DRH de Courir, Sandra a effectué toute sa carrière dans la grande distribution.
DRH de Courir, enseigne leader du marché de la sneakers en France, Sandra Ottavi a effectué toute sa carrière dans le secteur de la grande distribution. S’appuyant sur la proximité avec le terrain, son objectif est de concilier humain, exigence et qualité d’exécution en permanence. L’une des solutions selon elle pour répondre aux profondes mutations du marché du travail.
Au programme :
Sandra Ottavi : Après des études généralistes, le hasard m’a conduit au secteur de la grande distribution. J’ai travaillé en tant que manager du département caisse d’un hypermarché : j’encadrais une équipe de 70 hôtesses du haut de mes 25 ans. J’y ai découvert la réalité de ces postes peu qualifiés et essentiels. Cette première expérience “sur le carrelage”, comme on dit, n’a duré qu’un an et demi mais m’a profondément marquée.
J’ai pu constater de mes yeux le rôle d’ascenseur social que pouvait jouer ce secteur. Même s’il est dur, on y rencontre de très belles personnalités, des gens qui ne sont pas formatés et qui sont véritablement les acteurs des résultats de l’entreprise.
Vindémia, l’entreprise dans laquelle je travaillais, m’a ensuite proposé de devenir DRH adjointe d’une nouvelle filiale basée à la Réunion. Mon regard sur l’entreprise s’est naturellement tourné vers des projets stratégiques mais j’ai rapidement compris qu’il était nécessaire de conserver une grande proximité avec le terrain, même à un rôle stratégique de l’entreprise.
S.O : En prenant ce poste de DRH adjointe, j'ai constaté que même pour des projets stratégiques, le facteur humain est primordial. On ne peut pas se contenter de chiffres, il faut prendre en compte les sensibilités, les cultures et les histoires variées. Malheureusement, pour cette fusion, cet aspect a été négligé et l’intégration a été beaucoup plus complexe et laborieuse que prévu.
Après ce poste, j’ai occupé la fonction de DRH chez Franprix. Cette expérience m'a donné l'occasion de participer à la transformation de l'entreprise, notamment à l'intégration d'un grand réseau de franchisés dont les process RH devaient être normalisés.
Par la suite, j'ai pris le rôle de directrice opérationnelle de 70 magasins. Une fois encore, j'ai pu observer l'impact des politiques RH sur les employés. La plupart ayant un salaire peu élevé, je me suis rendue compte qu'on pouvait avoir une influence considérable sur leur vie quotidienne en améliorant leur bien-être et leurs conditions de travail et en soutenant leur progression.
J'ai également constaté le fossé qui peut exister entre l'annonce de grands projets et leur mise en pratique effective. Pour des raisons internes, les collaborateurs occupant des postes stratégiques ont parfois tendance à privilégier les effets d’annonce, au détriment des salariés sur le terrain. Malheureusement, cette attitude entraîne des processus déshumanisés, sans accompagnement des employés.
S.O : J’ai ensuite rejoint Buffalo Grill en tant que DRH, lors d'un changement de comité de direction, juste avant le COVID-19. Durant les confinements, j’ai évidemment travaillé sur l’organisation du travail qui devait s’adapter mais aussi sur l’accompagnement des collaborateurs en termes de santé mentale. Certains collaborateurs se retrouvant sans activité du fait du confinement se trouvaient notamment dans des situations de grande détresse psychologique.
J’ai quitté Buffalo en 2021 et j’ai pris un an pour réfléchir à la suite de ma carrière, ce qui est un luxe ! J’ai réalisé que je voulais toujours faire des RH, mais cette fois pour accompagner la croissance d’une entreprise. Une opportunité qui me convenait parfaitement s’est présentée chez Courir. J’y ai trouvé autant d'exigence que d'humanité "pour de vrai".
S.O : Je pense à deux patrons que j’ai connus, diamétralement opposés l'un de l'autre.
Le premier était un autodidacte, un pur produit du terrain. J’avais à l’époque une vision du management assez binaire et il a été le premier à me montrer qu’exigence et humanité pouvaient fonctionner ensemble.
J’ai alors compris que manager doit permettre au collaborateur de progresser. Il faut lui donner une envie de fierté dans le travail accompli. Pour moi, c’est cela le véritable “care” : une exigence bienveillante qui donne au collaborateur l’envie de s’améliorer en permanence. Challenger un collaborateur doit être un signe de confiance.
C’est d’autant plus important dans le secteur de la grande distribution où les salaires sont faibles mais dans lequel les collaborateurs peuvent véritablement monter et de faire de très belles carrières.
Aussi, même s’il m’a parfois un peu bousculée, ce patron m’a aussi marqué par sa très grande humanité envers tous ses employés, de l’hôtesse de caisse au directeur régional.
Le deuxième patron auquel je pense, je l'ai rencontré alors que je travaillais chez Franprix. C’était un vrai visionnaire, avec de belles valeurs. Il fait partie de ces personnes qui regardent tous les matins la cotation en Bourse de leur entreprise, mais qui ne perdent jamais de vue le rôle social de l’entreprise.
Par exemple, au début du conflit syrien, il m’a très tôt demandé de mettre en place des actions pour venir en aide aux réfugiés et leur donner une chance dans notre entreprise. Cela lui semblait naturel de leur proposer cette aide. Nous avons donc monté un partenariat avec France Terre d'Asile. Aussi, lors du déménagement de notre siège, nos bureaux se sont retrouvés face à un camp de Roms. Plutôt que de chercher à les expulser, il m'a demandé de réfléchir à un moyen d'offrir un job à ceux qui étaient intéressés !
S.O : Oui et c’est d’ailleurs pour ces raisons que je crois encore à l’entreprise. Vous pouvez être exigeant et vouloir être leader, mais vous devez le faire en tenant compte du contexte et de la réalité des collaborateurs.
Il ne faut surtout pas se murer dans sa tour d’ivoire. Ce n’est qu’en étant au contact permanent de nos collaborateurs que nous pourrons identifier le “caillou qu’ils ont dans leur chaussure” et leur apporter des solutions concrètes pour qu’ils soient plus performants !
S.O : Après avoir bien cerné les problèmes des collaborateurs, il faut formaliser ses propositions d’améliorations et démontrer leur ROI au comité de direction. On ne peut pas faire l’inverse et appliquer machinalement de grandes théories managériales. Il devient ensuite possible de dérouler la gestion de projets RH en tant que telle.
Aussi, dans tous les projets RH, je dirais que le plus important est d’arriver à faire circuler l’information à tous les échelons.
Notre entreprise étant répartie sur plusieurs sites, l’exécution à tous les maillons de la chaîne est parfois un peu compliquée. Les équipes travaillant au siège ont parfois des difficultés à faire descendre l’information, ce qui crée des goulots d’étranglement et empêche les projets de se faire. Je travaille actuellement beaucoup sur cet aspect de la communication interne.
S.O : Qu’il s’agisse de recrutements à grande échelle ou du partage des résultats d’une étude menée avec nos collaborateurs, le succès d’un projet passe toujours par l’humain et non par le process.
Il faut s’appuyer sur un maximum de collaborateurs sur le terrain. Il ne s’agit pas d’ajouter un niveau de management mais de mobiliser des relais qui sont au plus près des collaborateurs.
En plus de faciliter le relais des informations, ces “contremaîtres” permettent aussi un meilleur accompagnement des collaborateurs. Ils connaissent leurs conditions de travail et peuvent prendre le temps, contrairement à des managers plus “high level”. Ils permettent aussi de réagir rapidement et d’apporter des réponses rapides aux salariés.
Il faut bien avoir en tête que nos collaborateurs en magasin n’ont notamment pas la même échelle de temps que les salariés travaillant au siège. Étant face au consommateur tous les jours, ils doivent trouver des réponses et s’adapter très rapidement. S’ils ont besoin d’accompagnement de la part de l’entreprise, nous sommes tenus de leur fournir une réponse en quelques heures, pas en une semaine.
Sur ce point, il m'arrive parfois de reprocher un manque d’anticipation et de prise en compte du principe de réalité. On ne pense pas assez au quotidien des collaborateurs, sur lesquels la réussite de projets repose beaucoup. On minimise souvent cette phase ou on n’y pense qu’après, quand il est trop tard.
S.O : Je pense que les changements auxquels nous assistons sont profonds et qu’ils remontent bien avant la crise COVID-19.
La valeur travail a par exemple pris du plomb dans l’aile. Les jeunes générations n’y croient plus car elles ont vu de leurs yeux les conséquences de certaines dérives sur leurs parents (chômage, vagues de licenciements, burn-out…). Je ne pense pas qu'il y aura de retour en arrière à ce niveau.
Le travail impacte aussi beaucoup plus la sphère privée qu’auparavant. Auparavant, je pensais que l’entreprise ne devait surtout pas entrer dans la vie des collaborateurs. Mais, force est de constater qu’ils attendent de l’entreprise qu’elle prenne part à leur santé et bien-être.
S.O : Je suis convaincue que le bien-être au travail est conditionné par le sentiment d’utilité. J’ai pu le voir à travers les résultats d’études menées auprès de nos collaborateurs mais aussi sur le terrain.
À un moment, des collaborateurs qui faisaient jusque-là très bien leur travail se sont retrouvés à devoir effectuer des tâches pour lesquelles ils n’étaient pas formés. Le fonctionnement est passé sur un mode projet, ce qui a les a déroutés. Ils ont eu l’impression de ne plus savoir faire leur métier, ils ne tiraient plus de fierté et de reconnaissance pour ce qu’ils faisaient.
S.O : Elle peut être financière mais ce serait très réducteur de la réduire à ça. Un manager peut par exemple montrer sa reconnaissance à ses collaborateurs en leur confiant plus de responsabilités, en leur proposant des formations pour progresser, en organisant plus d’événements pour la cohésion d’équipe…
Chaque collaborateur a sa propre définition de la reconnaissance au travail, ce qui rend le travail des managers très compliqué. Il faut trouver en permanence le bon équilibre entre l’individuel (le besoin de reconnaissance personnalisé) et le collectif (le besoin d’appartenance au groupe), ce qu’on appelle aussi “faire société” en entreprise..
Je trouve aussi qu’on parle peu d’un sujet qui me semble important : le management du collectif par la complémentarité. Les entreprises recrutent les personnes sur leurs compétences et potentiel d’évolution, mais pensent très rarement à la complémentarité des collaborateurs entre eux. Je pense que les recruteurs devraient être davantage formés à ce sujet.
S.O : Je pense qu’il est important de réinstaurer un sentiment de sécurité dans l’entreprise, car je trouve qu’il s’est perdu ces dernières années. Les salariés doivent avoir droit à l’erreur et être parfois un peu en dessous de leurs objectifs, sans pour autant être mis de côté par l’entreprise.
Il ne s’agit pas d’éviter les conversations difficiles, car les non-dits ne rendent service à personne. Le manager doit pouvoir aborder avec ses collaborateurs leurs difficultés tout en cherchant à les résoudre avec de nouveaux outils ou process. Pour moi, c’est cela la sécurité au travail : “j’ai identifié ton problème et je t’apporte mon aide pour t’apporter plus de confort dans ton travail et te rendre plus performant”.
S.O : Elle est indispensable car le partage d’une vision commune cimente le vivre-ensemble au sein d’une entreprise.
L’enjeu principal est de permettre à chaque collaborateur de se l’approprier. C’est pourquoi elle ne se décrète pas. Elle ne doit jamais être “top-down”, elle vient de la base. Il faut commencer par échanger avec tous les collaborateurs, quel que soit leur niveau hiérarchique, pour recueillir leur ressenti et leur vécu quant à leur travail.
Ensuite, il faut arriver à formaliser une vision commune et des actions pratiques. C’est à ce moment que l’équipe dirigeante intervient. C’est à elle formaliser la culture d’entreprise en plan d’actions, déclinable à tous les niveaux.
C’est un travail qui prend du temps, mais ce n’est qu’en partant de la réalité des collaborateurs que la culture d’entreprise peut devenir un atout.
S.O : Chaque salarié doit pouvoir citer 2 ou 3 exemples de situations révélatrices de la culture d’entreprise à son niveau. Je crois beaucoup à ce genre de petites choses qui en disent beaucoup, plutôt qu’à des concepts creux qui ne veulent pas dire grand-chose pour la majorité des collaborateurs.
Aussi, la culture d’entreprise ne doit pas se retrouver uniquement dans le vécu des salariés. Elle doit également s’appliquer à nos choix de fournisseurs et de prestataires par exemple. Nous privilégions ceux qui partagent avec nous des valeurs communes et qui mettent en place des politiques RSE ambitieuses.
S.O : Des données comme l’absentéisme, le taux de satisfaction, l’engagement ou le turn-over peuvent nous renseigner mais elles ne sont pas suffisantes.
L’évaluation d’aspects qualitatifs comme l’application de la culture d’entreprise ou même la santé mentale restent cependant difficiles.