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      Un modèle managérial inspiré de la méthode Montessori — Entretien avec Edouard Pick

      Un modèle managérial inspiré de la méthode Montessori — Entretien avec Edouard Pick
      Avec
      Aurelie Fliedel
      Aurelie FliedelChief marketing officer
      Mis à jour le
      4 décembre 2023
      Avec
      Aurelie Fliedel
      Aurelie FliedelChief marketing officer
      Mis à jour le
      4 décembre 2023
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      Edouard Pick est directeur général de Clinitex, une entreprise de nettoyage française comptant 4 000 collaborateurs et 17 agences dans tout le pays. Certifiée B-Corp, son entreprise repose sur une vision du management fortement inspirée de la méthode Montessori.

      Il nous explique sa réflexion autour de deux initiatives uniques, clés pour la croissance de l’entreprise : la création d’un “Human Plan” et de la “Clin’Boost Academy”, un programme encourageant les collaborateurs à explorer leurs aspirations professionnelles. L’idée ? Améliorer leur bien-être afin de favoriser la croissance de Clinitex et former un cercle vertueux.

      Au programme :

      • “J’ai remarqué de fortes similitudes entre le modèle Montessori et le management que nous pratiquons chez Clinitex.”

      • “Nos nouveaux collaborateurs viennent pour nos valeurs, ils sentent qu’elles sont vraiment incarnées.”

      • Une organisation horizontale, fondée sur l’auto-évaluation

      • “40 % de mes salariés sont multi-employeurs et 80 % d’entre eux placent Clinitex en employeur préféré.”

      “J’ai remarqué de fortes similitudes entre le modèle Montessori et le management que nous pratiquons chez Clinitex.”

      Aurélie Fliedel : Bonjour Edouard ! Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé à travailler chez Clinitex ?

      Edouard Pick : Mon père a fondé Clinitex en 1980, en tant qu’artisan. Il s’est lancé sans rien connaître au secteur du nettoyage mais, de fil en aiguille, il a trouvé sa voie et a fortement développé l’entreprise. Elle compte aujourd’hui 4000 collaborateurs et 17 agences en France. Elle a également obtenu le label B-Corp il y a 3 ans. J’y suis arrivé en 2010 après un parcours en école de commerce à l’IESEG, et une expérience en conseil et stratégie. Comme pour mes frères et sœurs, mes parents m’ont éduqué avec l’idée que jamais je ne travaillerais dans l’entreprise de mon père. C’était une façon de nous dire de faire notre vie et d’être libre.

      J’ai donc démarré ma carrière sans aucune projection dans l’entreprise. Mais, après mon expérience en cabinet de conseil, j’ai réalisé un audit de Clinitex sur mon temps libre. J’ai regardé les projets dormants, les leviers de développement… Puis, je l’ai présenté au comité de direction qui l’a beaucoup apprécié et m’a proposé de rejoindre l’entreprise. Mon arrivée s’est donc faite par l’appel des collaborateurs, ce qui est plus intéressant au niveau de la légitimité que d’arriver en tant que “fils à papa” ! J’ai fait toutes mes gammes dans l’entreprise en tant qu’agent de propreté, chef d’équipe, manager, commercial, directeur d’agence, directeur des opérations… J’ai fini par reprendre la direction générale en 2017 et mon père a pris sa retraite en 2019. Je lui ai racheté l’entreprise il y a 3 ans.

      A.F : Est-ce qu’il y a des événements spécifiques ont particulièrement marqué votre vision du travail ?

      E.P : Mon cursus scolaire, inspiré de la méthode Montessori, m’a beaucoup inspiré. On ne réalise pas, en tant qu’enfant, à quel point elle est différente des autres types de pédagogie. Devenu père, j’ai moi-même mis mes enfants dans une école suivant la même pédagogie. J’ai alors remarqué de fortes similitudes avec le management que nous pratiquons chez Clinitex. Par exemple, le mantra de Maria ​​Montessori est “Aide-moi à apprendre par moi-même”. C’est une pédagogie qui prône l’autonomie, la responsabilisation, le mentorat, l’esprit d’équipe et le respect des règles. Chez Clinitex, nous avons posé un cadre de valeurs similaire, en collaboration avec tous les salariés. Parmi les autres parallèles, je pense aussi au rôle des formations ainsi qu’à la place du manager, qui est dans une posture de coach et de facilitateur. On retrouve ce type de système dans les écoles Montessori, dans la relation enfant - enseignant.

      Ces similitudes m’intéressent beaucoup et je suis justement en train de les théoriser. J’aimerais publier un livre sur le sujet, car il n’en existe pas encore. Il n’existe pas non plus de ressource sur la mesure de la pertinence du modèle Montessori. Cela est notamment dû à sa philosophie même : elle ne mesure pas les performances des enfants mais leur bonheur. Chez Clinitex, nous faisons quelque chose de similaire : le bien-être des collaborateurs est l’un de nos indicateurs clés et nous permet de vérifier la pertinence de notre modèle. Ce système crée également un cercle vertueux : un salarié heureux fera un client satisfait et un client satisfait fera du chiffre d’affaires avec nous.

      Nous avons par exemple l’habitude de faire des petits gestes pour nos collaborateurs en cas d’erreur de notre part sur les fiches de paie. Cela peut arriver car nos agents de nettoyage sont payés selon un volume horaire. Si une erreur est constatée, nous leur envoyons une boîte de chocolats avec un mot manuscrit pour nous excuser. On part d’une erreur pour en faire quelque chose de positif !

      “Nos nouveaux collaborateurs viennent pour nos valeurs, ils sentent qu’elles sont vraiment incarnées.”

      A.F : Beaucoup de choses font écho à notre philosophie d’entreprise chez Alan. Pour revenir aux valeurs Clinitex, comment les avez-vous mises en place ?

      E.P : La première démarche en ce sens date de 2011. Nous avons travaillé sur une vision à 10 ans, en étant accompagné. Nous avons organisé beaucoup de séminaires et d’ateliers. Nous nous sommes également beaucoup inspirés des techniques de l'ethnomarketing, afin de repérer et d’adapter des bonnes pratiques observées en dehors de Clinitex. De ce travail est sortie notre première vision : “Heureux de rendre service pour faire de Clinitex la plus belle boîte de France”. Nous avons obtenu la certification B-Corp 5 ans après et nous avons décidé de faire évoluer notre vision. Nous sommes passés d’un prisme assez centré sur nous-même à : “Faire de Clinitex la plus belle boîte pour le monde”. Au cours de ce travail, nous avons relevé 7 valeurs : confiance, engagement, responsabilité, respect, audace, bonne humeur et esprit d’équipe.

      En 2023, lors de la reconduite de la démarche B-Corp, nous avons interrogé nos 3800 agents de propreté et 200 collaborateurs “supports” sur nos valeurs. Nous en avons gardé 5 : confiance, engagement, esprit d’équipe, audace et bonne humeur. Depuis, nous avons encore plus précisé notre positionnement, jusqu’à nous placer davantage sur une raison d’agir que sur une raison d’être. Notre vision actuelle est : “Rendre le monde plus beau”. Nous incluons dans cette vision tous les niveaux de notre activité : des bureaux plus propres après le passage de nos agents, des salariés plus heureux de travailler chez Clinitex, des clients plus satisfaits de leur partenaire de nettoyage…

      A.F : Comment cette vision se traduit-elle pour vos collaborateurs ?

      E.P : Notre vision constitue la première ligne du contrat de travail. Cela n’a pas vraiment de valeur juridique, mais il y a bien un contrat moral avec les collaborateurs. C’est aussi un point qui est systématiquement abordé lors des entretiens d’embauche. J’ai d’ailleurs récemment rencontré les 25 nouveaux arrivants chez Clinitex et ils et elles sont tous unanimement venus pour nos valeurs ! Ils ont senti qu’elles étaient vraiment incarnées, dès les entretiens. Ces valeurs constituent donc véritablement le socle commun de l'entreprise. Nous prenons aussi régulièrement le pouls avec un baromètre trimestriel. Très concrètement, nous demandons à nos collaborateurs de noter chaque valeur de 1 à 5 : par exemple, comment ressentez-vous l’audace dans votre travail au quotidien ? Si la moyenne des réponses est mauvaise, je demande aux responsables d’agences de réfléchir à des actions à mettre en place et aux comportements attendus pour incarner chacune de ces valeurs.

      Il faut être conscient que chaque valeur ne veut pas forcément dire la même chose pour tout le monde. L’audace, par exemple, n’aura pas la même signification pour un agent de propreté, un comptable, un juriste…. C’est pourquoi nous travaillons sur la déclinaison des comportements attendus selon les métiers.

      A.F : Est-ce également pour vous une façon de vous rapprocher du modèle Montessori ?

      E.P : Oui car, comme le modèle Montessori est très respectueux du rythme des enfants, je souhaite que Clinitex soit au rythme des collaborateurs. J’ai théorisé cela à travers la création d’un “Human Plan”, à l’inverse du Business Plan. Je ne suis pas un grand partisan de cet outil, car je trouve qu’on peut lui faire dire ce que l’on veut selon la formule Excel choisie. Selon moi, sortir un chiffre ou un objectif de croissance du chapeau ne fait pas vraiment rêver les collaborateurs.

      Dans le cadre de l’”Human Plan”, j’ai monté Clin’Boost, une académie des souhaits et rêves professionnels des collaborateurs. Le but était de les interroger sur leurs moteurs, leurs valeurs personnelles, ce qui les fait lever le matin… Nous avons fait des études graphologiques, cherché du contenu introspectif, organisé des visites dans nos agences pour que les collaborateurs puissent se rencontrer…

      Je n’avais pas d’attente particulière sur un résultat précis. L’idée n’était pas que chaque participant sorte avec un projet très défini. Je voulais juste que les collaborateurs puissent explorer leurs possibilités et soient en capacité de créer leur plan de carrière eux-mêmes. Et les résultats sont là : nous avons doublé notre nombre d’agences. Étant donné que cela implique des investissements importants, c’est assez “costaud” dans notre secteur. Je pense que le Business Plan le plus ambitieux ne nous aurait jamais permis d’atteindre ce type de résultats. Aujourd’hui, nous sommes sur un plateau et nous allons maintenant faire grandir ce que nous avons initié. Nous allons maintenant régénérer nos ressources, ce qui va sûrement faire émerger d’autres envies chez nos collaborateurs. Cela va donner une nouvelle impulsion à l’entreprise.

      Une organisation horizontale, fondée sur l’auto-évaluation

      A.F : Quelle est votre vision managériale ?

      E.P : Les directeurs d’agence animent les équipes opérationnelles sous la forme de coaching et de facilitateur. Leur rôle consiste à animer les équipes, partager des expériences, mettre en lien les bonnes personnes…

      Au siège, nous sommes 40 collaborateurs avec une organisation horizontale. Les différentes équipes ont des animateurs fonctionnels, comme des chefs d’orchestre : un responsable comptable qui anime l’équipe comptabilité par exemple. Après, il n’y a pas de hiérarchie.

      A.F : S’il n’y a pas de hiérarchie, comment les collaborateurs sont-ils évalués ?

      E.P : Nous avons instauré un système d’auto-évaluation dans nos entretiens professionnels. C’est encore un parallèle avec la méthode Montessori : l’enfant ne reçoit pas de feedback direct de l’enseignant mais des outils pour réaliser sa propre évaluation. En remarquant soi-même ses réussites, on fait preuve d’autonomie et on sort de la relation classique de dominant et de dominé. Chaque collaborateur s’auto-évalue et partage sa propre évaluation aux personnes de son choix dans l’entreprise : un pair, une personne du siège, un collaborateur travaillant dans une agence…

      Le temps d’échange est sans feedback. En effet, comment un comptable pourrait faire un bon feedback à un juriste ? Nous fonctionnons plutôt avec un effet miroir. Par exemple, dans le cas d’un collaborateur qui évoque un succès mais dont personne n’est au courant, nous allons le challenger sur son ressenti pour le laisser faire son travail introspectif. À la fin des entretiens, il n'y a pas d'objectifs fixés mais nos collaborateurs doivent prendre un engagement pour l’année prochaine : faire plus de sport, communiquer davantage sur leur travail, rentrer plus tôt le soir… L’engagement à prendre n'est pas forcément en lien avec un gain de productivité. Tout cela passe beaucoup par l’oral, nous n’avons pas une culture de l’écrit. C’est cohérent avec notre valeur de bonne humeur : les collaborateurs ont besoin de se voir, de créer des moments conviviaux et se parler directement pour avancer. Pour le moment, notre système d’auto-évaluation ne concerne pas nos agents d’entretien mais nous aimerions aussi leur proposer. Cela permettra plus de transparence dans les échanges, les collaborateurs pourront s’exprimer plus librement que s’ils ne parlaient qu’à leur manager.

      “40 % de mes salariés sont multi-employeurs et 80 % d’entre eux placent Clinitex en employeur préféré.”

      A.F : Comment mesurez-vous le niveau de bien-être de vos collaborateurs ?

      E.P : Nous mesurons le niveau de bien-être des collaborateurs avec un cabinet extérieur, pour garantir l’anonymat et la liberté de parole. Ici, cela ne concerne que les agents de propreté, pas les collaborateurs des services supports. Concrètement, le cabinet interroge annuellement près de 500 agents en posant des questions larges et variées. Par exemple : comment je me sens dans mon travail ? Ai-je les moyens de bien travailler ? Suis-je respecté par mon manager et mon client ?

      Nous restituons ensuite les résultats à nos agents de propreté. Dernièrement, 86 % de nos collaborateurs se déclaraient heureux ou très heureux. Cette mesure fait partie de nos 3 indicateurs phares : le bien-être des collaborateurs, la satisfaction des clients et notre seuil de prospérité - il s’agit de notre niveau de performance économique, inspiré de Pierre Rahbi.

      A.F : Quels sont les prochains grands projets de Clinitex ?

      E.P : Je ne suis pas la meilleure personne pour le savoir ! Je pars toujours des envies et appétences des collaborateurs. Nous sommes déjà à deux promotions de Clin’Boost, notre académie. La constitution d’une nouvelle promotion représentera sûrement notre prochain projet. Je rêve d’ouvrir notre académie à nos 4000 agents de propreté, mais cela demande beaucoup de préparation. Si on ouvre cette porte sans être capable de répondre à leurs aspirations, ce serait extrêmement décevant pour eux. Je préfère attendre le jour où nous serons prêts à accueillir tous leurs souhaits en termes de développement.

      A.F : Avez-vous envie de développer certaines choses en termes de marque employeur ?

      E.P : Oui, nous sommes justement en train de refondre toute notre identité de marque : logo, charte graphique, couleurs… Je pense vraiment que Clinitex n’a pas la notoriété de son ADN. Ce que nous faisons en interne ne se sait pas ou peu. J’aimerais que nos singularités soient davantage connues en externe, non pas pour attirer encore plus de clients mais pour rendre le monde plus beau ! Je souhaite que le nettoyage soit notre outil pour avoir de l’impact environnemental, sociétal et humain auprès de nos écosystèmes et partenaires. C’est notre ambition. B-Corp est d’ailleurs venu certifier l’impact de nos actions. Nous avons récemment listé 150 projets liés à notre raison d’agir, ce qui nous donne une belle feuille de route.

      A.F : Quels sont vos principaux enjeux RH en ce moment ? Avez-vous des difficultés à recruter ou à fidéliser vos talents ?

      E.P : Côté siège, nous n’avons jamais subi de turn-over. C’est un indicateur très important pour moi car il valide notre modèle de travail et notre style de management. C’est d’autant plus important que nous n’évaluons pas dans le secteur d’activité le plus attractif, celui du nettoyage. Il y a cependant plus de volatilité pour nos agents de propreté. Les horaires décalés en découragent certains. Mais, il y a une particularité dans ce métier : la continuité de l’emploi. Si une entreprise décide de passer par un autre partenaire pour le nettoyage de ses bureaux, il y a un transfert automatique des agents de nettoyage. Ils sont en effet rattachés à un site et non pas à une entreprise. 40 % de mes salariés sont multi-employeurs : ils travaillent pour Clinitex et d’autres entreprises. Nous leur avons demandé qui était leur employeur préféré : 80 % d’entre eux ont répondu Clinitex. J’ai déjà entendu des agents de propreté qui se réjouissaient de notre arrivée sur un marché.

      Publié le 03/12/2023

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