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Responsabiliser les collaborateurs dans un contexte d’hypercroissance — Entretien avec Pierre-Arnaud Grenade

Pierre-Arnaud, CEO de ba&sh, dévoile comment la marque, fondée par deux amies de longue date, se distingue par une culture d’entreprise valorisant la responsabilisation des équipes et leurs liens interpersonnels.

Responsabiliser les collaborateurs dans un contexte d’hypercroissance — Entretien avec Pierre-Arnaud Grenade
Mis à jour le
5 janvier 2024
Interviews
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5 janvier 2024
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Après avoir travaillé au sein du groupe Beaumanoir et de Princesse Tam Tam, Pierre-Arnaud Grenade rejoint en 2015 l’entreprise de prêt-à-porter ba&sh en tant que CEO. La marque se distingue par une culture d’entreprise mettant en avant la responsabilisation des équipes, ainsi que leurs liens interpersonnels. Elle est d’ailleurs en grande partie inspirée par son équipe fondatrice, constituée de deux amies de longue date. 

Au programme :

  • “L’amitié des fondatrices constitue le socle de la culture de ba&sh”
  • “Un projet non scalable est un non-projet”
  • “Nous mettons les collaborateurs dans une position dans laquelle ils deviennent un peu fondateurs de l’entreprise”
  • “On ne peut pas proposer à nos collaborateurs un parcours de carrière, mais ils savent qu’ils vont grandir avec l’entreprise”
  • “Le magasin est un véritable cerveau”

“L’amitié des fondatrices constitue le socle de la culture de ba&sh”

Jean-Charles Samuelian : Bonjour Pierre-Arnaud ! Pourriez-vous expliquer comment s’est construite la culture d’entreprise de ba&sh ?

Pierre-Arnaud Grenade : Tout part de l’amitié des deux fondatrices, Barbara Boccara et Sharon Krief. Dès la création de l’entreprise, en 2003, leur amitié a marqué le fondement de la culture de ba&sh, qui est encore aujourd’hui très centrée sur le sens du collectif.

Quand l’entreprise a grandi, ce fut d’ailleurs un challenge. On s’est demandé comment conserver et aussi développer cette importance du relationnel au centre de notre culture et comment promouvoir l’empathie et le développement de relations interpersonnelles. 

Beaucoup de liens d’amitié se sont créés au sein de l’entreprise. Ces liens favorisent la performance et l’efficacité au sens large car, quand on est en confiance, les choses vont naturellement plus vite. Il n’y a pas de faux-semblants.

On retrouve aussi cette importance de la relation dans nos magasins. Nous souhaitons que nos clientes se souviennent de leur passage en boutique et de nos équipes comme des personnes sympathiques et à l’écoute. Même si elles n’achètent rien, elles doivent avoir passé un moment agréable et avoir envie de revenir. 

JC.S : Vous parliez de l’amitié entre collaborateurs. Peut-elle parfois être un frein, notamment au moment de prendre des décisions difficiles ? Comment allier amitié et sens de la performance ?

PA.G : Pour moi, l’amitié est plus un “facilitateur” dans la prise de décision. Ces relations nouées permettent notamment de se sentir en confiance pour aborder des discussions difficiles et se dire les choses.

Aussi, même si tous nos collaborateurs ne sont pas amis, il est vrai qu’il règne dans l’entreprise une atmosphère positive générale. Les personnes s’acceptent, y compris dans les moments compliqués. Il y a beaucoup de confiance dans l’autre et il n’y a pas de “star”, c’est le collectif qui nous rend performant.

Ce contexte nous oblige à être très factuel dans nos prises de décisions, notamment avec l’utilisation d’instruments de mesure très précis. Nos décisions se basent beaucoup sur la data, ce qui est essentiel pour limiter les biais et les effets d’“influence amicale”. Trouver l’équilibre entre de bonnes relations et l’objectivité est primordial. 

“Un projet non scalable est un non-projet.”

JC.S : Quels sont les autres piliers de votre culture d’entreprise ?

PA.G : Au-delà du relationnel qui est l’élément central de notre culture, l’agilité est également l’un de nos piliers. On peut mettre beaucoup de choses derrière ce terme un peu fourre-tout, c’est pourquoi nous l’avons défini avec 4 A.

Le premier A, c’est l’aspiration. Notre entreprise doit faire rêver et donner du sens à nos salariés. De 2003 à 2014, l’équipe fondatrice a posé les bases et a travaillé sur le “quoi” de notre organisation. Puis, de 2015 à 2022, nous avons vraiment travaillé sur le “comment” : comment devenir une marque digitale, comment devenir une marque internationale, engagée… Aujourd’hui, nous travaillons sur le “pourquoi” car, arrivé à une certaine taille, il est important de travailler sur le sens que nous donnons à nos métiers, ceux de la mode. Cela a du sens d’habiller les gens, notamment les femmes. Leurs vêtements leur donnent confiance et donnent plus d’impact à leurs actions. 

Le deuxième A, c’est l’authenticité. Pour nous, il s’agit de l’alignement entre nos actes et nos valeurs. Nos relations sont très authentiques et nous recrutons les salariés avant tout pour leur personnalité et leur capacité à être “vrais”.

Le troisième A, c’est l’anticipation. Entendre les signaux faibles du marché grâce à la donnée ou la curiosité de nos équipes, recueillir les feedbacks, écouter ce que nos clientes nous disent en magasin… Tout cela nous rend agiles. Je m’intéresse beaucoup aux feedbacks de nos clientes et je lis tous les NPS (Net Promoter Score) chaque semaine. Je me focalise particulièrement sur les avis négatifs et ceux qui peuvent paraître isolés. Je passe aussi tous mes jeudis en magasin afin d’observer le comportement des clientes. C’est d’ailleurs à ces moments-là que j’ai mes meilleures idées ! Sortir de son bureau permet de mettre en perspectives et de prendre du recul.

Enfin, l’autonomie occupe une place particulièrement importante dans notre culture. Si vous ne donnez aucune autonomie à vos filiales, c’est compliqué. L’autonomie est très liée au droit à l’erreur que vous donnez à vos salariés. Personnellement, je pense qu’on apprend en se trompant. On demande juste à nos collaborateurs de se tromper vite pour ensuite rebondir !

JC.S : ba&sh est devenue une véritable marque internationale. Comment la culture d’entreprise s’est-elle adaptée ?

PA.G : Au-delà d’avoir rendu l’anglais obligatoire au sein de notre comité de direction, nous exigeons désormais que chaque projet soit scalable. Si un projet ne l’est pas, c’est un non-projet. 

Par exemple, nous avons implémenté une solution omnicanale permettant d’obtenir une vision unifiée du stock magasin et du stock entrepôt. Cette solution permet à nos magasins d’expédier des pièces vers d’autres magasins et vers nos clientes web. Initiée en Europe, cette solution sera déployée également aux US et Chine. 

JC.S : Avez-vous une expression qui résume votre culture ?

PA.G : Born Collective est notre tagline et résume notre histoire mais nous avons de nombreux mantras, Feminity is Power en est un. 

Il ne faut pas seulement entendre “femme” dans “feminity” (même si notre équipe est composée à 85 % de femmes — comité de Direction inclus). C’est une posture avec laquelle nous abordons tous nos projets : moins d’enjeux de pouvoir, un vrai souci de la qualité des relations, une empathie sincère, une habilité à rassembler les personnes qui va au-delà du charisme…

Après, il est important pour moi de ne pas imposer notre culture à nos équipes. Elle n’est pas envahissante. Chacun conserve sa propre identité et, au final, c’est la somme des individualités qui forme le groupe. Stronger Together est un autre de nos mantras.

JC.S : Dans quels engagements sociétaux votre entreprise s’inscrit-elle ?

PA.G : Notre entreprise a toujours été très investie dans le soutien aux femmes. Nous avons soutenu pendant de nombreuses années la lutte contre le cancer du sein et, plus récemment, contre les violences faites aux femmes. 

Nous avons également pris un véritable virage en 2017 dans notre engagement environnemental. Nous avons fait un gros travail sur nos pratiques, nos matières, nos fournisseurs, notre gestion des boutiques, la réparation de vêtements, la seconde main… Aujourd’hui, nous ne prenons plus aucune décision sans calcul de son impact global (carbone, biodiversité, droits humains…).

Enfin, sur les sujets de diversité et d’inclusion, nous avons mis en place un comité en interne qui nous fait bouger sur plusieurs sujets, dont les tailles des mannequins présentées sur notre site et notre communication.

Aussi, en 2020, en partenariat avec l’UNESCO, ce qui était une première mondiale, nous avons formé 1 200 collaborateurs à la détection des discriminations et à la compréhension des mécanismes du racisme. L’objectif était de permettre à nos salariés américains, chinois et européens de comprendre pour mieux prévenir le racisme. La formation a pris la forme de 8 masterclass et était animée par des ethnologues. Nous avons énormément appris. 

“Nous mettons les collaborateurs dans une position dans laquelle ils deviennent un peu fondateurs de l’entreprise.”

JC.S : Vous parliez de l’importance de l’autonomie dans votre culture d’entreprise. Comment la favorisez-vous concrètement en interne ?

PA.G : Cela commence dès le recrutement. Nous faisons attention à recruter des gens qui sauront se responsabiliser, se challenger et évoluer dans un contexte d’hypercroissance. L’intelligence relationnelle et émotionnelle sont hyper importantes à cette étape.

Pour le recrutement en magasin, nos collaborateurs suivent un guide d’entretiens. En général, ils sont capables d’identifier ces qualités chez des candidats très rapidement.

Aussi, nous avons la chance d’avoir une équipe RH qui comprend vraiment notre culture d’entreprise, et qui sélectionne les profils qui présenteront un réel fit. Cela nous nous aide énormément.

Personnellement, lors de recrutements clés, je rencontre systématiquement les candidats. J’aime bien faire deux entretiens : dans le premier, je pose beaucoup de questions puis, dans le second, je suis plus dans l’observation. On peut en apprendre beaucoup sur la personne en observant son langage corporel par exemple. Cela me permet aussi de déceler ce qui est construit ou non dans son discours.

Une fois recrutées, nous encourageons la prise d’initiative auprès de chacun des membres de nos équipes, et nous valorisons toujours les idées même s’il peut nous arriver de ne pas leur donner suite. Une idée peut sembler inadaptée au départ puis avec quelques itérations devenir géniale ! Être créatif est un must have pour ba&sh et c’est dans nos gênes. Mais au-delà je crois qu’être inventif, innovant y compris dans les départements «  non-créatifs » a pour terreau l’autonomie et donc le droit de se tromper. C’est le pendant de la liberté qui existe au sein de la marque.

JC.S : Avez-vous mis en place des initiatives pour encourager la prise d’initiatives ?

PA.G : Oui, je pense notamment à notre Challenger Club. Nous formons pour 18 mois une promotion composée de 10 collaborateurs de l’entreprise, recommandés par nos managers.

Ils viennent d’équipes et de sites très différents. Nous pouvons ainsi avoir dans la même promotion des personnes qui viennent de l’informatique, du stylisme, du marketing… 

Ils mènent d’abord des projets très concrets pour l’entreprise, puis, ils interviennent au CODIR et accèdent à nos agendas de décisions. Ils nous interrogent et nous challengent sur les décisions que nous prenons.

Aussi, plus largement et au quotidien, nous faisons participer nos cadres aux prises de décisions et nous sommes très transparents. Sur la base du volontariat, tous nos salariés peuvent assister à nos “Breakfast & Curious” hebdomadaires dans lesquels nous parlons des projets en cours. Ces petits déjeuners sont de vraies sources d’idées additionnelles pour tous les projets de l’entreprise.

Cela nous permet de responsabiliser les personnes et de les mettre dans une position où ils deviennent eux-mêmes un peu fondateurs de l’entreprise. Vous pouvez par exemple être responsable d’une boutique et donc, quelque part, être le fondateur de ba&sh dans la ville ou le quartier concerné. Pareil pour le dirigeant d’un pays, vous êtes le fondateur de la marque dans ce pays. 

JC.S : Vous disiez également qu’il est important de faire rêver ses salariés. Comment faites-vous concrètement ?

PA.G : Dans le secteur de la mode, les produits sont tout d’abord source de fascination. La communication, la croissance, le succès de nos produits font aussi rêver.

Mais je pense qu’il est surtout très important de partager les résultats de l’entreprise à nos salariés. Avant toute chose, les personnes veulent que leur travail soit reconnu. Dire que leur travail a payé motive et, quelque part, fait rêver. C’est d’autant plus essentiel que notre secteur est très compétitif et fait de relations humaines.

“On ne peut pas proposer à nos collaborateurs un parcours de carrière, mais ils savent qu’ils vont grandir avec l’entreprise.”

JC.S : Comment adaptez-vous l’organisation et les postes de votre entreprise à ce contexte d’hyper-croissance ? Proposez-vous un parcours de carrière à vos collaborateurs ?

PA.G : Nous avons construit notre organisation sur les personnes, pas l’inverse. Nous n’avons jamais cherché à faire rentrer les personnes dans des moules. 

Par conséquent, quand ils quittent l’entreprise ou changent de poste, il faut forcément repenser l’organisation. Mais ce n’est pas du tout un drame car l’entreprise a de toute façon vocation à évoluer en continu en fonction des projets ! En raison du contexte, il faut surtout savoir changer vite et ne pas s’enkyster dans une organisation trop rigide.

Cette philosophie permet à nos collaborateurs de bouger, d’évoluer à l’international, de changer de métier… On ne peut pas leur proposer un parcours de carrière précis, mais ils savent qu’ils vont grandir avec l’entreprise et se développer.

JC.S : Cela peut d’ailleurs être un atout. À trop rigidifier son organisation, on freine la productivité et l’innovation.

PA.G : C’est vrai. Je pense qu’il ne faut surtout pas rester figé dans des schémas organisationnels. Il faut savoir repenser son organisation en permanence et au gré des projets. 

Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur le digital ces dernières années mais, étant donné que notre enjeu est aujourd’hui de devenir complètement omnicanal, nous allons repenser notre organisation. Nous allons notamment plutôt travailler de façon transversale par use case client  en se focalisant sur le recrutement et le repeat.

Cette aptitude à faire bouger notre organisation rend au final le process moins coûteux, moins impressionnant pour les équipes et moins contraignant.

Cependant, il y a juste une exception. Nous devons fixer un minimum notre organisation pour nos collaborateurs qui travaillent en boutique. Il faut savoir construire des parcours solides et des organisations qui perdurent pour eux, pour leur donner de la visibilité et ainsi les fidéliser. 

JC.S : Comment gérer au quotidien cette pluralité de profils ? Comment adapter la culture ?

PA.G : Nous avons des collaborateurs au profil très varié, entre les personnes qui travaillent en boutique, les collaborateurs au siège,les stylistes et modélistes, les équipes financières ou logistiques par exemple… Mais tous nos collaborateurs partagent notre culture et une certaine idée de l’engagement envers l’entreprise. 

Bien entendu, nos collaborateurs ont tous des façons différentes de penser. Certains sont plus dans le rationnel, d’autres dans la créativité. Mais, nous trouvons toujours entre eux des jonctions. Le marketing fait par exemple le pivot entre les créatifs et les équipes commerciales. 

Et puis, au final, ce sont toujours nos clientes qui ont le dernier mot. C’est par elles que nous savons si les décisions prises étaient les bonnes ou non.

JC.S : Comment favoriser cette culture du client pour tous vos salariés ? 

PA.G : Nous travaillons avec des persona qui détaillent les profils de 4 clientes types. Tous nos collaborateurs les connaissent. Au départ, il s’agissait d’une construction marketing assez conceptuelle, mais nous sommes en train d’aller plus loin. 

Nous souhaitons d’abord estimer le poids de chaque persona parmi nos clientes en scannant l’intégralité de notre base de données. Nous allons aussi mettre en place un rapide questionnaire pour nos clientes en magasin afin de mieux les connaître et leur proposer un service adapté.

“Le magasin est un véritable cerveau.”

JC.S : Comment avez-vous vu le métier du retail évoluer ces dernières années ? 

PA.G : Le retail est devenu totalement omnicanal, ce qui est une transformation post-COVID je dirai. Aujourd’hui, 20 % du business de nos magasins est omnicanal. Cela passe par exemple par la commande d’articles en magasin, la gestion des retours, la prise rendez-vous avec les clientes… 

Le magasin est donc au cœur de nos stratégies, c’est un véritable cerveau. C’est pourquoi il faut donner des outils aux personnes en magasin pour qu’ils puissent prendre de bonnes décisions.

Nous devons aussi nous interroger sur le sens du métier et nous demander ce que cela veut dire d’habiller quelqu’un aujourd’hui. Je suis persuadé qu’il ne faut pas voir la vente de vêtements comme une simple transaction. Le vendeur doit aider la cliente à trouver une pièce dans laquelle elle se sent bien et qui deviendra  peut-être son vêtement préféré. Elle vivra peut-être des moments importants dans ce vêtement : un mariage, un entretien… Il y a une vraie relation affective avec le vêtement.

Dans un monde d’hyperconsommation, nous nous positionnons sur le credo “acheter moins mais acheter mieux”. Nos clientes achètent des vêtements de qualité qui vont durer et se charger d’une histoire. 

JC.S : Je vois bien comment ce message peut fonctionner dans les pays anglo-saxons. Cependant, en France, nous pouvons avoir une position assez cynique et considérer ce type de positionnement comme “bullshit”. Qu’en pensez-vous ?

PA.G : Il suffit d’écouter nos clientes parler de la marque, elles le vivent ! En les écoutant, nous comprenons que nos vêtements font partie de leur intimité. Il n’y a pas de cynisme. Nos équipes magasin vivent cela au quotidien, c’est la beauté de leur métier. Ils ont conscience de participer à quelque chose de joyeux et d’utile pour nos clientes. 

Il faut cependant rester hypervigilant car ce lien de confiance avec nos clientes est à travailler en permanence. Rompre cette confiance peut être plus grave qu’un simple échec de vente, nous avons une forme de responsabilité. Une réputation, la confiance, cela s’entretient.

Publié le 26/05/2023

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