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      “Mon job consiste à créer les conditions de l'intelligence collective et l'émergence d'un futur désirable. Cela passe par la confiance, l'intuition et l'émotion.” — Entretien avec Claire Guelton

      Claire est au cœur des transformations organisationnelles de Leroy Merlin: chargée de la construction de la vision de l’entreprise à 10 ans, elle fonde sa démarche sur l’implication de tous les salariés de l’enseigne, favorisant confiance et autonomie.

      “Mon job consiste à créer les conditions de l'intelligence collective et l'émergence d'un futur désirable. Cela passe par la confiance, l'intuition et l'émotion.” — Entretien avec Claire Guelton
      Mis à jour le
      5 janvier 2024
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      Mis à jour le
      5 janvier 2024
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      Depuis 12 ans, Claire Guelton travaille au cœur des transformations organisationnelles et humaines de Leroy Merlin. Occupant aujourd’hui le rôle de Leader Vision et Transformation Culturelle, elle est notamment en charge de la construction et de la concrétisation de la vision de l’entreprise à 10 ans. A l’heure du bilan de la Vision 2025, elle fonde l’ensemble de la démarche sur l’implication des 30 000 salariés de l’enseigne, la confiance entre collaborateurs et la prise d’autonomie. 

      Au programme : 

      • Une vision qui se construit avec 30 000 collaborateurs

      • Créer les conditions pour une projection à 10 ans

      • “L’entreprise doit permettre aux collaborateurs de s’organiser par eux-mêmes, pas le faire à leur place.”

      • “Le défi de ces prochaines années est de nous adapter à chaque persona”

      Une vision qui se construit avec 30 000 collaborateurs

      Hélène Blonz : Bonjour Claire ! Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours ? 

      Claire Guelton : Le Bac Scientifique en poche, j'ai fait le choix d'un Master Recherche en Lettres Modernes. Ce parcours m'a permis d'allier l'approche pragmatique et cartésienne à l'analyse critique, la rhétorique et les sciences du langage . J'ai aussi pu assouvir mon goût pour l'écriture et la recherche. Les récits fondent notre vision du monde et permettent de multiplier et confronter les points de vue. L’approche narrative est d’ailleurs un axe essentiel dans la façon dont j’accompagne les transformations.

      J'ai complété mon parcours avec un Master professionnel spécialisé dans la communication et son application au domaine digital (PAO, rédaction web SEO, création de sites web). 

      Ma première expérience professionnelle, dans une agence BtoC qui fait de la location de vacances entre particuliers en Europe, m'a permis de me confronter aux relations presse en ligne et à l'optimisation de contenus, avant qu'arrive sur le marché un géant tel qu'AirBnB. J’ai rapidement appris à travailler dans un environnement multiculturel, avec des personnes qui ont des rapports très différents à la vie et au travail. 

      J'ai rejoint la Direction de Communication Interne et Institutionnelle de Leroy Merlin en 2011 pour rédiger le Rapport Développement Durable de l'entreprise. J'ai été recrutée par Arnaud Garni, ancien Directeur de la Communication interne, qui était à la recherche de compétences éditoriales et auprès de qui j'ai beaucoup appris. Je me suis exercée à la chronique, à la transmission de contenus en live et à l'animation de plateaux TV dès mes débuts. J'avais carte blanche pour imaginer de nouveaux formats et expérimenter de nouveaux outils. La forme sert le fond et ne doit jamais être négligée.

      À l’époque, je n’avais pas spécialement d’affinités avec Leroy Merlin. Mais la mission m’attirait car il s’agissait d’un projet éditorial lié à une volonté pour l’entreprise de regarder au-delà de son activité et d’adopter une démarche très volontariste en termes de RSE.

      En 2014 j'ai rejoint l'équipe Vision pour concevoir et structurer la communication de la démarche Vision 2025. Chez Leroy Merlin, nous projetons collectivement l'entreprise sur des cycles de 10 ans, ce qui implique de travailler dès à présent à l'élaboration du prochain cycle.

      Cela nécessite notamment d'appréhender les approches d'intelligence collective, de produire des supports d'animation et de communication simples et qualitatifs, d'animer une communauté d'ambassadeurs.  

      J’ai rejoint le Comité de Direction RH en 2019. Cela m'a permis d'élargir ma zone de responsabilités pour un périmètre qui embrasse la culture, les enjeux de transformation humaine, l'expérience collaborateur, sans oublier l'accompagnement en proximité des RH en période de crise sanitaire et la mise en place du chômage partiel. J’ai ensuite accompagné la transformation agile de l’entreprise ces 2 dernières années et je m’oriente bien sûr vers la conception de la prochaine démarche Vision. 

      Cela fait 12 ans que j'ai rejoint Leroy Merlin. Et je ne vois pas les années passer. L'entreprise est riche des talents qui la composent et des perspectives d'évolution. Jamais je n'aurais pu dire un jour “Je souhaite devenir Leader Vision et transformation culturelle”, pourtant ce job est comme une seconde peau. J'y mets beaucoup de mes convictions et je partage le savoir qui m'a été transmis. La confiance et l’autonomie accordées par mes managers et mes collègues m’ont permis d’innover et d’apprendre en continu. Et les enjeux auxquels nous sommes confrontés sont autant de sources d’apprentissage. 

      H.B : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le visioning chez Leroy Merlin ?

      C.G : Le visioning est le processus d'élaboration de la vision de l'entreprise. Il repose sur la conviction que nous avons tous une partie de la réponse et que notre avenir réside dans le fruit de cette intelligence collective. Autrement dit, il ne s’agit pas de prendre des décisions au niveau de la direction et d’imposer des changements importants aux salariés. Au contraire, nous travaillons avec les collaborateurs pour créer une vision partagée, afin de nous aligner sur une trajectoire commune et d’en assurer la concrétisation. Il n’y a pas de recette magique. Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient et prendre le temps de se poser les bonnes questions avant de se mettre en action. 

      Concrètement, le visioning permet de nous interroger sur : 

      • Notre histoire, notre culture

      • Nos atouts et nos axes d’amélioration

      • Les  grandes tendances et signaux faibles qui vont impacter la société et notre entreprise 

      • Ce vers quoi nous souhaitons collectivement aller

      • Notre raison d’être et de faire ensemble

      J’ai beaucoup appris sur cette démarche grâce à Meryem Le Saget, experte en vision partagée et conduite du changement. Meryem a accompagné Leroy Merlin dans ses 3 premiers cycles de Vision et m'a notamment appris à comprendre et mettre en oeuvre les leviers de transformation individuelle et collective qui se jouent, en créant les conditions de l'intelligence collective. Il n'est pas aisé de sortir de son quotidien et d'imaginer de quoi sera fait le futur. Il faut savoir créer le contexte favorable pour permettre à l'ensemble des collaborateurs de partager leurs idées et de se projeter à 10 ans. Et à 30 000 c'est un sacré exercice ;)

      H.B : Sur quoi sont basées ces projections ?

      C.G : Nous travaillons en amont avec des prospectivistes pour analyser les scénarii vers lesquels nous projeter. Ce travail nous permet d'identifier les tendances de fond et les signaux frémissants susceptibles de nous impacter.

      Ces scenarii sont présentés aux collaborateurs lors d’ateliers et favorisent le partage des expressions et des souhaits pour l’avenir, en termes d'innovation dans le secteur de l'habitat, sur le futur du travail, et de manière plus large en tant que citoyen. Cela permet à chacun de se projeter et de se sentir acteur du futur de l'entreprise et de son propre avenir.

      En 2015, à titre d’exemple, la tendance des slasheurs avait fortement émergé. Concrètement, dans notre entreprise, nous retrouvons aujourd’hui cette tendance à travers de nouveaux modes d’organisation du travail. Certains collaborateurs font le choix de consacrer une partie de leur temps à Leroy Merlin et sont également entrepreneurs ou artisans par ailleurs. Le temps de travail s’articule autour de la personne et de ses aspirations, et non l’inverse. C’est un changement profond qui vient heurter nos modes de fonctionnement historiques et nous invite à faire preuve de flexibilité et de modularité. 

      Créer les conditions pour une projection à 10 ans

      H.B : En quoi solliciter les idées de vos collaborateurs est un atout selon vous ?

      C.G : L’implication des collaborateurs nous permet d’avoir une vision plus innovante et représentative des envies et aspirations de la société. C’est mathématique ;) 

      L’audace n’est pas l'apanage des dirigeants. La position hiérarchique implique le sens des responsabilités et une conscience accrue des enjeux humains et financiers. Cela peut limiter la prise de risque et donc l'innovation. 

      Quand on fait appel à l’intelligence des collaborateurs, des idées plus variées, et même surprenantes apparaissent. Nous les encourageons à n’avoir aucune limite, la place est donnée au rêve. Un rêve qui a pour finalité sa concrétisation. C’est pourquoi l’autonomie, la confiance, l’audace et l’engagement sont des valeurs structurantes qui nous rassemblent et favorisent la prise d’initiatives. 

      A titre d’exemple, des collaborateurs ont donné vie au projet “Je bricole à l'école”. L’intention est d’accompagner et former aux premiers gestes de bricolage et ce, dès le plus jeune âge, en animant des ateliers au sein d'écoles primaires. Pourquoi ? Car l’équipe à l’initiative de ce projet avait fait le constat que les enfants passaient de plus en plus de temps sur les écrans et se détournaient des activités manuelles. Les collaborateurs volontaires travaillent ainsi main dans la main avec les enseignants dans le cadre d’un projet pédagogique. Cela permet de transmettre et d’apprendre autrement, en réalisant un objet de ses propres mains, comme un nichoir à oiseaux ou une lampe avec des matériaux de récup’ par exemple.

      H.B : Comment encouragez-vous les collaborateurs à partager leur vision du travail ?

      C.G : Sans mise en place de conditions favorables, il est très difficile de demander à des personnes, quel que soit leur métier (plus de 90% des salariés Leroy Merlin travaillent en magasin ou en entrepôt), de se projeter sur 10 ans et d’écrire l’avenir.  

      Il faut faciliter l’ouverture et la compréhension des tendances. Nous fournissons à nos collaborateurs de la documentation et nous les encourageons à s’informer pour nourrir leur réflexion. C’est un investissement important car il suppose de laisser les collaborateurs en magasin aller à la rencontre d’autres entreprises innovantes

      Cela passe par différents dispositifs, comme des webinars ou des conférences animées en interne. Au-delà de son plan de formation, chaque collaborateur dispose également d'une journée de développement par an et d'un budget moyen dédié pour s'ouvrir et découvrir un métier, une enseigne, un nouvel environnement de son choix. Participer à un salon, découvrir un nouveau concept magasin, ... les options sont riches et variées.

      Cette posture suppose donc de laisser du temps aux collaborateurs pour s’informer. Nous considérons que ces tâches font partie intégrante de leur travail. Ils sont mieux renseignés et peuvent ainsi mener des réflexions poussées sur le futur de leur métier et de l’entreprise.

      Le partage du savoir est un élément structurant de notre culture, c’est pourquoi, au-delà de ces temps d’ouverture, nous organisons dans le cadre du processus Vision des ateliers favorisant le partage des réflexions et des enseignements. Nous les réalisons à 360° avec nos collaborateurs, mais aussi avec nos clients et partenaires (fournisseurs, artisans, professionnels du bâtiment, prestataires de services,...).

      En 2015, nous avons fait le choix d’être dans une démarche appréciative en analysant nos forces : qu’est ce qui est apprécié chez Leroy Merlin ? Pourquoi les habitants nous choisissent et reviennent chez nous ? Quels sont nos éléments différenciants ? Sur quoi devons-nous capitaliser pour construire l’avenir ?

      Il en est ressorti de nombreux apprentissages sur la qualité des conseils et la pédagogie apportée, l’écoute, le professionnalisme et la disponibilité des équipes. 

      H.B : Comment traitez-vous les idées de vos collaborateurs ?

      C.G : La première étape consiste à récolter les idées, puis à les analyser et synthétiser. C’est un travail précis et minutieux, dans le respect de la parole de chaque collaborateur. En 2015, lors de notre dernier process de visioning, plus de 32 000 idées ont émergé ! 

      Nous avons fait appel à l’intelligence artificielle pour nous y aider. Cependant, ce traitement n'était pas suffisant : nous avons dû faire un important travail de relecture. La complexité de la langue française couplée aux libertés de langage “leroymerlinesque” et aux abus d’acronymes n’a pas facilité la tâche de la machine, malgré la création en amont d’un véritable dictionnaire pour permettre à l’IA de traiter correctement la matière récoltée. 

      Après ce premier travail de synthèse, nous avons fait le choix de relire 70 % des idées collectées. Il était indispensable de remettre de l’intelligence humaine pour saisir toutes les nuances. Pour être le plus objectif possible et éviter les biais dans la lecture, nous avons systématiquement travaillé en binôme. Nous avons ainsi analysé et hiérarchisé la donnée afin de respecter et d’écouter la parole de tous nos collaborateurs. Cette matière a ensuite été partagée au comité de direction France ainsi qu’à un panel de collaborateurs avant d’être restituée à l’ensemble des équipes.

      H.B : A quoi ressemble le rendu final du visioning ? Comment synthétisez-vous tout ce process ?

      C.G : La synthèse prend la forme d’une affiche présente dans l’ensemble des magasins, services internes et entrepôts. Il s’agit d’un format simple et accessible à tous auquel on peut se référer au quotidien. La Vision est la colonne vertébrale de notre stratégie d’entreprise à 10 ans qui se décline ensuite en plan stratégique à horizon court terme. 

      Au-delà de l’affiche qui n’est qu’un support, nous veillons à ce que chaque collaborateur puisse s’approprier le sens et les intentions. Cela passe par du management en proximité avant tout. 

      Suite au partage de la Vision, des ateliers d’appropriation d’une durée de 3 heures ont été organisés dans l’ensemble des sites pour 100% des collaborateurs. Désormais la présentation de la démarche ainsi que des ambitions stratégiques de notre Vision 2025 font partie intégrante du processus d’intégration.

      H.B : Arrivez-vous à mesurer l’impact de vos investissements en termes de vision ? 

      C.G : Vous l’aurez compris, l’investissement majeur est le temps alloué à la démarche et cela multiplié par le nombre de collaborateurs impliqués. 

      Le principal impact est la croissance exponentielle du chiffre d’affaires et l’engagement des collaborateurs. Chaque cycle de Vision a permis à Leroy Merlin France de gagner des parts de marché et est la clé de la performance durable de l’entreprise

      Le contexte change, la méthode évolue mais ne change pas. Nous sommes challengés par nos concurrents historiques et par de nouveaux pure players, cela implique de faire preuve d’innovation tout en restant solides sur nos fondamentaux. Ce qui fait la différence, c’est notre culture, ce sont les femmes et les hommes qui composent l’entreprise et lui donnent vie au quotidien. Cette culture se base sur un socle de valeurs solide, le partage et le sens du collectif. 

      De façon trimestrielle, nous interrogeons les collaborateurs pour mesurer leur satisfaction et recueillir leurs  expressions sur des questions précises, en lien avec la stratégie, le management, la communication ou leurs conditions de travail. Cela nous permet de mettre en place des actions d’amélioration de manière régulière et de nous assurer de la qualité de leur expérience, en symétrie de l’expérience que nous souhaitons apporter à nos clients. C’est la base pour une entreprise qui place l’humain au cœur de ses décisions et de ses actions. 

      Je suis convaincue qu’il ne faut pas chercher à tout mesurer. On a souvent tendance à perdre de vue l’utilité de ces mesures. La question est que fait-on de ces données et à quel point cela vient confirmer des signaux faibles que nous avions déjà perçus ou pas ?

      Ce serait réducteur d’orienter nos actions qu’en fonction d’enquêtes  ou d’indicateurs chiffrés. Ma mission implique d’être aussi sensible à l’immatériel car la culture d’entreprise est avant tout une alchimie, une somme d’ingrédients palpables et non palpables qui forment son identité profonde. C’est ce qui fait la force et la puissance de l’humain. Le défi consiste donc à doser avec bon sens et pragmatisme les indicateurs quanti et quali pour nourrir notre récit commun et continuer à enrichir l’histoire de Leroy Merlin. À quel point nos histoires individuelles forment et nourrissent la grande histoire Leroy Merlin ? Quels sont les nouveaux récits en construction ? 

      C’est très intéressant à observer et à décrypter. Cela repose sur l’étude des comportements, les pratiques managériales ainsi que l’expression des émotions afin de s’assurer que les valeurs sont véritablement vécues au quotidien. C’est la cohérence entre ce qui est pensé, dit, ressenti et fait !

      Je pense d’ailleurs qu’on a trop tendance à effacer les émotions dans le milieu de l’entreprise. Elles nous permettent pourtant de nous mettre en mouvement. Elles ont toute leur place pour nous permettre de répondre aux grands enjeux sociétaux et environnementaux présents et à venir.

      Plus une culture est forte, plus elle résiste aux attaques extérieures et nous permet de faire preuve de résilience. Elle est un atout stratégique indéniable. 

      Et les résultats sont là. À chaque process de visioning, on a pu constater un véritable bond jusqu’à nous imposer en leader sur le marché de l’habitat.

      “L’entreprise doit permettre aux collaborateurs de s’organiser par eux-mêmes, pas le faire à leur place.”

      H.B : A l’issue du  process de visioning, travaillez-vous avec des médiateurs ou coordinateurs de projets pour vous aider à mettre en application les changements décidés ?

      C.G : Dans le cadre d’une organisation saine, je n’en vois pas l’intérêt. Les collaborateurs savent ce qu’ils ont à faire et peuvent s’organiser par eux-mêmes. 

      Cela n'apporte pas de valeur ajoutée et ne favorise pas la montée en compétences du collectif. Quand ces postes interviennent, c’est souvent pour pallier un manque de stratégie, de management ou la désorganisation d'une équipe.

      Du moment que les collaborateurs partagent une trajectoire commune, définissent bien leur périmètre, ont des objectifs clairs et développent les bonnes compétences, les projets avancent et la vision se traduit en action et en performance. Sur des projets complexes avec de nombreuses interdépendances internes et/ou externes, nous pouvons faire appel à des coordinateurs de projets mais cela doit être challengé et non systématique. 

      La clé est la capacité individuelle et collective à collaborer. Nous devons créer les conditions pour permettre aux collaborateurs de s’organiser par eux-mêmes, pas le faire à leur place. La coopération est au cœur de notre mode d’action et de management. Nous posons de fait que chacun est leader et détient la capacité de prendre les bonnes décisions, sur son périmètre, là où il se trouve. Notre modèle de leadership est en ce sens, notre boussole. Ce modèle est structurant et s’inscrit tout au long du parcours de développement des collaborateurs et des managers. Cela passe par un temps d’appropriation dès l’intégration, un outil de diagnostic individuel, l’identification d’axes de développement dans le cadre des entretiens annuels et la pratique ritualisée du feedback afin que chacun puisse nourrir le développement des autres. Nous disposons également d’une université du leadership et du management en interne qui permet, pour l’ensemble des managers,  d’accéder à une offre très large de formations et de contenus. 

      La performance d’une équipe se mesure à sa capacité à collaborer. C’est le rôle des managers d’accompagner en proximité cette compétence clé.

      H.B : Quelle place le collectif occupe-t-il dans l’organisation du travail ?

      C.G : Le sens du collectif fait partie de l’ADN de Leroy Merlin France. On a coutume de dire que le “nous prime sur le je”. Nous partageons les fruits du travail en collectif. Notre culture a toujours été très entrepreneuriale, avec l’autonomie et la confiance en valeurs principales. Dans cet environnement, les collaborateurs se sentent libres de tester de nouvelles choses, tout en sachant qu’ils peuvent être accompagnés et demander du soutien.

      L’autonomie ne doit pas céder la place à l’indépendance. À titre d’exemple, la construction des horaires se fait en équipe, de manière participative, en prenant en compte l’activité du magasin et les contraintes éventuelles des collaborateurs. Pour que tout cela se passe bien, il faut que l’équipe ait un niveau de maturité assez conséquent. Chaque membre doit être en mesure de déléguer si besoin. 

      Cette meilleure répartition du travail permet aux collaborateurs qui le souhaitent d’adresser un projet annexe ou transverse, de prendre un second rôle en cohérence avec leur parcours professionnel et d’obtenir des feedbacks venant d’autres managers et/ou collègues, ce qui enrichit leur trajectoire et perspectives de développement. 

      H.B : Avez-vous mis en place des process pour permettre à vos collaborateurs de tester leurs idées au quotidien ?

      C.G : Oui. Pour faciliter le passage de la vision à l’action et tester la pertinence d’une idée, j’ai travaillé en 2018 et 2019 à la construction d’une méthodologie, s’inspirant de la méthode Lean Startup. En 2 ans, près de 700 collaborateurs ont pu éprouver leurs idées et bénéficier du regard de coachs et d’entrepreneurs. 

      Leroy Merlin est une entreprise de commerçants qui s’est construite sur la culture de l’oral et qui formalise très peu par l’écrit. C’est une façon de travailler intuitive et flexible qui a fait son succès mais aussi ses limites car elle peut entraver le passage d’une intention à sa mise en application et ne permet pas de capitaliser sur les retours d’expériences et le partage des enseignements. Nous encourageons la prise d’initiatives et il faut dire que les idées fusent dans les équipes. Mais nombreuses sont celles qui restent à l’état de post-its ou qui se traduisent par une perte d’énergie ou d’investissement. L’enjeu était de structurer davantage l’accompagnement et de permettre aux équipes de se poser les bonnes questions avant de se lancer ! Un sacré changement d’état d’esprit qui implique de tomber amoureux du problème et non de la solution.

      H.B : Que conseillerez-vous à une entreprise qui souhaite aller vers plus d’autonomie ?

      C.G : Je pense qu’il est très important de bien clarifier les rôles et périmètres de chacun, car l’autonomie nécessite un cadre. Et, cela passe par des choses simples.

      Au début de chaque projet, nous invitons par exemple nos collaborateurs à se demander :

      • Qui est mon commanditaire ? Ai-je bien compris sa demande ?

      • Quels sont les objectifs à atteindre à court / moyen / long terme ?

      • L’équipe en charge du projet dispose-t-elle bien des compétences nécessaires ? Si non, sur qui puis-je m’appuyer ? 

      • Ai-je bien sollicité toutes les personnes indispensables pour mener à bien le projet ?

      • Qui sont les utilisateurs / clients ? Quel est le panel représentatif avec lequel je vais pouvoir tester au fur et à mesure de l’avancée du projet ?

      En se posant ces questions, les collaborateurs développent leur capacité à questionner le projet, à coopérer et à se développer en continu. Ils sont responsabilisés et prennent ainsi en charge la réussite du projet.

      Pour moi, c’est ici que se trouve la valeur ajoutée de l’entreprise. Cela repose sur l’évolution des compétences, la création de passerelles entre métiers et la formation continue. L’entreprise nous permet d’évoluer et de nous transformer en permanence, ce qui est d’autant plus important dans un contexte qui bouge très vite et dans lequel les compétences deviennent obsolètes de plus en plus vite. Chez Leroy Merlin, nombreux sont les parcours qui permettent de vivre une expérience en magasins, en service interne, dans d’autres enseignes du groupe. Le champ des possibles est large pour peu que nous soyons motivés et ayons l’envie d’évoluer. 

      Aller vers plus d’autonomie c’est aussi investir dans le management de l’entreprise et accompagner les managers en ce sens. Cela repose sur la capacité à donner du sens, la confiance accordée aux équipes, la reconnaissance des prises d’initiatives. C’est aussi accepter que les choses soient faites autrement qu’à notre manière. Cela demande de l’exigence et de la bienveillance.  Et cela se joue à tous les niveaux de l’entreprise, en commençant par les dirigeants eux-mêmes.

      “Le défi de ces prochaines années est l’impact de l’IA sur nos métiers et la personnalisation”

      H.B : Selon vous, quels sont les prochains défis RH et culturels de Leroy Merlin ?

      C.G : Comme beaucoup d’entreprises, nous faisons face à un turn-over élevé, notamment très important pour les collaborateurs employés depuis moins d’un an. Cela est directement lié au fort dynamisme du marché de l’emploi, un point positif pour les collaborateurs qui ont souvent le choix entre plusieurs opportunités. Cela reste néanmoins un vrai challenge pour les RH.

      Aussi, nos magasins, comme toutes les enseignes du secteur, ont de larges amplitudes horaires et sont ouverts le week-end. C’est une caractéristique qui pose de plus en plus problème dans un contexte où l’équilibre pro - perso est très recherché. 

      Avec l’inflation que nous traversons, nous réfléchissons également beaucoup à la question de la revalorisation des salaires. En effet, même si nous proposons des dispositifs intéressants (premiers niveaux de salaires 16% au-dessus du SMIC, système de primes attractif, actionnariat salarié…), le coût de la vie reste élevé, notamment pour les métiers de la grande distribution.

      Globalement, je dirais que le défi principal de ces prochaines années est de challenger nos organisations, notre modèle social et de faire preuve d’innovations, comme nous l’avons toujours fait par le passé. Ce qui change ce sont les aspirations individuelles, ce qui nous invite à penser personnalisation là où historiquement nous pensions généralisation et de nous adapter à la situation de chaque persona. En effet, nous ne pouvons plus nous contenter d’apporter des réponses globales car nous recrutons des profils de plus en plus variés avec des attentes très différentes. 

      Autre challenge présent et à venir : l’obsolescence programmée des compétences et l’impact de l’intelligence artificielle sur les métiers du retail. Du fait de la digitalisation de notre activité, nous identifions chaque jour de nouveaux métiers qui sont très différents de nos métiers “historiques”. Nous avons posé au cœur de Vision 2025 le fait de devenir une entreprise apprenante. Plus que jamais cet enjeu est  majeur pour assurer l'employabilité des collaborateurs et la pérennité de l’entreprise.

      H.B : Comment envisagez-vous cette “personnalisation” ? Comment la favoriser ?

      C.G : Pour faire évoluer nos collaborateurs, nous ne souhaitons pas être dans une démarche de copier - coller, mais bien proposer des parcours propres aux individus et aux besoins de l’entreprise. 

      Les échanges avec les collaborateurs sont d'ailleurs très importants pour cela. L’entretien d’évaluation est en fait un entretien de développement et de progrès. Nous valorisons le développement des compétences dans la durée, plutôt que l’atteinte d’un objectif à un instant T. Cette posture permet aux collaborateurs de se projeter dans l’entreprise, selon leurs aspirations.

      Nous favorisons également beaucoup les évolutions transversales pour permettre à nos collaborateurs de se développer dans différents environnements, voire à l’international. C’est un critère très important pour de plus en plus de collaborateurs qui ne souhaitent pas attendre des années avant de se voir proposer une évolution. Nous sommes beaucoup challengés là-dessus.

      Aussi, nous avons à cœur de favoriser l’ascenseur social au sein de l’entreprise. Notre taux de promotion interne est d’ailleurs élevé et nous souhaitons le conserver. 100% de nos directeurs de magasin sont issus de promotions internes. 

      Une culture forte fait place au groupe mais peu de place à l’individu. C’est donc un challenge de taille de maintenir cette culture identitaire de commerçants puissante et résiliente qui a fait notre succès dans un environnement qui s’industrialise, se digitalise avec l’avènement de l’intelligence artificielle qui vient redéfinir l’association et les interactions entre les personnes et les machines. Comment l’IA vient renforcer la culture d’une entreprise qui a toujours placé l’humain au cœur de ses décisions et de ses actions ? 

      En ce sens, ma mission consiste à préserver, nourrir, développer et enrichir le patrimoine immatériel de Leroy Merlin France, en prenant en compte ses nouveaux enjeux qui sont autant d’opportunités. C’est un enjeu majeur pour une enseigne qui va fêter ses 100 ans et s’inscrit durablement dans le cœur et la vie des habitants. 

      Publié le 21/09/2023

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