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La recherche d'impact et de sens comme boussole au quotidien — Entretien avec Nicolas Heintz (Big Mamma)

Nicolas Heintz, DRH du groupe Big Mamma, démontre la puissance de l'alignement de la croissance de l'entreprise sur le bien-être humain.

La recherche d'impact et de sens comme boussole au quotidien — Entretien avec Nicolas Heintz (Big Mamma)
Mis à jour le
3 avril 2024
Interviews
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3 avril 2024
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Dans un monde où les affaires et les valeurs humaines semblent souvent aller dans des directions différentes, Big Mamma, comptant aujourd’hui 24 restaurants en Europe, a trouvé la recette parfaite de l'harmonie. Premier groupe de restauration certifié B-Corp en Europe, sa politique RH a non seulement redéfini les normes du secteur, mais aussi démontré la puissance de l'alignement de la croissance de l'entreprise sur le bien-être humain. Nous nous sommes entretenus avec Nicolas Heintz, DRH du groupe. Il nous parle notamment  du rôle essentiel des managers dans la diffusion de la culture d’entreprise et de l'importance du développement personnel et de la promotion interne des jeunes talents. Chez Big Mamma, la mission du groupe "Change people’s lives with pizza" s’incarne également auprès de leurs salariés.

Au programme :

Du secteur de l’industrie à la restauration

La définition d’un “terrain de jeu” pour plus de clarté

“Ma grande fierté est de voir que 80 % de nos managers sont issus de la promotion interne.”

“Évoluer dans une organisation qui recherche l’impact en permanence, l’assume et la communique est très structurant pour nos collaborateurs.”

Du secteur de l’industrie à la restauration

Aurélie Fliedel : Bonjour Nicolas ! Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours ? 

Nicolas Heintz : J’ai toujours été fasciné par les dynamiques collectives et leur fonctionnement.

J’ai étudié la psychologie des organisations avant de compléter mon parcours avec un master RH en droit social. J’ai ensuite travaillé dans d’importantes structures industrielles, comme Siemens et Valeo. Travailler dans le secteur industriel m’attirait beaucoup car on y rencontre des personnes très différentes. J’étais aussi très intéressé par la façon dont des initiatives personnelles peuvent émerger dans un environnement très structuré. 

J’ai été DRH d’une usine à Amiens de 1000 personnes, puis d’un centre R&D dans l’automobile et, enfin, de 8 usines réparties en Europe produisant des systèmes d’éclairages. 

Durant ces expériences, je me suis construit professionnellement au contact de directeurs d’usines et de responsables d’unités de production. Ils m’ont énormément inspiré de par leur expérience, leur force de travail et leur capacité d’analyse. 

Il y a deux ans, j’ai rejoint Big Mamma en tant que Directeur des Ressources Humaines. À ce moment-là, le groupe comptait déjà 17 restaurants, en France, Espagne et Angleterre. L’enjeu était de structurer la fonction RH, autour d’une mission d’entreprise déjà très bien définie et partagée. 

Depuis, le groupe a ouvert 7 nouveaux restaurants et s’est déployé en Allemagne. L’objectif principal est maintenant de renforcer davantage la culture et la valeur du groupe, dans un contexte de très forte croissance. 

La définition d’un “terrain de jeu” pour plus de clarté

A.F : Comment résumeriez-vous votre vision des Ressources Humaines ? 

N.H : Il y a deux blocs selon moi. Il faut tout d’abord définir un cadre pour les collaborateurs. Par définition du cadre, j’entends le “terrain de jeu” dans lequel ils évoluent. Quelles sont les règles ? Quelle place donner aux rituels ? Et quelle est celle de l’entrepreneuriat, des initiatives, de l’innovation et de la création ? Déterminer ce terrain de jeu pour chacun est, selon moi, un premier bloc extrêmement important.

Le deuxième bloc consiste à spécifier l’accompagnement des collaborateurs. Quel est le rôle du management dans l’organisation ? Le manager doit-il être un formateur, un “do-er” ou une personne qui facilite la prise d’initiative ? Cette définition est très importante car elle diffère dans chaque entreprise et, au sein d’une même organisation, en fonction des niveaux.

Définir ces deux blocs apporte plus de clarté aux collaborateurs et efface les zones d’incertitude. Cela leur apporte aussi plus de tranquillité car ils savent précisément comment ils vont être accompagnés.

A.F : Comment connectez-vous votre culture d’entreprise à vos enjeux business ?

N.H : En tant qu’entreprise, notre but premier doit être de développer le groupe et d’être profitable. Cela ne doit pas être tabou ! Si nous voulons mener un grand projet humain, il faut nécessairement un grand projet d’entreprise avec. Développer de l’humain, c’est donc développer un business model sain.

Pour cela, je crois beaucoup à la ritualisation de nos cycles de management et de nos process. 

Je vais prendre l’exemple d’un sportif pour illustrer mon propos. Pour réussir, il doit suivre des cycles d’échauffement très cadrés et “timés” ce qui lui permet de s’entraîner tout en évacuant toute une charge mentale inutile. Il a ainsi plus de temps et d’énergie disponibles pour se développer et réussir des exploits.

A.F : Avez-vous formalisé cette ritualisation ?

N.H : Nous avons posé nos principes sous la forme d’un playbook. Pour le rendre digeste et accessible à tous, nous avons limité sa longueur à une dizaine de pages. Il nous permet de nous appuyer sur un cadre commun. 

Même s’il faut évidemment prendre en compte l’individualité de chaque situation, la ritualisation nous permet de rythmer nos interactions et nos moments collectifs. Il indique de façon très concrète à nos collaborateurs nos valeurs, nos façons d’interagir avec le management, les actions à effectuer toutes les semaines, les sujets qui doivent être abordés chaque mois, trimestre et année, notre culture du feedback “à la sauce Big Mamma”. Nous avons également différents comités de pilotage pour faire vivre notre culture d’entreprise au quotidien : au niveau d’un restaurant, d’un groupe de restaurants, d’un pays ou du groupe. 

“Ma grande fierté est de voir que 80 % de nos managers sont issus de la promotion interne.”

A.F : Comment avez-vous défini la fonction du manager au sein de Big Mamma ?

N.H : Chez Big Mamma, un manager est un collaborateur qui réussit et qui fait réussir les autres. Au quotidien, cela se concrétise par quatre piliers indispensables pour chaque manager, qu’il ou qu’elle soit directeur de restaurant, chef, chef barman ou manager de salle.

Le premier pilier concerne les qualités de leadership. Chaque manager doit être en capacité d’animer un collectif. 

Pour le deuxième pilier, on considère qu’un manager doit être  un “P&L master”, c’est-à-dire avoir conscience que chacune de ses actions a des impacts sur la santé financière du groupe. 

Nous pensons également qu’un bon manager a une vraie culture de l’hospitalité, ce qui se traduit par un sens du service et une grande attention portée aux détails. C’est notre troisième pilier. 

Enfin, en dernier pilier, un manager doit obligatoirement être orienté “qualité” dans tout ce qu’il fait : dans le cadre qu’il met en place, ses actions et ses routines. 

A.F : Avez-vous formé vos managers à ces quatre piliers ?

N.H : Oui, nous avons construit des formations et accompagnements pour chaque niveau managérial. Nous en avons actuellement quatre : junior manager, assistant, manager et senior manager. 

Qu’ils soient promus en interne ou qu’ils viennent de l’extérieur, tous nos managers suivent une formation sur nos quatre piliers durant les six premiers mois de leur prise de fonction.

Nous avons mis en place ce système il y a 18 mois et nous en sommes aujourd’hui à notre cinquième session. Nous mixons les fonctions durant les sessions et nous proposons des formations en mode “promo”.

A.F : Diriez-vous que vos managers sont majoritairement issus de la promotion interne ou qu’ils viennent de l’extérieur ?

N.H : Chez Big Mamma, l’une de nos grandes fiertés est de voir que 80 % des managers sont issus de la promotion interne. C’est un KPI que nous suivons particulièrement car il symbolise bien l’une de nos valeurs : la méritocratie

C’est aussi une illustration très concrète de notre mission d’entreprise : “Change people’s lives with pizzas”. Pour notre staff, cela signifie que travailler chez Big Mamma peut changer leur carrière, avec des pizzas ! 

La restauration reste le seul secteur dans lequel on peut faire des carrières incroyables avec beaucoup d’envie, de travail et un sourire. J’aimerais beaucoup pouvoir décerner un diplôme de management à nos directeurs et directrices, chefs, managers… Un diplôme qui serait reconnu à l’échelle européenne. C’est un projet sur lequel nous travaillons et qui verra le jour d’ici début 2024 je pense. 

A.F : Comment abordez-vous le sujet de la santé mentale chez Big Mamma ?

N.H : Tout en restant humble, je pense que ce sujet était déjà abordé depuis longtemps par beaucoup d’entreprises, sans qu’elles le conceptualisent vraiment. Il faut cependant reconnaître qu’il y a eu une sorte de déclic grâce à des publications et prises de position d’entreprises, à la suite du COVID-19. 

Je pense que chaque entreprise a sa propre définition de la santé mentale. Chez Big Mamma, cela se traduit par une responsabilité particulière envers nos jeunes salariés. 

La moyenne d’âge de nos salariés se situe autour des 26 ans. Ils ont un fort degré de mobilité géographique et quittent parfois leur pays d’origine pour travailler chez nous. Ils rejoignent en quelque sorte une deuxième famille en arrivant chez Big Mamma. Il s’agit aussi parfois d’un premier job. 

Cela doit amener à réfléchir à qui nous sommes en termes d’entreprise et à quoi s’exposent nos jeunes collaborateurs. Nous sommes tenus de les accompagner et de leur donner un cadre clair pour qu’ils s’épanouissent.

Nous devons faire l’effort de comprendre leur quotidien en gardant en tête que chaque collaborateur a des besoins et un vécu différent. Les réalités sont effectivement très diverses d’un collaborateur à un autre. Il faut donc sans cesse se questionner, comprendre le sens que les personnes donnent à leur travail, faire des enquêtes d’engagement… 

C’est indispensable avant de se lancer dans la création de sa boîte à outils RH. L’offre est tellement pléthorique qu’il faut vraiment savoir en amont ce qu’on cherche à mettre en place. Sinon, le risque est grand d’utiliser les mauvais outils. 

A.F : Même si on le retrouve dans beaucoup d’entreprises, le sujet du turn-over est inhérent au secteur de la restauration. Comment l’appréhendez-vous chez Big Mamma ?

N.H : Je n’adopterai pas un discours démagogique en disant que nos collaborateurs peuvent par exemple aménager à 100% leurs horaires de travail, car notre modèle fait que nous sommes ouverts tous les jours aux heures de déjeuners et de dîner. Qu’il s’agisse du soir ou du week-end, venir dans l’un de nos restaurants doit être le meilleur moment dans la journée de nos clients ! Nous attendons donc de notre staff qu’il soit présent - au top - et qu’il les accueille avec le sourire. 

Pour cela nous sommes extrêmement attentifs à l’organisation du travail de nos salariés et, quand cela est possible, nous leur donnons le plus de visibilité possible sur leur planning afin qu’ils puissent organiser leur vie personnelle. Nous avons pris des engagements forts d'adaptation des rythmes de travail et d'accompagnement quand un.e membre de l'équipe devient parent. Nous sommes depuis cette année le premier groupe de restauration signataire du Parental Challenge. 

“Évoluer dans une organisation qui recherche l’impact en permanence, l’assume et la communique est très structurant pour nos collaborateurs.”

A.F : Vous avez évoqué la place du sens à donner au travail. Quelle place lui donnez-vous au quotidien ?

N.H : Nous réfléchissons constamment à cette question du sens. Quel sens donner à son travail ? À quel point donne-t-on la possibilité aux collaborateurs d’avoir un impact local, social et collectif ? C’est un sujet qui revient beaucoup actuellement et il ne faut absolument pas l’ignorer ! 

Chez Big Mamma, nous avons des engagements forts, notamment à travers le label B-Corp que nous avons obtenu en 2018. Cela va au-delà d’un simple trophée, c’est un devoir d’exigence en termes d’impact. 

À mon niveau, en tant que DRH, je pense notamment aux impacts sociaux et à la façon dont nous influençons le milieu de la restauration avec nos modèles de management et d’inclusion. Comme je l’ai déjà mentionné, ils sont très tournés vers les jeunes : comment leur donner un premier job ? Comment leur transmettre des compétences qu’ils garderont toute leur carrière ?  En travaillant chez nous, ils vont faire leurs armes, développer des outils et des principes de vie qui seront structurants pour la suite.

Je pense qu’évoluer dans une organisation qui recherche l’impact en permanence, l’assume et la communique est très structurant pour nos collaborateurs.

A.F : Comment mesurez-vous cette “exigence d’impact” ?

N.H : Cela passe par des KPIs très tangibles. On mesure notamment les efforts faits en termes de formation, d’intégration, de mobilité interne, le nombre de femmes présentes à des postes de managers… 

Nous avons aussi des objectifs sur le cadre de travail : turn-over, taux d’absentéisme, taux de satisfaction et d’engagement relevés dans nos enquêtes semestrielles… Ces KPIs nous permettent de rendre notre feuille de route concrète. 

C’est capital car notre modèle humain est calé sur notre modèle business. Si l’entreprise ne se développe pas, le modèle humain est moins capable de suivre et vice-versa. 

Par exemple, nous avons récemment ouvert deux restaurants à Londres, un à Hambourg et un bientôt à Milan. Dans ces quatre restaurants, les managers et les chefs viennent de l’interne et travaillaient donc dans d’autres restaurants du Groupe. En évoluant, ils laissent leur place à d’autres collaborateurs qui progressent. Le modèle humain se nourrit donc de façon vertueuse par le développement du business et la croissance. 

A.F : Quels sont vos prochains défis chez Big Mamma en termes de RH ?

N.H : Je pense qu’il faut réfléchir à l’évolution de la culture dans une entreprise qui grandit : quelles sont ses composantes présentes depuis le début et qui continuent à vivre aujourd’hui ? Que faut-il renouveler ? Quelle place donner au collectif ? Quelle est la place de la voix des fondateurs ? Quel est le rôle des Managers? Comment déléguer pour répartir et distribuer les efforts ? Comment faire vivre les mêmes rituels et principes dans plusieurs pays ? Je n’ai pas de réponse absolue à ces questions, mais cela ne doit pas être un angle mort. Il faut écouter, questionner et tester un certain nombre de choses. 

L’internationalisation est un moment propice pour y réfléchir. Je pense d’ailleurs que c’est à ce moment qu’on ne peut plus tricher : si la culture n’est pas sincère et qu’elle ne se vit pas vraiment au sein de l’entreprise, des dysfonctionnements vont forcément apparaître. 

De mon côté, je suis persuadé que la culture d’entreprise ne peut être portée que par le plus grand nombre. 

Publié le 05/10/2023

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