DRH de Bleu Libellule, Cécile y a effectué toute sa carrière. Elle pilote une politique de santé au travail innovante, sur la base d'un travail mené avec des chercheurs et enseignants, sans jamais compromettre les objectifs de performance de l’entreprise.
DRH de Bleu Libellule, Cécile Ferlandin y a effectué l’ensemble de sa carrière. Elle est l’initiatrice d’une politique de santé au travail avant-gardiste, basée sur un travail de fond mené avec des chercheurs et enseignants. Aujourd’hui, elle pilote cette stratégie auprès des 1 200 collaborateurs du groupe, sans compromettre les objectifs de performance de l’entreprise.
Au programme :
Cécile Ferlandin : Je suis entrée chez Bleu Libellule (où je travaille encore actuellement) en effectuant un BTS en alternance. Cela fait donc plus de 15 ans que je travaille avec les présidents actuels : Caroline et Jean-Philippe Wincker. Évidemment, ils ont beaucoup influencé ma vision du management et de la vie en entreprise.
Aussi, durant ma carrière, j’ai repris mes études à l'université d'Aix-en-Provence, où j'ai passé un Master en RH et gestion des talents. J’y ai rencontré un enseignant-chercheur qui a beaucoup marqué ma vision de la santé en entreprise. C’était d’ailleurs l’un des thèmes de mon mémoire.
C.F : Je dirais que j’ai initié cette réflexion à partir de 2015 et l’ai vraiment intégrée en 2019 lorsque j’ai commencé à travailler avec Thibault Perrin, qui est actuellement chercheur à l’université de Nîmes, à la construction d’une formation dans le cadre de l’obtention du label Great Place to Work.
Il effectuait à ce moment une thèse sur la confiance en entreprise et sur son impact sur la profitabilité de l’entreprise tout en travaillant en alternance chez Great Place to Work. Ce fut une étape importante dans ma carrière qui a changé ma vision du management et du bien-être au travail.
À partir de 2018, j’ai travaillé sur une partie plus managériale. Puis, en 2020, avec l’arrivée du COVID-19, nous avons tous pris conscience de l’importance de la santé physique et mentale au travail. Je n’ai depuis cessé de travailler sur ce sujet.
C.F : Quand j’ai commencé à travailler sur la santé mentale, j’ai compris que la médecine du travail était globalement très absente. Quand l’un de nos collaborateurs était en difficulté psychologique, le premier réflexe était de l’envoyer à la médecine du travail. Mais nous ne recevions jamais l’aide suffisante.
Je me suis donc rendue compte qu'il était nécessaire de se doter d’un véritable accompagnement en termes de santé, avec notamment une mutuelle forte, digitalisée et disponible pour nos collaborateurs. C’est par là que mon action sur la santé au travail a commencé, car il s’agissait du seul outil à ma disposition.
J’ai ensuite travaillé avec des enseignants chercheurs en management. J’ai réalisé que le bien-être des collaborateurs dépendait énormément du management. Pour appliquer ces enseignements, j’ai commencé à partir de 2017 à m’impliquer davantage dans le management global de l’entreprise et j’ai rendu la fonction RH beaucoup plus présente dans le quotidien des collaborateurs. J’ai par exemple instauré de nouveaux rituels managériaux et des entretiens de performance.
Puis, fin 2018, nous décidons avec la présidence de changer notre modèle managérial et de passer à un modèle d'entreprise libérée. À partir de ce moment, le bien-être des collaborateurs est devenu l’une des missions du management. Nous avons, chez Bleu Libellule, dédié une partie de notre service RH aux sujets de santé et de sécurité.
Il s’agissait d’une nouvelle mission pour les RH car, contrairement à aujourd’hui, le bien-être n’était même pas un sujet. Le travail des RH se limitait à faire de la communication interne, à travailler sur la marque employeur, à gérer le système de paie et l’administratif. Depuis, le bien-être est devenu un sujet à part entière et je suis très contente de cette évolution !
C.F : Il y a tellement de formes d'entreprises libérées qu’il est important de revenir dessus en effet. D’ailleurs, chez Bleu Libellule, nous ne parlons pas d’entreprise libérée mais de responsabilisation.
Nous avons par exemple supprimé notre organigramme et nous fonctionnons par pôle. Les collaborateurs organisent leurs projets de façon autonome, selon leurs compétences et les délais fixés. Ils suivent leur propre planning, n’ont pas besoin de faire valider leurs congés payés et fixent les modalités de paiement de leur salaire quand ils le souhaitent.
Sur ce dernier point, nous utilisons l’application Rosaly qui permet aux collaborateurs d’avoir accès à leur salaire quand ils le souhaitent. Au lieu d’être payés en fin de mois, ils peuvent choisir via Rosaly de se payer tous les 10 jours, 2 jours, voire tous les jours s’ils le souhaitent.
C.F : Nous testons actuellement un système de temps de travail choisi. Au début du semestre, les collaborateurs choisissent leur temps de travail hebdomadaire, entre 28 et 39 heures.
Si une personne souhaite par exemple poser ses mercredis durant une certaine période, elle peut tout à fait réduire son temps de travail. Ensuite, si elle souhaite toucher une rémunération plus importante, elle peut tout à fait passer à 39 heures. La rémunération se fait en fonction.
C.F : Vu que nous ne remplaçons pas les collaborateurs qui allègent leur temps de travail, nous les incitons à échanger entre eux et à faire preuve de bon sens pour trouver l’équilibre.
Actuellement, les collaborateurs planifient leur temps de travail hebdomadaire sur 6 mois mais j’aimerais passer à une planification de semaine en semaine. En effet, nous voyons des résultats très concrets avec ce dispositif. À partir du moment où les collaborateurs peuvent adapter leur temps de travail, ils deviennent beaucoup plus efficaces.
Toute notre organisation repose sur la confiance que nous donnons aux collaborateurs. En étant plus responsabilisés, ils savent néanmoins que nous attendons d’eux des résultats, car notre plan de prime se base sur le chiffre d’affaires.
C.F : Lors de mes débuts en tant que DRH de l’entreprise en 2013, il y avait beaucoup de chantiers à mener. Nous venions notamment d’intégrer un fond et nous allions passer de 5 ouvertures de magasins par an à 20.
L’une de mes priorités était donc le recrutement et la marque employeur. J’ai cherché un baromètre RH qui me permettrait de faire un état des lieux de notre situation, tout en contribuant à notre marque employeur. Great Place to Work était à l’époque l’indicateur le plus connu. C’était pour moi l’occasion d’attirer les meilleurs talents via la mise en avant de nos bonnes conditions de travail.
Nous avons mené une première enquête en 2013. Nous avions recueilli 66% de satisfaction, alors qu’il nous fallait un taux minimum de 69% pour être labellisé. Cela m’a permis d’identifier nos pistes d’amélioration et d’évaluer le travail nécessaire.
J’ai donc ensuite lancé un grand programme qui a duré 5 ans, ce qui nous a permis d’obtenir le label en 2019. L’entreprise s’est également classée parmi les 30 premières entreprises de France où il fait bon travailler. Depuis, nous avons renouvelé notre labellisation en 2020 en nous classant 16ème.
Nous avons construit en parallèle avec Great Place to Work des formations pour rendre notre management encore plus responsabilisant. Lors de ces sessions, l’organisme nous a apporté ses bonnes pratiques tandis que j’apportais mon expérience du terrain. Thibault Perrin nous a beaucoup aidés en partageant les enseignements de sa thèse sur la confiance en entreprise. Ce fut un travail d’équipe très complémentaire qui nous permet encore aujourd’hui de proposer cette formation à tous nos collaborateurs.
C.F : Le premier pilier repose bien sûr la confiance. Nous commençons par définir ce qu’est la confiance mutuelle, la confiance personnelle, la confiance en soi… Ensuite, nous donnons les clés à nos collaborateurs pour la développer dans leur travail quotidien.
Le deuxième pilier concerne le droit à l'erreur. Nous avons notamment fait intervenir Séverine Loureiro, autrice d’un livre sur ce sujet. Nous voyons en quoi l’erreur peut être bénéfique et en quoi elle permet de créer une entreprise apprenante.
Enfin, pour le dernier pilier, nous abordons la question du sens et la nécessité d’en donner aux collaborateurs pour qu’ils se sentent responsabilisés.
C.F : J’ai remarqué une hausse très importante de l’absentéisme. En effet, après la crise COVID-19, nous avons notamment vu que certains collaborateurs avaient du mal à revenir dans le monde du travail. Certaines habitudes s’étaient perdues comme le travail le dimanche, les horaires prolongés, le travail en position debout ou encore le fait de devoir parfois faire face à une clientèle difficile.
La reprise du travail a été éprouvante pour certains collaborateurs et nous avons été confrontés à beaucoup d’arrêts maladie, voire de départs. Il était très difficile pour eux de reprendre le travail comme avant.
Nous avons donc mis en place au sein de notre service RH une véritable prise en charge de la santé et de la sécurité. L’objectif était d’apporter des réponses concrètes aux collaborateurs et d’aller au-delà du périmètre classique de la médecine du travail, qui était alors complètement absente.
Globalement, c’est tout le sujet de la santé au travail qui s’était perdu au fil des années. Elle était autrefois très importante, mais force est de constater que je n’ai jamais reçu de formation sur le sujet en tant que RH ! Et, encore aujourd’hui, ce n’est pas encore complètement intégré dans les cursus des étudiants en RH.
C.F : Depuis la reprise post-COVID, j’ai mené ce travail au quotidien.
Par exemple, quand un collaborateur effectue un arrêt maladie supérieur à 5 jours, nous organisons un comité santé qui fait le point. Est-il nécessaire d’échanger avec le collaborateur ? Faut-il lui conseiller un spécialiste de santé à son retour ou bien une consultation en ligne ? Faut-il organiser un entretien avec le manager ? Nous accompagnons le collaborateur sur toute la durée de son arrêt maladie.
Par contre, pour les arrêts de moins de 5 jours, nous contrôlons davantage. Nous traquons tout ce qui n’est pas justifié car, même en étant dans la bienveillance, il faut toujours conserver la notion d’efficacité en entreprise. C’est d’ailleurs souvent oublié quand on parle de bien-être au travail.
Aussi, un exemple en termes de prise en charge me semble important à souligner ici. Notre mutuelle couvre 4 séances de médecine douce par personne de la famille d’un collaborateur, à hauteur de 50 euros par séance (donc 200 euros). Nous avons décidé de doubler cette prise en charge en assurant 200 euros de frais en plus par personne. Par exemple, un collaborateur qui souhaite consulter un psychologue 8 fois dans l’année n’a rien à débourser, car nous prenons en charge les 4 séances non prises en charge par la mutuelle. Il lui suffit de nous envoyer la facture.
Il était important pour moi de laisser les collaborateurs libres dans leur choix en termes de santé et d’assumer notre responsabilité en tant qu’employeur. Si un collaborateur a des besoins, j’estime que c’est en partie à cause de l’entreprise. Il est donc normal pour moi d’assurer ces frais.
C.F : Nous avons formalisé nos valeurs dans une charte interne. On y retrouve nos objectifs d’efficacité qui sont, pour moi, très liés à notre politique volontaire en termes de santé.
Le bien-être est selon moi une mesure d'efficacité. Si les personnes se sentent bien, correctement rémunérées, en confiance et en bonne santé, elles font du chiffre. Toutes les mesures sur la santé sont mises en place pour permettre plus d’efficacité et moins d’absentéisme.
Nous restons une entreprise du retail avec toute la rigueur que cela implique. Nous ne pouvons pas nous permettre d’omettre nos objectifs de résultats.
C.F : Nous avons comparé nos chiffres avant et après la mise en place de notre formation sur la responsabilisation en 2019. Nous avons comparé la situation à un an d’intervalle, à la même période. Nous avons constaté une hausse de 6% de CA, ce qui prouve l’impact énorme que peut avoir la confiance en entreprise sur ses résultats.
L’année dernière, nous avons réalisé une autre étude afin de connaître la satisfaction de nos collaborateurs par région. Nous avons mis en parallèle ces données avec le CA par zone. Le constat était sans appel : les régions où les collaborateurs sont les plus satisfaits sont celles où le CA est le plus important. Au contraire, là où il n’y a pas de satisfaction collaborateur, le CA est beaucoup moins important.
Ainsi, même si cela commence à rentrer dans les mœurs, il faut le répéter encore et encore : le bien-être génère du retour sur investissement !
C.F : Je fais des erreurs tous les jours ! Lancer des projets et être force de proposition, c’est aussi accepter de faire des erreurs. En retour, j’apprends énormément.
Une erreur marquante me vient à l’esprit. En 2015, des propos que j’ai tenus par message et qui n’étaient pas destinés à être lus ont été dévoilés. Cela m’est arrivé avec une ancienne directrice de réseau de l’entreprise. Je parlais notamment avec elle en privé de la capacité professionnelle de collaborateurs.
Des cas de harcèlements causés par cette personne nous ont été remontés et nous l’avons licenciée. Aux prud’hommes, elle a publié nos échanges qui ont pu blesser certaines personnes concernées.
Depuis, je garde toujours à l’esprit que des propos tenus à un niveau privé peuvent potentiellement être rendus publics un jour. C’est particulièrement important à avoir en tête pour des sujets qui touchent à la santé et aux compétences des personnes. En effet, j’ai compris que le non-respect de l’autre commence au moment où j’écris en privé : “cette collaboratrice n’y arrivera pas”.
Donc, au-delà des gestes et propos publics, il faut toujours être bienveillant dans sa pensée. J’ai parfois pu être trop catégorique et pas assez tolérante. Je pense que j’ai grandi ces dernières années grâce à ce genre d’erreurs là.
C.F : J’aimerais apporter une vision optimiste sur l'avenir. L’après COVID-19 nous a montré que chaque difficulté pouvait devenir une opportunité. Notre secteur ne manque d’ailleurs pas de difficultés : la reprise est dure et la gestion des personnes est compliquée. Cependant, je pense que nous avons beaucoup à gagner d’une plus grande acceptation de la diversité.
Je pense notamment à la diversité intergénérationnelle et à l’intégration de travailleurs handicapés, qui ont beaucoup à apporter.
Cette acceptation de la diversité passe aussi par l'acceptation des différences de nos collaborateurs actuels. Depuis le COVID-19, nous avons pu voir nos collaborateurs sous un autre jour et nous considérons depuis davantage le collaborateur dans sa globalité. On accepte le fait qu’il soit parent, parfois malade, fatigué…
Je suis convaincue que cette nouvelle vision des collaborateurs va rendre le monde du travail meilleur. Il faut d’ailleurs qu’il le devienne car nous allons devoir travailler de plus en plus longtemps. On a donc tout intérêt à être bien dans notre travail et à y intégrer la notion de bien-être !