos collègues de Columbia. En pédiatrie, ils offrent un génome complet à tous les nouveaux-nés qui naissent dans les hôpitaux du New York Presbyterian Hospital. Tout le monde. Donc tout le monde ne le fait pas, mais il y a possibilité de le faire. Avec un cadre éthique assez strict, qui est de dire, aujourd'hui, il y a... 200, je crois que c'est 250 gènes qui sont reconnus comme pouvant être... donc c'est très peu, c'est peut-être 2% de la population. Mais, par contre, sur ces 250 gènes, on sait qu'on a des impacts majeurs si on les diagnostique.

Mais pourquoi on vous propose ce génome complet ? Bon, c'est évidemment faire de la recherche, mais pas que. C'est-à-dire qu'au fur et à mesure des avancées de la science, quand on trouvera le 251ème gène dans deux ans, dans trois ans... si vous êtes dans nos listings, on vous appellera.

Jean-Charles : On peut vous notifier.

Benoît Gallix : On vous notifiera. Donc cette approche-là, je vois mal comment on va pouvoir en faire l'économie. Le problème, c'est qu'il va falloir trouver la bonne manière de l'amener. Et puis il y a une manière... c'est-à-dire qu'il ne faut pas dire qu'on rase gratis. Aujourd'hui, si on me fait un génome, la probabilité qu'on trouve quelque chose d'intéressant, à l'heure actuelle, elle est faible. Utile pour ma santé. Mais d'ici 5 à 10 ans, c'est sûr.

Jean-Charles : Et le plus on le fait, le plus on augmente la probabilité de trouver des choses intéressantes parce qu'on a des cohortes plus intéressantes.

Benoît Gallix : Et donc aujourd'hui, on est d'ailleurs dans cette chose assez anachronique, où on fait non pas des génomes complets, qui peuvent coûter pas très cher, en tout cas au niveau des exomes, mais des piecemeal, où on fait des tests sur tel gène, tel gène, tel gène, qui, à la fin, finissent par coûter 10 fois plus cher.

Jean-Charles : Ou plus cher.

Benoît Gallix : Donc là, il y a un sujet, il y a un vrai sujet. Moi, là, je suis en totale réflexion avec des généticiens. C'est le métier aussi, on ne va pas faire ça tout seul. Donc, je suis en complète réflexion sur vous. Aujourd'hui, il y a trois secteurs où ça marche, chez les adultes, en dehors des gènes en pédiatrique, qui sont le risque cardiovasculaire. Mais c'est du polygénisme avec toutes ces difficultés.

Jean-Charles : C'est-à-dire polygénisme, c'est-à-dire que ça concerne plusieurs gènes.

Benoît Gallix : C'est-à-dire qu'on prend plein de gènes et on fait des modèles mathématiques, des modèles d'apprentissage, ce qui complique un peu. Tant que c'était de modèles mathématiques, c'était encore mieux. Des modèles d'apprentissage. Et on dit, voilà, vous avez un risque accru de risque cardio-vasculaire. Si en plus, c'est cumulé avec une histoire familiale, des modes de vie, évidemment, c'est l'ensemble du panel qui marche. Donc, c'est beaucoup du polygénique. Donc ça, c'est compliqué à utiliser. Et aujourd'hui, on a quand même des doutes sur la reproductibilité. Donc ça nécessite d'être solidifié.

Le cancer, ça touche un petit nombre de cancers, mais ça touche quand même autour de 10% des cancers qui peuvent avoir des facteurs de risque génétiques. Donc on voit que déjà aujourd'hui, ça touche un troisième sujet. Donc ça, ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est des consensus d'une conférence de génétique nord-américaine sur l'utilisation des gènes. Il faut que ça soit actionnable, aussi, il faut qu'on puisse en faire quelque chose. Si c'est juste pour vous dire où sera Alzheimer en 70 ans, et le troisième, qui est un peu plus pointu, c'est la pharmacocinétique, la tolérance et la susceptibilité aux médicaments.

Jean-Charles : Et aux traitements.

Benoît Gallix : Et aux traitements. Donc certaines personnes, vous leur donnez une dose A, elle sera toxique alors que pour d'autres, voilà. Donc ça, c'est un troisième domaine où c'est actionnable, évidemment. Donc, ça, c'est aujourd'hui trois domaines, et demain, il y en aura dix.

Donc oui, la question se pose, il faut la traiter de manière extrêmement sérieuse, et anticiper tous les effets potentiellement pervers, qui sont risques. Par contre, aujourd'hui, ceux qui vous disent, je peux faire un test génétique comme ça, et je vais, sans trop réfléchir, dans tous les domaines rasés gratis, là, on va faire... énormément de faux positifs. Et on va créer de la maladie, de la fausse maladie.

Anatomie d'un bilan de santé complet [52:31 - 60:04]

Jean-Charles : Oui, encore une fois, c'est plutôt une mesure du risque et c'est des mesures probabilistiques. Sur votre bilan de santé, qui a fait quand même beaucoup la renommée aussi de l'hôpital américain, pas que ça, mais il est connu pour ça, un peu, encore une fois, à quoi il ressemble ? On a discuté de la partie I-COP. Qu'est-ce qu'on teste dans un bilan de santé aussi ? À quoi ça ressemble ? L'accueil du patient, le questionnaire ?

Benoît Gallix : Alors, le questionnaire, le pré-pratique au pratique. Ça dure, quand tout va bien, deux heures et demie, trois heures. Quand il y a beaucoup de monde, quatre, cinq heures. Et puis, suivant aussi, ce qu'on met dedans, parce qu'on peut avoir des géométries un peu variables. Donc, à ce propos, nous étions dans des locaux un peu contraints. Donc, on déménage dans des locaux trois fois plus grands et beaucoup plus adaptés. Ça va nous permettre aussi d'être encore plus performants en termes d'efficience. Parce que les gens qui viennent là, ils veulent que ça arrive vite.

Il y a tout comme population qui vient. Parce que globalement, jusqu'à une période, il y a quelques années, c'était quand même assez limité à une population corporate. Qui venaient là par l'intermédiaire à ces entreprises, qui prenaient en charge ça comme un bonus, comme un bénéfice, comme disent les Américains. De plus en plus, compte tenu aussi parfois des difficultés d'accès aux soins, c'est devenu un accès prioritaire, en disant, moi, j'ai dû prendre un rendez-vous chez un ophtalmo, chez un tout le monde, c'est une complexité absolue. Je préfère avoir tout d'un coup. Tout dire que ça se diffuse.

Il y a... un interrogatoire qu'aujourd'hui, on est en train, ça va être près dans quelques jours, d'entièrement digitaliser. Qui peut être fait avant, pendant. Avant, c'est un peu fastidieux, donc souvent, on le fait faire pendant. Dès septembre, on va le faire faire pendant sur des tablettes ou sur l'iPhone, sur le téléphone, le smartphone, pendant que le patient est là, parce qu'il a réservé son temps, il y a toujours des petits temps d'attente, donc autant profiter. Donc c'est primordial. Un questionnaire très pointu et qui est des questionnaires à tiroirs. Donc, évidemment, juste pour vous donner un ordre d'idée, le questionnaire qu'on a finalisé, il fait 152 questions. Donc, évidemment, tout le monde n'a pas à les faire parce que... si on ouvre tous les tiroirs, ça fait 152 questions. Mais c'est un questionnaire qui est un peu long et qui est primordial parce que c'est le premier niveau. Il consiste à comment allait votre famille et comment vous avez vécu jusqu'à présent. Et c'est ce que fait tout médecin généraliste.

Jean-Charles : Et c'est comprendre ça finement.

Benoît Gallix : Mais le médecin généraliste, il fait comme M. Jourdain. Il le fait sans trop le quantifier. Il le fait comme on me l'a appris moi, à la fac de médecine. Les histoires, l'antécédent, etc. Donc, là, on le fait de manière systématisée.

Il y a un bilan biologique qui est extrêmement complet, tout en n'allant pas dans ce que je pense sont des dérives aujourd'hui sur des choses qui ne sont pas prouvées par la science. Donc, aujourd'hui, la génétique, on est en réflexion parce qu'on est dans une zone grise, mais on va basculer, c'est sûr. Je ne sais pas quand et je ne sais pas par quelle méthode. Mais voilà, mais par contre, on y est. Mais il y a des choses sur lesquelles on a refait toute la littérature. On les a peint comme ça. Tous les bilans de vitamines, de choses comme ça, sont des choses qui sont bien souvent superflues. Ça peut avoir des nécessités, mais après filtre. C'est ça. Par bon premier instant. Voilà. Donc, un bilan biologique qui est, on va dire, assez standard, mais complet, très complet.

Jean-Charles : Qu'est-ce que vous... je pense que pour beaucoup de gens, biologique, ce n'est pas nécessairement clair. Qu'est-ce qu'on veut dire ?

Benoît Gallix : Une prise de sang.

Jean-Charles : C'est une prise de sang.

Benoît Gallix : Une prise de sang, une analyse d'urine. Et la prise de sang qui va tester tout ce qui sont les lignées des globules rouges, tout ce qui est les lipides, évidemment, tout le monde connaît le cholestérol, mais aussi quelques marqueurs tumoraux, pas trop, parce que, là aussi, on a trop de faux positifs sur les marqueurs tumoraux, donc on est, c'est inutile et c'est dangereux même. Qu'est-ce qu'il y a d'autre ? Voilà, les bilans du foie, du rein, cardiovasculaire, etc. Une prise de sang complexe, ce n'est pas non plus quelque chose d'extraordinaire. Ça tue-tue pour le patient. Si vous avez l'habitude, vous faites les... voilà.

Ensuite, un examen d'imagerie très simple. Pourquoi très simple ? Mais fait par de très bons spécialistes. Parce que là aussi, le risque, c'est le faux positif.

Jean-Charles : Il faut bien lire l'imagerie.

Benoît Gallix : Donc l'imagerie, ce que nous faisons, nous, c'est une échographie. Pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas trop sensible et qu'elle est assez spécifique. Donc, c'est le risque. Si on fait un test beaucoup plus spécifique, beaucoup plus sensible, comme l'IRM, par exemple, on ne va faire que du faux positif.

Jean-Charles : Un IRM doit être ciblé sur quelque chose.

Benoît Gallix : Exactement. Ce qu'on appelle l'IRM corporéal, aujourd'hui, ça a été prouvé que ce n'était pas efficace. Donc, cet examen d'imagerie, mais fait par des gens qui ont l'habitude et qui sont capables d'arrêter ou ne pas arrêter. Vous avez une tâche de donner un exemple tout bête. Nous sommes 30% à avoir des angiomes dans le foie. C'est une petite tumeur bénigne. Quand on est spécialiste, on sait les reconnaître en un clin d'œil, à l'imagerie. Si vous faites ça par quelqu'un qui n'en a pas l'habitude, il va dire qu'il y a une tumeur du foie. Donc ça veut dire une IRM, etc. Une cascade d'examens qui fait que tout le bénéfice est non seulement perdu, mais c'est même pire que de n'avoir rien fait.

Quand il y a des besoins de bilan cardiovasculaire plus poussé, nous faisons aujourd'hui des... le score calcique consiste à mesurer les calcifications sur les coronaires. Donc ça, ça nécessite un scanner. Mais c'est une mesure quantitative, je dirais. Et là aussi, on a des... dès qu'il y a un moindre risque, on a l'accès immédiatement et on le rajoute, non, oubliant ce qu'on appelle un coroscanner, c'est-à-dire faire l'imagerie des coronaires chez les patients avec des risques cardiaques élevés. Donc ça, c'est aussi la capacité d'être dans un hôpital et d'avoir accès aux meilleures technologies. Voilà.

Un électrocardiogramme, évidemment, de base, et à l'effort. Alors, à l'effort, on s'est discuté dans la littérature, pour être tout à fait clair, mais en fait, ça permet d'espicer d'autres choses que les problèmes de sténose, vu qu'on est au coronaire, ça dépiste aussi des troubles du rythme, et des hypertensions à l'effort, qui nous permet de poser des indications, de mettre des halters, des choses comme ça. Donc, ils sont vus par un cardiologue, évidemment.

Et puis, pour la santé de la femme, il y a une gynécologue qui regarde aussi les points clés. Donc, des tests auditifs, évidemment, des tests visuels, des analyses des grands facteurs de risque visuel, la pression oculaire, des choses comme ça. Voilà à peu près. Donc, c'est une succession d'examens, il y a une douzaine d'examens. Voilà, on peut... on peut imaginer aussi les réduire. Je veux dire, c'est que aujourd'hui, on n'a pas les datas. Mais un des objectifs, c'est de pouvoir diffuser plus. Et grâce à un meilleur appris sur ces bases de données. Il est probable dans tout ce qu'on fait, qu'il y a des choses qui sont redondantes.

Jean-Charles : Et on apprendra les corollaires.

Benoît Gallix : Aux ennuis, on ne sait pas trop. On ne sait pas trop parce que chacun a calculé dans ses couloirs de nage. Mais l'idée, c'est justement, c'est un des objectifs aussi, c'est de travailler avec les meilleures équipes, notamment de recherche là-dedans, pour dire, peut-être que demain, il faut diffuser un bilan qui va être dix fois moins cher.

De l'analyse des données au plan d'action [60:04 - 69:38]

Jean-Charles : Et une fois qu'on a ça, ça produit donc beaucoup de données. Il y a quoi ? Il y a une équipe médicale qui se met autour de cette donnée ?

Benoît Gallix : Aujourd'hui, on est encore dans une logique très consultation médicale. Donc ces données, aujourd'hui, elles sont résumées. Et il y a un médecin qui les regarde et qui fait l'analyse et qui est spécialisé dans la prise en charge. Donc, ce médecin, il a été formé pour regérer la prévention. Ce qu'on met en place aujourd'hui, c'est de l'analytique, du pré-analytique. On va donner les données, évidemment, toujours. Donner brut aux médecins, c'est lui qui fait l'aide. Je crois qu'il faut rester aussi. La médecine doit rester. On dit, la médecine, c'est une science et c'est un art. Évidemment, la partie humaniste, la médecine, elle doit rester entière, sinon c'est foutu. Parce qu'on ne peut pas gérer deux patients de manière différente.

Le pré-analytique, c'est ce sur lequel on est en train de travailler, c'est en train de sortir aujourd'hui, c'est de dire, je ne vais pas vous montrer la biologie en totalité, je vais vous montrer juste les conséquences que l'on a déjà pré-analysées. Après, vous voulez la regarder parce que vous êtes aussi quelqu'un et vous avez 40 ans d'expérience, etc. Mais évidemment, vous devez prendre votre décision.

Jean-Charles : Bien sûr. Et donc, une fois qu'il y a ça, le médecin, analyse.

Benoît Gallix : Le médecin fait un examen clinique, évidemment, parce que l'examen, on est dans les temps.

Jean-Charles : Oui, c'est parfait. J'adore, je peux recreuser pendant des heures. Donc, c'est parfait.

Benoît Gallix : Le médecin, lui, fait un examen clinique. L'examen clinique, ça reste très important. Le toucher, tout doucement. Le spécialiste, le cardiologue, le gynécologue aussi, évidemment. Et le médecin généraliste qui doit rester un intégrateur. Le rôle du médecin généraliste, qui est majeur. On n'arrivera pas à changer le système de santé sans que les médecins généralistes soient en première ligne à tous les niveaux, auprès du patient, mais auprès du changement.

Jean-Charles : C'est intéressant.

Benoît Gallix : Mais ce n'est pas comme ça que nos systèmes académiques le voient aujourd'hui. Et donc le médecin, lui, il a ses éléments, il a le bilan du cardiologue, il a toutes ses analyses et il a grosso modo différentes actions. Dans un certain nombre de cas, il va adresser le patient à un spécialiste. Parce que oui, là, il y a une alarme qui est suffisamment élevée pour qu'on pense que quelqu'un qui est mieux formé pour gérer un problème de maladie hépatique voit ce patient ou de problème de coronaire voit ce patient.

Donc, là aussi, ce qui est important, c'est la capacité d'avoir un parcours de soins rapide. Parce que si vous ne pouvez pas laisser passer un patient en disant, monsieur, vous avez un risque de sténose coronaire, voyez un cardiologue. Ça ne marche pas. Soit il a un cardiologue et on l'appelle, soit il n'a pas de cardiologue. Et on lui dit, si vous voulez, on vous voit ou il faut aller voir. Mais par contre, on vous suit.

Jean-Charles : Il y a combien de temps entre cette batterie de test et des résultats qui sont partagés aux patients ?

Benoît Gallix : Les résultats... enfin,

Jean-Charles : une synthèse.

Benoît Gallix : La première synthèse est faite le jour même par le médecin généraliste, qui donne les grandes lignes, qui donne d'emblée 95% des résultats. Ensuite, il y a un compte rendu synthétique qui est fait dans les deux à trois jours, qui posait un repos tout à fait pratique. On était très papier et donc était décalé pour les envois, etc. À huit ou neuf jours. Aujourd'hui, maintenant, ils sont envoyés de manière numérique. Donc, globalement, les patients, deux, trois jours après, quatre jours, cinq jours au maximum, reçoivent le compte rendu du médecin généraliste qui fait l'intégration des résultats.

Jean-Charles : Et après, il y a toute l'étape de plan d'action. Donc, il y a voir des spécialistes, mais après, il y a tous les changements comportementaux.

Benoît Gallix : Alors, cette étape-là, aujourd'hui, elle est en construction parce qu'en effet, on en parlait, c'est des sciences humaines. Donc il y a trois quand on regarde la quand vous écoutez, et les gens un peu savants, il y a trois facteurs majeurs qui sont l'activité physique, la nutrition et le sommeil. Si vous jouez déjà sur ces trois plans, vous avez géré 80% de certains risques. Il y en a qui sont plus ou moins durs que d'autres. Donc, ce qui veut dire, c'est...

Jean-Charles : Ils sont d'ailleurs corrélés ensemble.

Benoît Gallix : Ils sont corrélés ensemble, évidemment. Par exemple, ce que l'on sait maintenant, c'est que l'activité physique protège de manière assez significative, alors c'est pas non plus, mais du risque de troubles cognitifs. Donc, bon, pourquoi, on ne sait pas trop.

Jean-Charles : C'est pour ça qu'on a lancé Alan Play et on fait marcher les gens. Plus grâce à Alan. Et ça a des impacts extraordinaires.

Benoît Gallix : Oui. Donc, comment est-ce que maintenant? On met des plans d'action ? Donc, là, aujourd'hui, c'est tout le challenge. C'est tout le challenge. Donc, nous avons la chance, mais il faut aller au-delà de ça, d'avoir une population qui est assez favorisée du point de vue financier, à qui on peut faire des recommandations. De prise en charge et donner des aides en termes de prise en charge.

Mais maintenant, il faut arriver à trouver d'abord un driver pour que les gens changent, et ensuite une méthode qui puisse se diffuser à une population beaucoup plus large, y compris, qui n'a pas forcément accès à une salle de gym. Puis, après, vous avez des gens qui sont résistants. On le sait. Le NHS, en Angleterre, ils ont beaucoup donné, parce qu'ils ont mis toutes leurs données dans des boîtes depuis à peu près 10 ans, depuis 2005, même exactement. Et ils ont fait des grands programmes de prévention, un peu comme mon bilan prévention actuellement, sauf que là-bas, ça a marché. Je ne suis pas politiquement correct.

Jean-Charles : C'est le principe.

Benoît Gallix : Et parce que c'était un peu imposé, globalement, ils ont proposé ça aux patients. Donc, il y a 50% des patients qui ont adhéré, et 50% des patients qui n'ont pas voulu en parler. Clairement, alors il y a un biais, évidemment, mais les 50% qui ont adhéré, il y avait 25% de moins de mortalité cardiovasculaire dans les 5 ans, dans ceux qui ont adhéré et ceux qui n'ont pas adhéré.

Jean-Charles : Rien que dans les 5 ans ?

Benoît Gallix : Rien que dans les 5 ans, c'est énorme.

Jean-Charles : C'est énorme. C'est énorme.

Benoît Gallix : De morbidité, pas de mortalité, de morbidité cardiovasculaire. Donc, on voit qu'on a une frange de la population qui, pour plein de raisons, socio-culturelles essentiellement, va refuser ou ne va pas être en capacité, tout bêtement, parce que son activité professionnelle, son temps, ses transports, etc. Ne lui permettent pas. L'éducation, évidemment, mais là, on passe à un échelon différent. On passe à comment construire une nouvelle société. Et comment on crée des outils qui permettent de donner un accès plus facile. Mais l'outil, c'est qu'un outil. Il faut que les professionnels, soignants ou aidants s'emparent de ces outils. Tout seul, c'est compliqué, parfois.

Priorisation et gestion des changements comportementaux [69:38 - 73:09]

Jean-Charles : Et comment vous gérez dans un bilan? Quand il y a plusieurs sujets, plusieurs signaux qui s'allument pour prioriser ? Est-ce qu'il y a...

Benoît Gallix : Il y a toujours la priorisation sur est-ce qu'il n'y a pas une maladie grave quand même, à un diagnostic et en urgence. Vous avez un signal sur des problèmes cardiovasculaires. Est-ce qu'il y a un risque de sténose coronaire ? Il n'y a pas photo. Vous avez une hypertension. Forcément, le risque d'accident vasculaire cérébral devient multiplié par 5, par 10. Il faut la traiter, etc. Donc, globalement, le gros avantage de la prévention, c'est qu'on n'est jamais dans l'urgence, sauf cas particuliers. Donc, la priorisation ne pose pas de gros problèmes. Ce n'est pas un souci, honnêtement, ce n'est pas un souci.

C'est plus la priorisation sur les actions de mode de vie. Quelqu'un ne peut pas tout changer d'un coup. Il ne faut pas tout changer d'un coup, d'ailleurs. Là, on se rapproche finalement, et ce n'est pas mon métier, donc je ne suis pas compétent, mais de l'addiction. On n'est pas loin. Donc, les addictologues savent bien qu'il ne faut surtout pas tout changer d'un coup. Donc, comment prendre en charge des choses qui sont, après 20, 30 ans, qui peuvent me donner être du domaine de l'addiction ? Je mange des glaces à Gendas, j'exagère, mais c'est de ce niveau.

Jean-Charles : Non, mais c'est une addiction.

Benoît Gallix : C'est une addiction. On est dans l'addiction. L'addiction alimentaire, l'addiction à regarder des séries à 3h du matin, etc. Là, après, déjà, si à notre niveau, on est capable de donner une évaluation du risque parfaite et une information claire et de mettre le doigt sur les risques vis-à-vis du patient, c'est déjà majeur. Beaucoup de médecins généralistes le font aujourd'hui, mais souvent, ils le font tout seuls. Et il faut des outils biostatistiques pour démontrer que c'est du sérieux ce qu'on dit là. C'est pas juste mon impression.

Jean-Charles : C'est pas juste une recommandation.

Benoît Gallix : Parce que, malheureusement, on est dans un monde où il y a une perte de la... devant le savoir. On le voit au quotidien. Et donc, les gens ont besoin d'être rassurés par des éléments tangibles. Le savoir lui-même du médecin, n'est plus suffisant et n'est plus reconnu. C'est dommage. Parce que ce métier, il a été fait et il a fonctionné. Il continue à fonctionner. Donc, aujourd'hui, ces outils-là, ils sont là aussi pour donner des billes aux médecins et aux malades pour bien comprendre et bien expliquer.

Ce qu'on met en place, par exemple, dans nos outils d'IA, c'est des courbes. C'est voilà, votre trajectoire de facteur de risque, de risque cardiovasculaire si vous ne faites rien. Si vous arrêtez de fumer, voilà comment vous allez évoluer. Et si en plus vous faites de l'activité physique, voilà que vous avez évolué.

Jean-Charles : C'est concret, ça donne des objectifs.

Benoît Gallix : C'est très pratico-pratique.

Âge biologique et horloges biologiques [71:23 - 73:09]

Jean-Charles : Et d'ailleurs, en parlant de ces chiffres, est-ce que... qu'est-ce que vous pensez de ces notions d'âge biologique face à l'âge chronologique ? Est-ce que c'est des outils que vous utilisez ?

Benoît Gallix : Aujourd'hui, encore. On est dans une zone grise. Clairement, du point de vue scientifique, il y a des preuves. Du point de vue, utilisation clinique, c'est quoi la différence ? C'est le groupe, c'est la moyenne. Donc, si on prend une moyenne de ces âges biologiques, évidemment, je prends 1000 personnes qui ont un âge biologique. Je vais regarder l'âge de la mort derrière, par exemple, ou l'âge de la perte de capacité, il y aura une corrélation extrêmement puissante. Mais à l'échelle individuelle, on a encore des problèmes pour les appliquer.

Donc oui, ça marche dans le domaine scientifique. La transposition vers l'utilisation clinique est encore complexe. Oui, ça va marcher, il n'y a aucun doute. Donc, là, on est question de... mise en application, est-ce que c'est cette année, l'année prochaine, d'ici deux ou trois ans ? Des horloges biologiques, il y en a dix, laquelle il va falloir utiliser, parce qu'on peut prendre des génétiques, épigénétiques, il y en a plein. Donc on a un article qui devrait sortir de l'Académie de médecine, un rapport justement là-dessus, pour un peu faire le ménage un peu là-dessus. Mais oui, ça va marcher. Donc oui, ça va être mettre en exécution. Il faut savoir l'utiliser et savoir le communiquer aux patients.

Jean-Charles : Et bien le suivant, après, ensuite. Parce que, comme on dit, il y a le chiffre absolu et ensuite son évolution.

Benoît Gallix : Son évolution, c'est la tendance. C'est pas tellement le chiffre absolu.

Le jumeau numérique : modélisation adaptative [73:09 - 76:51]

Jean-Charles : J'en ai parlé rapidement dans l'introduction, mais est-ce que tu peux nous expliquer cette notion de jumeau numérique ? Et qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? En quoi ça améliore? La personnalisation et la prévention ?

Benoît Gallix : C'est presque ce qu'on vient de dire pendant une heure. Mais simplement, c'est quoi un jumeau numérique ? D'abord, c'est un terme hype.

Jean-Charles : J'ai toujours trouvé ce terme un peu hype par rapport à ce que c'était, donc je veux bien conclure.

Benoît Gallix : C'est hyper hype. Donc, c'est juste un modèle. Mais c'est un modèle adaptatif. C'est une des difficultés de tous ces scores de prévention. C'est que c'est des modèles non adaptatifs. Ils ont été calculés à un instant T sur une population sud-américaine, etc. Ils ne sont pas adaptatifs. Donc, est-ce qu'ils sont adaptés à ma population, telle qu'elle évolue, un changement de continent, un changement de génération ? Probablement pas.

Un jumeau numérique, c'est un modèle, mais qui est réalimenté par des données qui viennent, des patients auxquels on l'applique. Ce n'est pas plus que ça. Ok, donc... b. Par contre, c'est intéressant. Pourquoi ? Parce que ça veut dire que le modèle ne peut pas être qu'un modèle d'apprentissage machine. Je ne sais pas si les gens qui sont là comprennent un peu ce que je dis, mais dans les modèles, il y a deux grands modèles. Aujourd'hui, il y a les modèles dits mathématiques, où c'est des formules, des équations, des formules, des formules ou des abacs ou des tables.

Jean-Charles : Et c'est déterministe.

Benoît Gallix : C'est déterministe et on peut tourner un bouton. Et changer le modèle, mais on le conçoit. Et puis, vous avez le modèle d'apprentissage. Ça fait maintenant 10 ans ou 15 ans que je bosse dessus sur différents sujets, mais qui sont tous les mêmes, au final. Où là, c'est quand même la boîte noire. On est quand même dans la boîte noire, il faut le dire. Donc, c'est extrêmement intéressant, y compris du point de vue philosophique. Je ne saurais que trop vous recommander d'ailleurs le numéro spécial du Grand Continent sur ce sujet, qui vient de sortir.

Donc, ce modèle... pour pouvoir être réalimenté, il faut qu'on ait des boutons sur lesquels on peut jouer de manière déterministe. Donc c'est intéressant parce qu'on est obligé, par rapport aux modèles qui peuvent être créés par apprentissage, de downsizer un peu. Donc, forcément, d'être plus généralisable, moins pointu et plus robuste. Mais par contre, l'avantage, c'est qu'on peut les faire évoluer avec le temps.

Jean-Charles : Et on peut mesurer les versions.

Benoît Gallix : Donc, on l'a appliqué. Et avec le projet Meditwin, qui est en cours, avec l'INRIA, avec Dassault Systèmes et d'autres partenaires, on l'a appliqué à des sujets extrêmement pointus de la médecine thérapeutique. Nous, à l'hôpital américain, on l'a mis en œuvre pour l'appliquer à la médecine préventive. Donc on est en train de créer ces modèles. Donc on a les bases de données, etc. Et on part des modèles connus et, au fur et à mesure, on regarde... comment est-ce qu'on peut les réalimenter avec nos propres bases de données pour les ajuster à notre population ? Tout est à faire. Ça n'a rien de... c'est à la fois complexe et simple. C'est complexe en termes d'évaluation. C'est simple, en point de vue mathématique et apprentissage. Ce n'est pas des modèles de surapprentissage complexes.

Le patient partenaire : vers une nouvelle alliance thérapeutique [76:51 - 81:41]

Jean-Charles : Très intéressant, on pourrait creuser encore plus, mais un des sujets que je voulais aussi toucher et qu'on avait approché dans nos discussions, et je trouve qu'il était important de remettre au sein de cette notion de patient partenaire, de comment tu travailles en équipe avec les patients et comment ils peuvent être plus partenaires, acteurs dans leur parcours de soins en utilisant les technologies ou pas. Quelle est ta perspective là-dessus et sur l'évolution ?

Benoît Gallix : Alors, ça ne sera pas sorti avant d'ici lundi, mais on a un séminaire lundi à l'hôpital américain avec nos collègues américains sur l'évolution des hôpitaux universitaires. Et notamment, un des sujets qu'on a mis en place, en anglais, c'est « From paternalism to partnership ».

Donc, en effet, dans une perte des valeurs, des croyances en la science. Et dans une société de l'information décomplexée et non filtrée, la nécessité d'impliquer les patients et les groupes de patients dans la réflexion de leur prise en charge, non seulement elle est souhaitable, mais elle est imparable. C'est-à-dire que ne pas impliquer aujourd'hui les patients dans leur prise en charge, c'est vouer toute action à l'échec. Progressivement, progressivement.

Donc, l'alliance thérapeutique, c'est une notion qui est à la fois ancienne et récente, où le patient et le médecin finalement s'associent pour que le patient guérisse, que le patient aille mieux, sens large. C'est une notion qui est classique, qui a déjà une trentaine d'années facilement. Mais qui a été quand même très peu appliqué. Très peu appliqué. Et on le voit, et d'ailleurs, c'est extrêmement intéressant, parce qu'on le voit quand on fait des essais cliniques, l'effet médecin, ce qu'on appelle nous en termes de statistiques, l'effet médecin, l'effet centre ou l'effet médecin, est majeur. Et souvent aussi important que les traitements.

Donc, et j'en parlais hier avec un collègue, la même question posée dans deux centres par deux médecins différents. Des fois, on a 70% de réponses, je veux tel traitement, et dans l'autre, on va avoir 20% de réponses. Donc, on voit bien que c'est indispensable. Ça veut dire être capable de mettre en œuvre des actions coordonnées autour de ça.

Les réseaux sociaux, ils ont tous leurs défauts, tous leurs biais, mais doivent jouer un rôle, probablement dans cette approche. La formation des médecins à être capables de travailler avec leurs patients et non plus, de leur imposer. Évidemment, il y a le problème de la rémunération. Parce que forcément, quand vous êtes dans une logique de prendre le temps, de créer un lien de confiance et d'expliquer des choses, ce n'est pas une consultation de 10 minutes.

Jean-Charles : Non, clairement. Et ce n'est plus une rémunération à l'acte.

Benoît Gallix : Et ce n'est plus une rémunération à l'acte. Donc, on voit bien que là, il y a un point qui est un point bloquant potentiellement pour arriver à cette bascule. Est-ce que les outils digitaux, puisque c'est aussi une des questions, peuvent aider à ce lien-là ? Ma réponse est oui, ça peut aider, mais ce n'est pas suffisant.

Donc, il faut aussi que notre génération, des nouvelles générations de médecins qui sont habitués à ces outils, basculent dans cette logique-là et qui, eux-mêmes ont les mêmes biais que leurs patients, puisqu'ils sont de la même génération, soient formés à reconnaître ces biais, à les adapter, etc. Pour moi, l'éducation... des médecins est majeure, la formation des médecins est majeure. Et il y a un vrai travail qui n'a pas été réfléchi. C'est complexe, ce n'est pas facile. C'est extrêmement complexe, je ne dis pas que c'est facile.

Et on a eu 10 000 réformes du système de formation des médecins qui arrivent toutes avec des idées plaquées quand même et souvent, malheureusement, 15 ans de retard. Parce que le monde s'accélère.

Jean-Charles : Le monde va de plus en plus vite, les réformes n'accélèrent pas.

Benoît Gallix : Et voilà. Les réformes accélèrent, mais sont toujours trop tard. Donc c'est encore pire, je dirais presque. On a aussi une difficulté en France, c'est le côté centralisé. C'est-à-dire qu'à un moment donné, il faut laisser les initiatives se faire. Et ça, on ne sait pas faire en France. Vous êtes formé, vous avez un programme, vous avez un programme, il doit être partout, pareil.

Recommandations pratiques : quand commencer et que faire [81:41 - 86:21]

Jean-Charles : Rapidement, sur la santé préventive, peut-être, quand est-ce qu'il faut... commencer à réfléchir à sa longévité, à ses sujets de prévention et après, ça, c'est la première partie et après est-ce qu'il y a des recommandations concrètes, on a parlé du trio sommeil, nutrition, activité physique. Mais que vous conseillez quasiment dans tous les cas en fait. Et qui sont les bonnes pratiques à mettre en place pour tout le monde?

Benoît Gallix : Alors les bonnes pratiques, on les connait, mais ça sert à rien de les dire. Mais les bonnes pratiques, on les connait en effet, il faut essayer d'avoir un sommeil protégé parce que le sommeil est très protecteur de la santé. Donc il faut se débrouiller pour protéger son sommeil. Il faut avoir une activité physique. On paye la période de la fin du XXe siècle sur notre population vieillissante, qui était une période de sédentarité. Alors, moins dans la société française qu'en société nord-américaine, mais quand même.

Ensuite, il y a la nutrition. Évidemment, il faut globalement être plutôt en déficit calorique, qu'en surplus calorique. Ça, c'est un grand classique, mais c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Bon, là aussi, on était protégé en France par la qualité, pas forcément par la quantité. La quantité, des fois, pas beau. Mais par la qualité de l'alimentation liée à la culture culinaire et alimentaire française, qui fait partie de notre culture, par rapport à d'autres sociétés. Malheureusement, c'est quelque chose qui se perd, et c'est quelque chose aussi qui est de plus en plus complexe à maintenir dans un contexte économique difficile, parfois. Mais ces trois éléments, c'est le pilier.

À quel âge ? Ce qu'on dit aujourd'hui, c'est midlife. C'est-à-dire, d'abord, un n'est jamais trop tôt, mais un, il n'est jamais trop tard. C'est ça qui est important, aussi. C'est important de dire, il n'est jamais trop tard. C'est-à-dire qu'on le voit d'ailleurs dans nos modélisations. Vous avez 60 ans, vous êtes hypertendu, vous avez 15 kilos de trop, et vous avez un peu de cholestérol. En deux ans, avec des choses qui sont assez simples, vous revenez à un risque normal.

C'est pareil que d'arrêter de fumer. Il n'est jamais trop tard. Vous avez beau avoir un risque qui a augmenté, il va diminuer. Il va diminuer et il ne va pas continuer à augmenter. Il ne va pas continuer à augmenter, mais il va augmenter de manière drastique. Bien sûr, il va rester plus élevé que quelqu'un qui n'a jamais fumé, mais il va diminuer de manière drastique.

Donc un, il n'est jamais trop tôt pour prendre des bonnes hygiènes d'habitude de vie, mais il n'est jamais trop tard. Et donc l'âge... de la moitié de la vie, on peut s'estimer immortel, est un bon âge pour commencer à s'y intéresser d'un peu plus près et à commencer à regarder si... je n'ai pas des facteurs de risque particuliers, etc.

Alors, après, il y a des éléments aujourd'hui, maintenant, qui sont malheureusement assez inquiétants, notamment sur le cancer, pour des raisons que l'on ne comprend pas totalement encore, mais on commence à avoir des pistes. Il y a un rajeunissement des risques de cancer sur le cancer du côlon, sur le cancer du pancréas, sur un certain nombre de cancers, sur le cancer du poumon chez la femme jeune qui fume. Et donc, là, il y a des actions à mener. Parfois, plus jeunes, chez des patients qui auraient des facteurs de risque, par exemple familiaux. Si vous avez un père ou une mère qui est mort d'un cancer du côlon jeune, il faut commencer tôt dans ces actions de prévention. Pareil sur le cancer du sein, etc.

Conclusion : vieillir en bonne santé [86:21 - 87:29]

Jean-Charles : Extrêmement intéressant. Je crois qu'on arrive au temps. Professeur Gallix, merci beaucoup d'avoir partagé avec clarté des concepts qui sont parfois complexes. Avoir jonglé entre l'approche scientifique et l'approche clinique de la santé, de la longévité. C'était extrêmement éclairant. Je pense que ça donnait à la fois une vision concrète de où est-ce qu'on en est aujourd'hui, mais surtout de ce qui est possible demain. Donc un énorme merci. Si tu avais une dernière chose à ajouter, qu'est-ce que tu partagerais à nos auditeurs ?

Benoît Gallix : Que ce qu'on a déjà dit plus tôt, mais on ne parle pas de devenir très vieux. On parle juste d'éviter une période qui, aujourd'hui, en France, a à peu près 15 ans, où on vieillit, handicapé par la maladie. Et en tout cas, moi, personnellement, si on peut me dire qu'au lieu d'être 15 ans, ça sera zéro ou un an, ça me semble beaucoup plus favorable. Donc, le but, ce n'est pas de vieillir plus vieux, c'est de vieillir en bonne santé. Et avec toutes ses capacités, être actif dans la société et de partager les joies de la vie.

Jean-Charles : Il n'y a pas de meilleure manière, par contre. Merci beaucoup, Benoît. Merci à tous pour votre écoute. Partagez ce podcast à vos proches qui pourraient en bénéficier. Abonnez-vous à Healthier Humanity pour ne pas manquer les prochains épisodes. On touche beaucoup de sujets. On a touché autour du sommeil, de l'addiction, de la nutrition, de la longévité. On a une liste d'invités incroyables pour parler de ces différents aspects de la santé et du bien-être. Un grand merci. Merci pour ces apprentissages.

Benoît Gallix : Merci à vous. Merci. Et merci à Alan de cette invitation.

Jean-Charles : Avec grand plaisir. Merci.

Publié le 24/07/2025

Mis à jour le

24 juillet 2025