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      “Revaloriser nos métiers par plus d’autonomie” — Entretien avec Guillaume Leenhardt

      Guillaume Leenhardt est fondateur et gérant de la société d'aide à la personne A Vos Côtés. Pour remédier à de fortes difficultés de recrutement, il a mis en place une organisation du travail à contre-courant des normes du secteur.

      “Revaloriser nos métiers par plus d’autonomie” — Entretien avec Guillaume Leenhardt
      Mis à jour le
      5 janvier 2024
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      Mis à jour le
      5 janvier 2024
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      Travaillant depuis plus de 15 ans dans l’aide à la personne, Guillaume Leenhardt est fondateur et gérant de la société A Vos Côtés. L’entreprise compte actuellement plus de 200 salariés et est basée à Montpellier. Pour remédier à de fortes difficultés de recrutement, il a mis en place une organisation du travail à contre-courant des normes du secteur, en misant notamment sur l’autonomie des auxiliaires de vie. Il s’agit selon lui d’un impératif pour revaloriser des métiers indispensables et en forte pénurie. En effet, on estime que la France comptera en 2030 un million de personnes âgées à aider en plus.

      Au programme :

      • L’utilité sociale comme boussole

      • “L’enjeu n’était pas tant de trouver des clients que des salariés”

      • “Si notre secteur ne change pas, la situation qui nous attend est malheureusement dramatique.”

      • L’autonomie pour valoriser les métiers

      L’utilité sociale comme boussole

      Aurélie Fliedel : Bonjour Guillaume ! Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours ? 

      Guillaume Leenhardt : J’ai fait des études dans le but de devenir trader, en salle de marché. À la fin de mon DESS, lors de mon dernier stage, j’ai finalement compris que cela n’était pas pour moi. Je voulais donner plus d'utilité sociale et de sens à mon métier. 

      Je me suis donc réorienté et j'ai travaillé en tant qu’auditeur pendant trois ans chez PwC, un cabinet qui m’a fait découvrir la gestion d’entreprise. Ne souhaitant pas y faire ma carrière, j’ai exploré plusieurs pistes. Je cherchais à avoir plus d’impact dans mon travail, mais je ne savais pas vraiment par où commencer.

      A la suite de cette expérience chez PwC, j’ai été volontaire à l’étranger pendant un an, dans le cadre d’un programme de solidarité internationale. Puis, à mon retour, je me suis intéressé aux questions démographiques et au “papy-boom”. Ces sujets m'ont interpellé, j’avais vraiment envie de travailler dans ce secteur. En plus, la loi Borloo sur la programmation pour la cohésion sociale venait tout juste de passer. Cette loi visait notamment à développer le secteur de l’aide à la personne. 

      Dans cette optique, je me suis installé à Montpellier et j’ai créé A Vos Côtés pour aider les personnes âgées en 2006. Naïvement, j’avais occulté la question des salariés. Je pense que c’est d’ailleurs assez courant pour les créateurs d’entreprise ! Beaucoup n’anticipent pas assez ce sujet et peuvent vite se retrouver épuisés avec la gestion des salariés. J’ai vite découvert que mon métier consistait, à la fois, à aider les personnes âgées et à accompagner des salariés.

      Cela faisait sens pour moi d’accompagner cette population de salariés, souvent fragile et précaire. Même si cela est complexe, c’est très stimulant au quotidien.

      En 17 ans, A Vos Côtés s’est peu à peu développé. Nous comptons aujourd’hui 220 salariés et nous intervenons dans un rayon de 20km autour de Montpellier. Nous travaillons principalement dans l'aide aux personnes âgées, mais nous accompagnons aussi les personnes en situation de handicap. Plus accessoirement, nous effectuons des missions de ménage pour des familles. 

      “L’enjeu n’était pas tant de trouver des clients que des salariés”

      A.F : Vous parliez du manque d’anticipation sur l’accompagnement des salariés. Pouvez-vous étayer un peu plus ce sujet ?

      G.L : Il y a 15 ans, au début de l’entreprise, je pensais bêtement qu’il fallait "surveiller” les employés pour que le travail soit bien fait. Mais j'ai rapidement compris que ce n'était pas la bonne posture pour attirer et garder des salariés motivés. Le problème s'est d'ailleurs rapidement posé à moi : l'enjeu était plus de trouver des salariés que des clients.

      Notre secteur souffre d’un manque de moyens et se retrouve aujourd’hui dans une impasse complète. Pour vous donner un ordre d’idée, la part des plus de 65 ans, qui s’élève à 20% actuellement, atteindra 29 % en 2070 et la France va compter plus d’un million de personnes âgées à aider en plus d’ici 2030. 25 000 aides à domicile ont manqué l’été dernier. En parallèle, nous allons devoir faire face au départ à la retraite d’une grande partie de nos effectifs. 

      Je me suis donc demandé : comment donner envie à des personnes de travailler dans ce secteur ? Comment attirer des personnes qui vont s’épanouir dans ce métier ?

      A.F : Qu’avez-vous mis en place pour attirer des salariés dans votre entreprise ?

      G.L : Je me suis inspiré d’une entreprise néerlandaise qui propose des soins à domicile : Buurtzorg. J’ai découvert leur système organisationnel très responsabilisant en 2018.

      Dans notre secteur, l’organisation est généralement très pyramidale, avec le responsable d’agence, les responsables de secteurs et leurs assistants et les armées d’auxiliaires de vie qui exécutent les ordres sans poser de questions. 

      Buurtzorg proposait un modèle très différent, avec des équipes autonomes, l’absence de chef et une forte cohésion inter-équipe. J’ai donc cherché à adapter ce modèle à mon entreprise. 

      Désormais, nos collaborateurs peuvent s’organiser comme ils le souhaitent en équipe, du moment qu’ils respectent un certain cadre et qu’ils s’appuient sur la structure pour tous les sujets “back-office” (facturation, paye, formation, RH…). Les équipes sont animées par des coachs qui les accompagnent et sont facilitateurs. 

      S’ils trouvent que cela est nécessaire, nos auxiliaires de vie peuvent aussi faire appel à des “conseillers aux familles”. Ce sont des “Care Managers” qui peuvent par exemple proposer aux bénéficiaires un réaménagement de leur habitat. Peu de structures ont adopté ce mode d’organisation en France, même si cela se développe de plus en plus. 

      A.F : Quand avez-vous lancé ce projet de réorganisation de votre structure ?

      G.L : Nous avons lancé nos premières équipes début 2021, nous sommes aujourd’hui à mi-parcours je dirais. C’est un travail qui prend du temps car il bouleverse tout le fonctionnement de la structure. Ce changement n’est par exemple pas évident pour les auxiliaires de vie qui ont toujours été habitués à être des exécutants et ne devaient pas remettre en question les décisions prises pour eux par la hiérarchie.

      Pour moi, l’objectif derrière cette nouvelle organisation est d’attirer des personnes qui n’envisagent pas encore de devenir auxiliaires de vie. C’est un métier qui peut intéresser des salariés qui se posent des questions sur le sens de leur travail car il a une forte utilité sociale. Il peut aussi attirer des personnes dont les compétences deviennent obsolètes avec l’émergence de l’IA. 

      “Si notre secteur ne change pas, la situation qui nous attend est malheureusement dramatique.”

      A.F : Comment se traduit l’application de ce modèle dans votre entreprise au quotidien ?

      G.L : C’est très concret pour nos collaborateurs ! Ils peuvent choisir leurs clients, les collègues avec qui ils veulent travailler, leurs méthodes de travail… 

      Pour moi, cette autonomie est vraiment alignée avec les nouvelles attentes des salariés d’aujourd’hui, mais aussi de demain. C’est particulièrement important pour attirer les nouvelles générations. 

      Cela peut sembler utopiste, surtout dans un secteur qui n’était jusque-là pas du tout reconnu. Mais, justement, c’est pour cela qu’il est très important de revaloriser ce métier d’auxiliaire de vie car leur rôle est essentiel pour nos bénéficiaires. Les auxiliaires de vie les aident en effet à réaliser des tâches essentielles ou les font à leur place quand ils ne le peuvent plus : préparation des repas, faire les courses, faire la toilette, s’habiller, se lever, se coucher, manger, se déplacer… 

      Quand je me pose la question “par qui ai-je envie d’être aidé si je me retrouve en situation de dépendance ?”, je préférerais avoir à mes côtés des auxiliaires de vie autonomes, correctement formées et motivées par leur travail. 

      À chaque fois que les équipes s’organisent, revoient leur fonctionnement ou se posent une question, nous leur demandons systématiquement de respecter un cadre à trois dimensions :

      • Le respect du bénéficiaire, de son projet de vie et de sa satisfaction

      • Le respect de l’équipe et de l’intérêt général avant l'intérêt individuel

      • Le respect de l'équilibre financier de l’équipe

      Si ces trois dimensions sont prises en compte, alors la décision qui sera prise sera la bonne. Je laisse les collaborateurs libres d’agir sur tout le reste. 

      C’est très différent du fonctionnement de la plupart des autres structures. Leur système est très déresponsabilisant et, au final, entraîne beaucoup d’absentéisme, d’arrêts maladies et d’accidents du travail. 

      Dans notre entreprise, les auxiliaires de vie sont autonomes sur leurs décisions. Ils peuvent même choisir de se rendre ou non chez un bénéficiaire. Ils savent cependant qu’ils devront prendre leurs responsabilités et trouver une solution de remplacement en équipe. 

      La gestion des congés s’est aussi considérablement simplifiée. Auparavant, nous demandions à nos salariés de choisir leurs jours de congé un an en avance, le temps de nous organiser. Aujourd’hui, du moment qu’ils arrivent à se remplacer et qu’ils sont satisfaits du fonctionnement, ils ont la main libre sur leurs congés.

      A.F : Cette réorganisation a-t-elle impacté votre organigramme ?

      G.L : Avant de mettre en place notre nouveau système, mon organisation était très déséquilibrée entre les postes d’encadrants et le reste de mes salariés.

      Environ 10% de ma masse salariale était composée d’encadrants, soit 20 postes pour 200 autres employés. Ce n’était clairement pas tenable sur la durée : nos coûts fixes “non-productifs” étaient de plus en plus élevés, au détriment des salaires des auxiliaires de vie qui réclamaient des augmentations - à juste titre. 

      À titre d’exemple, Buurtzorg compte 15 000 salariés et seulement 50 personnes travaillant au siège. Le système y est beaucoup plus horizontal et plus équitable pour les salariés qui produisent le travail. 

      J’aspire à ce type de modèle, ce qui nous met parfois à la limite du droit du travail. Mais je pense que les innovations devancent toujours le droit. L’important pour moi est que les salariés décident pour eux-mêmes en équipe, dans le respect du cadre et du projet de vie du bénéficiaire. Ils prennent le contrôle sur leur vie professionnelle !

      A.F : Voyez-vous déjà l’impact de cette nouvelle organisation sur l’attraction de nouveaux collaborateurs ?

      G.L : Nous ne sommes encore qu’au tout début, c’est encore trop tôt pour le dire. 

      Je pense aussi que cela va prendre du temps. Il faut d’abord voir si nos collaborateurs sont tous capables de travailler avec ce système, ce qui n’est pas évident.

      Mais, je vois quand même déjà un effet sur le recrutement. Quand nous sommes sur des salons type “job datings”, on constate que les gens sont intéressés par notre démarche fondée sur l’autonomie.

      Je suis personnellement persuadé de l’intérêt de cette stratégie. Si notre secteur ne se remet pas en question et ne change pas, la situation qui nous attend est malheureusement dramatique. Nous risquons d’assister à de véritables drames sociaux avec un très grand nombre de personnes devenues dépendantes qui seront sans aucun soutien et accompagnement..

      Pour y remédier, nous devons donc changer en profondeur et transformer de fond en comble l’image que l’on se fait du métier d’auxiliaire de vie. Sinon, on ne s’en sortira pas. 

      Après, j’ai conscience des difficultés de notre secteur à aller vers une organisation du travail “à la carte”. Cette adaptation est complexe, car nous devons prendre en compte de nombreuses contraintes vis-à-vis de nos clients mais aussi vis-à-vis de la réglementation. 

      Notre activité est très encadrée, notamment par des autorités de tutelle et par des obligations de continuité de service. Nous nous trouvons donc dans un étau entre l’envie de proposer plus de personnalisation à nos salariés et le cadre réglementaire très strict qui nous est imposé. 

      A.F : Avez-vous formalisé votre culture d’entreprise ?

      G.L : J’ai résumé succinctement le projet, sous la forme d’une feuille de route. 

      Je reconnais que nous ne sommes pas très bons en termes de communication employeur. C’est d’ailleurs l’une des difficultés majeures de notre secteur. 

      Notre marge est très faible, car notre masse salariale représente 90% de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc très peu de moyens à allouer à des projets de communication ou de marque employeur. Nous allons néanmoins retravailler notre site d’ici ces prochains mois.

      L’autonomie pour valoriser les métiers

      A.F : À terme, pensez-vous que la réorganisation du travail va permettre de revaloriser le métier d’auxiliaire de vie ?

      G.L : Oui ! L’État met beaucoup de moyens sur la table dans de nombreux secteurs (sanitaire, éducation, …) mais on voit bien que cela ne fonctionne pas. Je pense profondément que l’individu évolue différemment selon l’organisation du travail qui lui est proposé et que nous pourrons grandement améliorer la situation de notre secteur en travaillant là-dessus. 

      Par la force des choses, je pense que le métier d’auxiliaire de vie va être mieux pris en compte car ce qui est rare a de la valeur. Je pense que leur statut va s’améliorer, tant en termes d’image que de salaire. La société va devoir enfin se montrer reconnaissante pour ces métiers jusqu’à maintenant peu valorisés, du fait de leur caractère indispensable.

      A.F : Avez-vous mis en place d’autres actions en ce sens ?

      G.L : Je fais partie de l’équipe fondatrice des Trophées des Services à la Personne en Occitanie.

      L’objectif est double : cet événement nous sert à valoriser nos métiers et à communiquer. 

      Ce n’est pas un concours inter-entreprises, nous ne nous contentons pas de nous distribuer des trophées ! Nous sommes notamment accompagnés par le réseau GRETA, qui fait passer des examens écrits et pratiques à nos salariés. Cela crée une sorte d’émulation au niveau des structures qui culmine avec une soirée de remise de prix qui met en valeur nos salariés. Nous profitons aussi de ce moment pour communiquer auprès du grand public, sur les réseaux sociaux, en radio, dans la presse écrite…

      On voit de plus en plus d’initiatives similaires se monter partout en France. Nous allons prochainement uniformiser tout cela pour monter un événement à l’échelle nationale. Ce sera une bonne façon d’attirer les projecteurs sur nos métiers.

      L’idée est d’arriver à mettre en lumière nos métiers, comme ce qui a été fait pour les métiers de la cuisine. Ils étaient jusqu’ici très dévalorisés, mais des concours et émissions télévisées ont réussi à redorer leur image.

      A.F : Pour finir, au-delà de la revalorisation du métier d’auxiliaire de vie, comment voyez-vous les futures évolutions de votre secteur ?

      G.L : Nous avons récemment vu le boom de plateformes de services à la personne, mettant en relation des indépendants avec des clients. C’est une concurrence que je ne crains pas particulièrement car leur modèle n’est pas adapté aux services réguliers qui sont proposés dans notre secteur. En effet, le client et l’aidant n’ont aucun intérêt à passer par ces plateformes car ils peuvent s'organiser entre eux directement. 

      Par contre, nous sommes aujourd’hui en vraie concurrence avec des structures mandataires. Contrairement à des entreprises comme la nôtre, qui ont des salariés et des obligations réglementaires et juridiques à respecter, ces structures ne prennent pas d’employés et profitent de la convention collective du particulier employeur. Les aidants sont engagés par les particuliers. Leur taux horaire semble certes plus intéressant mais ils ne sont pas du tout protégés de la même manière. 

      Par exemple, en cas d’accident du travail, si l’un de nos salariés, qui a 15 ans d’ancienneté, est déclaré inapte par la médecine du travail, il a droit à une compensation très confortable pour combler le manque à gagner. Avec une structure mandataire, sa compensation serait beaucoup plus basse car indexée sur le peu d’ancienneté accumulée chez le particulier, où l’accident a eu lieu, et non pas sur l’ancienneté globale. 

      C’est un exemple parmi d’autres mais il est important de le préciser car notre secteur cumule beaucoup d’accidents du travail - plus que celui du bâtiment. 

      Cependant, la différence entre un mandataire et un prestataire comme nous, reste difficile à faire comprendre aux clients, mais aussi à nos salariés.

      Publié le 17/03/2023

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