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Devenir une entreprise à mission dans le secteur des pompes funèbres — Entretien avec Clémentine Piazza (inmemori)

Après avoir accompagné des millions personnes endeuillées grâce à son service d’hommage en ligne, inmemori s’est spécialisé en 2022 dans le secteur des pompes funèbres. L’entreprise est une société à mission qui se distingue des autres acteurs historiques par sa vocation de service à la personne, et son approche profondément humaine.

Devenir une entreprise à mission dans le secteur des pompes funèbres — Entretien avec Clémentine Piazza (inmemori)
Mis à jour le
1 octobre 2024
Mis à jour le
1 octobre 2024
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Clémentine Piazza, fondatrice et dirigeante d’inmemori, incarne cette vision novatrice. À la tête de 70 collaborateurs, elle partage dans cette interview sa vision d’une entreprise à mission, les spécificités d’inmemori, ses méthodes pour innover et l’importance qu’elle donne à la mobilisation de tout un écosystème. 

“Il est important de faire rayonner notre mission au-delà de l’entreprise.”

Aurélie Fliedel : Bonjour Clémentine ! Pour commencer, pouvez-vous nous présenter inmemori ? 

Clémentine Piazza : Je suis la CEO d’inmemori, une société de pompes funèbres qui organise les obsèques, les rites et les adieux aux proches décédés. 

Nous prenons tout en charge d’un point de vue administratif pour les familles afin de les soulager et leur permettre de se consacrer à l’essentiel : l’adieu à leur proche. 

Nous réalisons des cérémonies d’adieu signifiantes, qui ressemblent à la personne disparue et répondent aux souhaits des familles. Cela peut par exemple passer par un geste d’adieu personnalisé, des rites religieux ou laïques, des témoignages… Nous mettons tout en œuvre pour permettre aux familles d’être fiers de l’adieu rendu à leur proche. 

Inmemori est une société à mission car l’accompagnement des proches qui font face à un décès est en soi une mission de société. Je pense d’ailleurs que la manière dont nous disons adieu à nos morts en dit beaucoup sur notre société. 

Chaque collaborateur d’inmemori est fier de cette mission. Elle est également bien perçue par les familles que nous accompagnons car elles nous recommandent souvent après une cérémonie. Elles ont été sensibles à notre savoir-faire et notre savoir-être.

A.F : Comment vous êtes-vous intéressée au milieu des pompes funèbres ? Quel a été le déclencheur ?

C.P : D’abord, l’utilité face à la souffrance. J’ai besoin d’être dans l’action quand quelqu’un souffre. Je me retrouve dans cette grande famille du soin qui préfère agir et accompagner, même si c’est difficile. 

Je pense aussi à une certaine forme de colère face à la façon dont sont organisées les obsèques en France aujourd’hui. Dans les métropoles, le marché est dominé par deux grands acteurs. Dans ce contexte de quasi-monopole, les prix sont élevés, l’expérience est abîmée, les personnes déçues… Or, ces cérémonies d’adieu marquent pour la vie et elles sont très importantes sur le chemin de deuil. Il était donc pour moi important d’adresser ce sujet. 

A.F : Comment arrivez-vous à impliquer vos collaborateurs pour faire vivre votre mission d’entreprise tous les jours ?

C.P : Nous formons chaque personne qui nous rejoint avec l’Académie inmemori. Elle forme au savoir-être face à des personnes endeuillées, au savoir-faire, à la justesse, à l’écoute, à l’empathie… C’est à ce moment que nos collaborateurs s’imprègnent de notre mission pour la faire vivre à chaque étape de l’accompagnement. 

L’Académie a aussi un rôle externe. En effet, il est important de faire rayonner notre mission au-delà de l’entreprise. Nous sommes le premier centre de formation dédié à proposer des modules sur l’accompagnement de la mort, les obsèques et le deuil en France. 

A.F : Diriez-vous que ces efforts en termes de formation sont un atout pour recruter ?

C.P : Oui, bien sûr ! Nous innovons beaucoup sur le plan du recrutement. Il me tenait à cœur d’ouvrir inmemori à des parcours variés, venant d’horizons différents. Je pense aux conseillers funéraires bien sûr mais également à d’autres secteurs qui peuvent être proches du nôtre comme celui du soin, de l’hospitalité, de l’hôtellerie… Nous recrutons tous ceux qui ont la vocation de l’accompagnement.

L’Académie permet à chacun de se sentir équipé pour devenir “accompagnant” et d’être à la hauteur des attentes des familles.

“Nous sommes des soignants du deuil.”

A.F : Être confronté en permanence au deuil doit être difficile pour certaines personnes. Comment les accompagnez-vous ?

C.P : C’est un métier vocation mais le pas à franchir pour travailler dans ce secteur peut être difficile en effet. Souvent, les personnes n’osent pas. Chez inmemori, nous essayons de leur donner le courage nécessaire en balisant le parcours avec un onboarding très engagé qui leur permet de comprendre notre culture. L’Académie leur donne également confiance lors de leurs premiers accompagnements. 

Je pense que nos collaborateurs sont des héros qui, chaque jour, accompagnent la souffrance du deuil, trouvent les mots et savent anticiper des souhaits qui ne sont  parfois même pas formulés par les familles. 

A.F : Comment la dimension de “care” d’inmemori se traduit en interne pour les collaborateurs ? 

C.P : Nous avons mis en place des groupes de parole car il est nécessaire de faire circuler la parole et les émotions pour être en capacité d’accompagner. Ce sont des groupes de parole qui se réunissent une fois par semaine. S’il le souhaite, chaque coéquipier peut choisir de raconter quelque chose qui l’a marqué dans son travail. Chacun doit être à l’écoute des autres, ce qui crée beaucoup de solidarité. 

Nous avons aussi mis en place des rituels de management pour prendre soin des ressentis de nos collaborateurs et les remercier. Je pense par exemple au rituel de cérémonie, qui consiste pour l’accompagnant (la personne chargée d’accompagner la famille du défunt) à raconter sur un canal de communication interne les moments forts après chaque cérémonie. Il choisit ce qu’il a envie de raconter : un geste d’adieu particulier, un mot de la famille, une chanson diffusée qui l’a touchée… Cela nous permet de prendre ce temps de connexion avec chaque collaborateur et de laisser une trace écrite de chaque cérémonie. 

A.F : Quelles sont vos valeurs en tant qu’entreprise et comment sont-elles incarnées ? 

C.P : Je dirai que nous avons quatre valeurs fondamentales. 

L’écoute tout d’abord. Chez inmemori, vous ne verrez jamais quelqu’un couper la parole. C’est une écoute engagée, durant laquelle nous essayons aussi de comprendre ce qui n’est pas dit verbalement. Parfois, nous reformulons ce qui a été dit par les familles pour être sûr d’avoir compris les souhaits et bien les réaliser ensuite. 

La deuxième valeur, c’est l’empathie. Nous sommes des soignants du deuil, donc c’est capital. C’est une compétence que nous évaluons chez nos candidats en les mettant en situation. Par exemple, en dernière étape de recrutement, nous les emmenons en rendez-vous avec les familles et sur le lieu des cérémonies. Nous observons la justesse de leurs mots, leur façon de parler de la mort et du deuil… Cette étape est très importante pour arriver à cerner l’empathie d’une personne.

La troisième valeur concerne le respect, dans toutes ces dimensions : le respect des volontés du défunt et de sa famille, des rites religieux et laïques, des émotions, du temps nécessaire aux personnes…

Enfin, le dévouement est notre quatrième valeur. Nous faisons vraiment des “extra-miles” pour les familles que nous accompagnons. Je pense par exemple à une famille qui n’était pas sûre d’être capable de voir le cercueil de leur proche. Nous comprenons très bien que cela soit un objet difficile, même s’il est nécessaire. Vu que cette famille était très sensible à la nature, nous avons recouvert le cercueil de végétation et de mousse. Cela nous a pris des heures et c’était superbe. C’est dans ces moments-là que nous démontrons vraiment notre dévouement aux familles. 

"Repenser la temporalité pour innover."

A.F : Comment innovez-vous au quotidien chez inmemori ?

C.P : Nous innovons sur tous les aspects du métier, notamment avec nos maisons inmemori par exemple. Plutôt que des boutiques, ce sont des maisons funéraires où nous accueillons les familles pour écouter leurs souhaits et organiser les obsèques. Nous avons fait le choix de ne pas les placer dans des boutiques, comme cela est souvent le cas dans le secteur. 

Nous avons une vision forte : les pompes funéraires ne sont pas un métier de commerçants mais un métier de services à la personne. Nos maisons sont comme de beaux appartements en étage élevé pour préserver l’intimité des familles et créer un moment apaisant. Aussi, au lieu de leur présenter un catalogue interminable, comme si nous étions des vendeurs, nous ne leur présentons que trois cercueils afin de faciliter leur choix.

Pour innover en permanence, nous plaçons les familles au cœur de nos réflexions car elles nous donnent la direction. Nous observons les cérémonies pour comprendre ce qu’elles nous disent ainsi que les signaux faibles pour toujours être à la hauteur de leurs besoins. 

A.F : En tant que dirigeante, comment arrivez-vous à prendre le recul nécessaire ?

C.P : Je suis attentive à deux types de temporalité. D’abord à celle du quotidien, car nous devons être à la hauteur de notre mission chaque jour. Je pense aussi beaucoup à la vision long terme, à “dans 10 ans” car c’est en se libérant d’un temps contraint qu’on peut mieux innover.

En effet, en ne pensant qu’à moyen terme (à l’horizon de 2 ans par exemple), on se limite forcément à son contexte actuel et à la taille de son entreprise. Je trouve que  penser à long terme est beaucoup plus libérateur. 

Je me place donc souvent dans cette temporalité du temps long, en me disant par exemple “quel est mon rêve pour les obsèques en France dans 10 ans ?”. Il arrive souvent que cette vision se réalise plus rapidement que prévu, car penser ainsi nous a justement fait prendre la bonne direction.

Très concrètement, je pense par exemple au travail que nous menons actuellement sur la prévoyance, c’est-à-dire anticiper les obsèques. Ce n’est pas notre cœur de métier mais, dans 10 ans, j'aimerais que chacun puisse anticiper ses obsèques et en parler avec ses proches. Nous nous sommes rendu compte que, lorsqu’on accompagne une famille dans laquelle il y a eu ces discussions, le moment est plus doux pour les proches et plus juste pour le défunt. 

C’est un autre métier mais nous pensons d’inmemori a un rôle à jouer.  Nous sommes donc en train de réfléchir à cette offre car beaucoup de familles nous la demandent.

A.F : Comment réconciliez-vous ce temps long avec la performance à court terme ? 

C.P : Je me demande constamment comment faire pour que nos collaborateurs soient pleinement dévoués aux familles. Cela passe par le choix d’une certaine organisation, des bons outils, le partage de notre vision… 

Par exemple, je souhaite que mes équipes aient accès à des outils performants pour bien accompagner les familles. Pour cela, nous avons développé notre propre logiciel métier, au lieu d’opter pour un logiciel déjà existant sur le marché funéraire. C’est un choix qui a demandé des investissements importants et qui, sur le papier, aurait pu coûter cher à l’entreprise.

Or, grâce à cet outil, je sais que l’équipe est parfaitement coordonnée, que la réglementation est respectée et qu’un devis peut être établi en 5 minutes (et non en 45 minutes comme cela peut être le cas pour ces sujets). Cette rapidité permet de rassurer les familles d’un point de vue financier et d’avancer plus rapidement avec elles sur ce qui compte vraiment, à savoir les rites et les souhaits pour la cérémonie. 

“Il est intéressant de partir du postulat que l’échec est inévitable et de travailler sur notre attitude.”

A.F : Avez-vous connu des échecs significatifs en tant que leader que vous aimeriez partager ?

C.P : Je pense qu’on échoue en permanence en tant que personne humaine ! Ce qui m’intéresse dans l’échec, c’est de comprendre ce qu’il s’est passé. Je suis très à l’aise avec l’échec, notamment de par mon expérience du tennis en compétition. Il faut apprendre à traverser ces situations et à en tirer des conclusions pour progresser. 

En tant que leader, on peut se tromper sur une stratégie, un recrutement, un service qui ne trouve pas ses utilisateurs… En revanche, quand je me coache moi-même, j’essaye de travailler ma réaction et de faire en sorte que cela ne se reproduise plus. 

Je trouve qu’il est intéressant de partir du postulat que l’échec est inévitable et de travailler sur notre attitude. 

A.F : Comment peut-on se coacher ? Comment adopter une certaine distance critique par rapport à soi-même ?

C.P : Je pratique un exercice qui s’appelle l’écriture automatique. 

Nous sommes tous traversés chaque jour par des milliers de pensées et notre cerveau s’applique à nous conforter dans ce qui nous fait le plus de bien. Ce sont nos croyances, parfois des vérités qui nous arrangent. 

Par exemple, en cas d’échec, le cerveau peut avoir tendance à contourner notre remise en question. Nous avons aussi tendance à avoir plus de pensées négatives que positives et à mettre plus d’émotions que d’objectivité dans nos réflexions. 

Quand je ne me sens pas complètement alignée ou que j’éprouve un certain brouillard mental, je me donne 5 minutes et j’écris tout ce qui me passe par la tête. Souvent, je me rends compte qu’il y a plus d’émotions que de faits objectifs !

Puis, j'essaie d’écrire ce qui s’est factuellement passé. Cela me permet de “nettoyer” des fausses pensées et, parfois, d’identifier les racines de ce trouble. Cet exercice me permet de m’interroger sur un ressenti et de trouver la bonne énergie pour établir un plan d’action. 

“Quand on est engagé dans une mission, on n’est jamais seul.”

A.F : Quelles sont les personnes qui vous inspirent le plus dans votre travail ?

C.P : En ce moment, il y a trois personnes qui m’inspirent beaucoup. Je pense d’abord à Michel Bettan, le vice-président de l’agence de communication Havas, pour son talent à mettre en lien les personnes et son sens de l’engagement public. 

La deuxième personne est Yann Bubien, l’ancien directeur du CHU de Bordeaux. Il a accompagné de nombreux ministres de la santé et est aujourd’hui Directeur Général de l’Agence régionale de santé Paca. Je suis très sensible à son sens de la beauté face à la souffrance. Il a notamment créé le métier de “designer hospitalier” au CHU de Bordeaux pour concevoir des lieux dans lesquels les patients se sentent plus apaisés, grâce à l’agencement, l’architecture et aux objets.

La troisième personne est une grande dame qui a beaucoup œuvré pour les personnes en fin de vie : Michelle Rustichelli, ancienne directrice de la Maison de Santé Marie Galène à Bordeaux, une maison de soins palliatifs. Elle est aussi très active au sein de la SFAP, la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs. Je suis admirative de la manière dont elle embarque les équipes avec leadership et bienveillance, dans des endroits où les conditions de travail sont parfois difficiles. 

A.F : Pour terminer, qu’est-ce qui vous semble particulièrement important à partager avec d'autres entreprises à mission ?

C.P : Je pense que prendre soin de son écosystème est très important en tant que société à mission.

Chez inmemori, nous sommes par exemple allés à la rencontre de salariés d’Ehpad en leur demandant leurs besoins face au décès des résidents. Se mettre en lien avec le maillon d’avant c’est le respecter et mieux “faire mission” ensemble. 

Quand on est engagé dans une mission, on n’est jamais seul. Il y a toujours des interlocuteurs avant et après nous. Par exemple, après inmemori, il y a plein d’associations incroyables d’accompagnement au deuil qui peuvent prendre le relais. 

Les intégrer dans notre écosystème va vraiment dans le sens de notre vision : libérer la parole autour de la mort et du deuil, faire en sorte que les endeuillés se sentent moins seuls et que chacun puisse mieux préparer cette étape fondamentale de la vie. 

Il s’agit d’un vrai sujet de santé publique et de société. Il est indispensable d'intégrer beaucoup d’autres parties prenantes pour bien le cerner et faire changer les choses.

Publié le 01/10/2024

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