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Entreprise et santé au futur

Santé mentale des femmes en entreprise : prévenir plutôt que guérir. Interview avec Lydia Martin, psychologue du travail chez Alan

Chez Alan, nous travaillons à ce que chacun puisse être acteur de sa santé physique et mentale. Nous souhaitons apporter davantage de bien-être et une meilleure santé pour tous, en commençant par aider les entreprises à mettre en place les bonnes actions pour le bien-être de leurs salariés, et à équiper chacun avec les bons réflexes.

Santé mentale des femmes en entreprise : prévenir plutôt que guérir.  Interview avec Lydia Martin, psychologue du travail chez Alan
Mis à jour le
4 avril 2024
Mis à jour le
4 avril 2024
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Ce mois-ci, nous avons choisi de parler des sujets liés à la santé des femmes, parce que nous avons le sentiment qu’on a tout à gagner si on les accompagne davantage au quotidien : que ce soit pour leur donner les clés de leur santé, mais aussi aider les entreprises à prendre en charge et adresser ces sujets. 

Pour cette quatrième semaine, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Lydia Martin, psychologue du travail pour les clients d’Alan. Lydia a consacré sa carrière à la prévention et à l'intervention dans des contextes de restructuration d'entreprise. Son expertise lui a permis de naviguer à travers un large éventail de situations complexes, du conseil en ressources humaines jusqu’à la prise en charge de situations de crises. Son approche holistique, combinant prévention, formation, intervention individuelle et collective, met en lumière l'importance du maintien d'un équilibre entre interventions individuelles, collectives et organisationnelles, facilitant ainsi un dialogue constructif entre les ressources humaines, les managers, les comités sociaux et économiques (CSE) et les salariés. 

Actuellement, chez Alan, elle concentre ses efforts sur l'élaboration de stratégies d'intervention pour l'amélioration de la santé au travail et de la performance organisationnelle. 

Retrouvez l’entretien dans son intégralité : 

“Ce n'est pas à l'échelle de l'individu qu'on peut agir, c'est plutôt dans la structure, l’organisation.”

Concernant la sensibilisation des entreprises à la santé des femmes, bien que certaines initiatives soient mises en place, comme le soutien au retour au travail après un congé maternité, les mesures restent insuffisantes pour Lydia. Selon elle, “la question de la santé des femmes devrait être intégrée de manière plus globale dans les politiques de bien-être et de conditions de travail des entreprises”.

Pour Lydia, “il y a une intention plutôt bienveillante de la part des entreprises. Elles se questionnent parfois sur le sujet du retour au travail après un congé maternité. Il y a aussi les lois, qui amènent de toute façon les entreprises à s'y intéresser.

Mais de façon globale, nous sommes encore loin d’inscrire la santé des femmes, mentale et physique, dans une politique sur la qualité de vie et des conditions de travail. Il n’y a pas encore de parti-pris fort, au même titre que le droit à la déconnexion, par exemple. Ça ne veut pas dire que l'intention ne soit pas là, mais ça n’est juste pas une priorité.”

 “Il y a beaucoup de questions sur le comment on fait, comment on exécute, qu'est-ce qui est pertinent, qu'est-ce qui n'est pas discriminant… Et beaucoup de pudeur, aussi.”

Lydia constate que la question de la santé mentale au travail représente un vrai défi, et témoigne que les responsables des ressources humaines se montrent souvent réticents à aborder ce sujet, peut-être par une certaine pudeur. Elle pointe du doigt la difficulté à savoir par où commencer et comment traiter un sujet aussi vaste, surtout quand les problèmes deviennent aigus. Selon Lydia, l'approche actuelle tend trop souvent à être curative plutôt que préventive. Elle explique que les moments-clés de la vie des salariés, tels que les retours de congé maternité ou parental, appellent parfois à une intervention d'urgence dans les situations de détresse - quand, en réalité, il faudrait anticiper ces situations pour mieux réintégrer les personnes concernées, par exemple sans exiger d’elles de devoir être à nouveau opérationnelles presque immédiatement.

Lydia observe que ce paradoxe est bien compris par de nombreux managers, qui se retrouvent coincés entre le désir de prendre soin de la santé de leurs équipes et la nécessité de maintenir la performance. Cette tension, selon elle, est une source majeure de risques psychosociaux et peut facilement conduire à des situations problématiques. C’est pourquoi Alan encourage la formation des managers au travers d’ateliers thématiques, comme par exemple celui sur la détection des risques psychosociaux ou la sensibilisation à l’épuisement professionnel

L’importance du manager pour améliorer la qualité de vie de ses collaboratrices

Selon Lydia, “le manager a beaucoup à faire sur ce sujet. Ça ne devrait pas dépendre de la représentation qu'un homme ou une femme peut avoir sur ces situations-là. Les femmes ont aussi une perception subjective du sujet, en fonction de comment elles vivent elles-mêmes les questions de santé féminine, de fertilité, de maternité, etc. Avoir des enfants n’est pas un gage d’empathie ! Certaines femmes sont revenues au taquet de leur congé maternité, par exemple, et ne comprennent pas que d'autres ne le soient pas.”

Ces sujets ne devraient pas être de l’ordre d’une affinité personnelle avec la question, mais devraient être portés par la structure et la culture d’entreprise, parce que l’on estime qu’une équipe qui se sent écoutée et portée fournira un meilleur engagement, une plus grande motivation. Lydia a notamment vu l’exemple d’une entreprise ayant pris des mesures fortes pour accompagner ses collaboratrices : “C'est une mesure, au même titre que la déconnexion, au même titre que les horaires de travail, que l'aménagement du travail pour tous les salariés. Il y a la santé des femmes qui est inscrite dans la politique bien-être de l’entreprise. Je n'ai jamais vu ce type de situation. Par exemple, l’accompagnement de la salariée qui revient de congé maternité, payée à 100% et pouvant travailler à 80% seulement, pendant les premières semaines.”

“Et c'est là où on fait souvent l'erreur. On pense que travailler autrement, c'est être moins performant - alors que parfois, c'est salutaire.”

Tout comme les retours à mi-temps thérapeutique, selon Lydia, on pourrait imaginer ce type de dispositif en retour de congé parental : “Parfois, il est salutaire de moins travailler, pour retrouver justement un certain niveau de performance, une vitesse de croisière, avant de se remettre complètement à 100%. On dégage cette responsabilité-là du manager, parce que c'est une mesure à l’échelle collective.” Nuits hachées, vaccins, premières maladies en collectivité sont le quotidien de nombreux parents, qui les empêchent de se consacrer totalement à leur travail, comme cela pouvait être le cas auparavant. Le conseil ? Ne pas culpabiliser, et se laisser le temps. 

Lydia observe une attention croissante portée à la parentalité en entreprise, mais note également que les problématiques liées à celle-ci, telles que les retours difficiles de congé parental, sont encore très fréquentes. Elle souligne que le burn-out, lorsqu’il survient quelques mois après ces congés, est généralement le signe d'un déséquilibre préalable qui a affecté la santé de la personne concernée. Malgré la bonne volonté affichée de la part des entreprises et des ressources humaines, Lydia constate des difficultés dans la mise en application pratique et l'implémentation des mesures de soutien sur le lieu de travail. 

Elle s'interroge sur les raisons de ces difficultés d'application, évoquant l'importance des références communes telles que les chartes de déconnexion ou de qualité de vie et conditions de travail (QVCT). 

“C'est très bien d'avoir des références communes. Charte de déconnexion, charte QVCT, c'est super. Mais ce n'est pas parce qu'on envoie un document qu'il est lu, compris, et appliqué : il faut accompagner les équipes et les former.”

L'adoption et l'application pratique des directives et des références communes sur le lieu de travail sont essentielles, mais souvent, le suivi fait défaut. Lydia critique l'approche réactive basée sur les indicateurs tels que l'absentéisme ou le taux de rotation, qui n'interviennent qu'après l'apparition des problèmes, plutôt que de se concentrer sur la prévention.

Elle propose qu'un suivi effectif pourrait impliquer des réunions avec les managers, individuellement ou en groupe, pour discuter de l'application des politiques après leur diffusion. 

Lydia partage l'exemple d'une entreprise qui, face à un problème de surcharge de travail, reconsidère l'organisation du travail pour mieux gérer les priorités, surtout lorsqu'un membre de l'équipe est absent pour une longue durée, typique d’un congé parental.

Elle conseille également aux managers de repérer les signaux faibles face à des personnes en difficulté, et de redistribuer une partie du travail au sein de l'équipe pour prévenir l'épuisement professionnel, plutôt que d'attendre qu'un problème grave survienne et que le manager se retrouve à redistribuer 100% du travail en cas d’arrêt. Cette approche préventive, particulièrement pertinente pour la santé des femmes au travail, nécessite un changement de perspective : il ne s'agit pas d'attendre qu'une crise éclate pour agir, mais d'adopter une démarche proactive pour maintenir le bien-être et la productivité de tous les salariés.

“C'est une conversation difficile à avoir en tant que manager, parce qu'on se dit que ça met sa collaboratrice en difficulté, où on la perçoit comme moins performante.”

Lydia propose d’aborder les discussions sur le bien-être au travail de manière transparente, honnête et sincère. Elle conseille aux managers de commencer par l'importance de dissocier les préoccupations de performance des compétences individuelles

Comment aborder la conversation ? Par le prisme de l’empathie. 

“Je te sens fatiguée, comment vas-tu ?”, cette simple phrase peut permettre de rassurer sur la performance, tout en montrant une attention portée à l’autre. Une femme qui vit mal sa grossesse par exemple, pourra libérer sa parole en se sentant entendue et respectée.

Et plutôt que de généraliser une baisse de performance, Lydia conseille de la considérer dans le contexte spécifique de ce que vit la personne à ce moment précis. L'objectif est de permettre à la personne concernée de maintenir son niveau d'énergie sans compromettre sa performance, et surtout pas sa santé. Elle préconise un réaménagement du travail, d'abord sur une base individuelle puis collective, en expliquant clairement à l'équipe les raisons de ces ajustements.

Lydia observe que ces stratégies sont généralement bien accueillies par les collègues, car elles favorisent un environnement de soutien où chacun peut potentiellement se retrouver dans une situation similaire. Elle souligne l'importance de rester vigilant aux signes avant-coureurs de stress ou de surmenage, même chez les salariés les plus performants. Elle conclut en soulignant que les métiers axés sur le soin aux autres, souvent occupés par des femmes, présentent un risque accru de burn-out en raison de la grande empathie requise et de la tendance à se négliger au profit des autres.

Qu'est-ce qui doit nous alerter en tant que RH, en tant que manager, en tant que collègue, en tant que conjoint ? 

Lydia observe que les signes d'épuisement professionnel sont assez similaires chez les femmes et les hommes, englobant principalement tout changement de comportement. Elle encourage vivement à agir même en cas de doute, préférant aborder un collègue, un membre de l'équipe ou un partenaire pour évoquer ces observations factuelles, même si la personne en question nie les problèmes. Lydia souligne l'importance de reconnaître le déni chez les salariés qui sont potentiellement en phase d'épuisement, notant que le changement de comportement, l'isolement, et une négligence de soi-même peuvent être des indicateurs d'alerte.

Elle met en avant l'hyperactivité psychique comme un signe critique, où la personne est convaincue de pouvoir surmonter les obstacles malgré l'épuisement de ses ressources mentales, ce qui conduit souvent à une détérioration de sa condition sans qu'elle en ait conscience.

Face à ces signes, Lydia souligne qu'il existe un droit d'alerte, que les managers peuvent exercer pour protéger la santé des salariés. Elle insiste sur la nécessité d'entamer une conversation, de réaménager les postes de travail, et de reconsidérer les projets peut-être mal calibrés, en s'assurant toujours de rassurer la salariée concernée sur sa performance.

Lydia souligne le rôle crucial des ressources humaines dans ces situations, décrivant un processus tripartite qui permet de sortir de la dynamique directe entre le salarié et son manager, et d'adopter une perspective plus globale pour la résolution des problèmes. Cette approche vise non seulement à gérer les cas individuels mais aussi à anticiper les périodes de forte activité susceptibles de mettre en difficulté certaines équipes, évitant ainsi des conséquences plus graves comme les arrêts de travail ou les départs volontaires du personnel.

Enfin, elle évoque l'importance d'agir proactivement, en utilisant ce droit d'alerte pour intervenir avant que la situation ne se détériore, en proposant des congés pour permettre au salarié de se ressourcer, et en planifiant le retour au travail de manière à éviter la répétition des mêmes erreurs, assurant ainsi un environnement de travail plus sain et soutenable pour tous.

“Quelle est ma valeur ajoutée ? Peut-être que ce n'est pas de faire cinq dossiers par semaine. Peut-être que ma valeur ajoutée, ce sont les idées fraîches que je vais apporter dans deux dossiers, au lieu de cinq.”

La grande question, selon Lydia, c'est de se demander : qu'est-ce que j'apporte ? A quoi je contribue ? Et cette contribution individuelle, en quoi participe-t-elle à quelque chose de collectif, au projet d'entreprise ?  Et c'est ce qui nous mobilise. Parce que si l’on ne croit pas au projet, le manque de sens, et le manque de reconnaissance, vont accélérer l’épuisement. 

“C'est ce que j'explique aux managers : ils n'ont pas besoin de mettre la pression. Les collaborateurs se la mettent déjà très bien seuls. Au contraire, prenez du recul, votre rôle va être de les aider à revoir cette approche.”

Publié le 04/04/2024

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