Ex DRH de Big Mamma, Elsa est aujourd’hui Chief People Officer chez Brut. Elle pilote notamment une importante transformation organisationnelle et la forte montée en autonomie des collaborateurs, afin d'allier le meilleur du journalisme et de l'entreprise.
Précédemment DRH du groupe Big Mamma, Elsa Darquier-Fournier occupe aujourd’hui le poste de Chief People Officer chez Brut. Parmi les projets qu’elle a pilotés chez Brut, on trouve notamment la forte montée en autonomie des collaborateurs et une importante transformation organisationnelle, alliant le meilleur du journalisme et de l'entreprise. Ces challenges à fort impact ont permis à Brut d’asseoir son statut de leader avec une communauté présente sur tous les continents et qui a généré 20 milliards de vues en 2022.
Au programme :
Elsa Darquier-Fournier : J’ai étudié le droit international pendant 6 ans, avant de comprendre que j’avais une forte appétence pour le business.
J’ai commencé ma carrière chez L’Oréal, où j’ai travaillé durant 5 ans à la fois en Marketing et en Ressources Humaines. J’ai ensuite rejoint Big Mamma en tant que DRH pendant 4 ans, puis Brut en 2020.
E.D.F : Je viens d’une famille d’entrepreneurs qui a toujours été animée par une forte volonté de faire et de créer de l’impact.
J’ai notamment eu la chance de connaître mon arrière-grand-père, fondateur de plusieurs compagnies d’assurances après la Seconde Guerre Mondiale. Il était animé par la volonté de reconstruire la France et d’œuvrer pour les autres, sans tout attendre de l’Etat. Cela m’a beaucoup marqué.
Mes parents m’ont aussi beaucoup influencé car ils ont toujours été très investis en faveur des Droits de l’Homme. J’ai grandi avec cette volonté d’aider et d’avoir de l’impact.
À chaque étape de ma carrière, l’idée est pour moi de créer de l’impact, d’être responsable d’un projet et de le porter.
E.D.F : Ma fiche de poste est assez hétéroclite ! Je m’occupe à la fois des RH, du volet RSE - qui est très important chez Brut - et du management d’une BU E-commerce.
Cette pluralité est importante selon moi pour avoir un impact fort sur l’entreprise.
E.D.F : Oui, c’est quelque chose que nous incitons beaucoup. Cela renforce notre culture d’entreprise qui valorise l’autonomie et la prise d’initiative.
Cette posture n’est pas tellement guidée par des notions économiques. Simplement, nous nous sommes rendus compte qu’elle décuplait l’impact des collaborateurs au sein de l’entreprise. C’est notamment très important pour les profils juniors qui se sentent libres de proposer de nouvelles idées.
C’est également la meilleure des formations. Les collaborateurs apprennent très rapidement des compétences qu’ils auraient autrement mis des mois à maîtriser.
E.D.F : Dans nos conférences de rédaction, nous incitons chaque journaliste à proposer le sujet qu’il a envie de porter. Nos choix éditoriaux ne sont pas dictés par l’AFP ou un agenda politique. Les journalistes viennent donc avec les sujets qui les intéressent vraiment.
Au vu de notre communauté qui est très importante, cela peut être déroutant pour les journalistes d’avoir carte blanche - surtout s’ils viennent de rédactions traditionnelles où les sujets sont imposés par le rédacteur en chef.
Chez Brut, nous les encourageons à se défaire de leurs anciennes habitudes pour créer leur propre agenda médiatique. Cette autonomie des collaborateurs nous permet d’innover en permanence, de créer de nouveaux formats, de tester de nouvelles choses sur nos différentes plateformes… Elle est très appréciée mais il faut l’encadrer. Dans certains cas, cela peut produire l’effet inverse et inhiber le pouvoir de création.
En plus de cette forte responsabilisation, nous donnons la possibilité à nos collaborateurs d’avoir un impact sur la vie de l’organisation. Par exemple, lors des évaluations, nous demandons à chacun de fixer un objectif pour l’entreprise. Récemment, l’un de nos collaborateurs nous a fixé l’objectif de supprimer toutes les poubelles individuelles de l’entreprise. Et nous avons atteint cet objectif ! Ce qui nous a permis d’améliorer notre bilan carbone.
E.D.F : Cela passe par un énorme travail de formation de nos journalistes à des compétences managériales. Ils doivent à la fois être extrêmement compétents dans leur domaine d’expertise et savoir manager, ce qui n’était pas évident au début.
À mon arrivée chez Brut, il y a deux ans, personne n’avait de formation en management. Ils n’ont pas du tout été formés à cela dans leurs précédentes rédactions. Il a donc fallu apprendre aux managers à donner du feedback, à libérer la créativité, à rebondir après un échec…
E.D.F : Même si Brut n’est plus une start-up, nous priorisons toujours l’agilité, la transparence et le co-développement. Rester agile nous permet de nous questionner en permanence, de prioriser et, par conséquent, de faire des meilleurs choix.
Nous faisons exprès de garder un certain “flou” dans notre organisation. Il n’y a pas de directeur pour tout et le noyau “top management” n’a pas vocation à beaucoup s’élargir. Cette organisation nous permet d’être plus créatifs et d’éviter les process inutiles.
E.D.F : Pour que le flou soit bon, il faut qu’il y ait énormément de confiance entre les uns et les autres. Sinon, cela peut créer de l’insécurité chez certains.
Dans un grand groupe, tout est beaucoup plus cloisonné et la compétition, même si elle peut être saine, est forte. Chez Brut, nous n’avons pas le temps d’être dans cette compétition au vu de nos enjeux - atteindre la rentabilité, rendre le groupe durable...
Nous nous entraidons beaucoup. Personnellement, je n'aurais jamais pu prendre le lead d’une BU sans la confiance des cofondateurs et de mes pairs. Cela passe par des tips, du mentoring, du partage de business, d’outils…
E.D.F : Le travail en co-développement est très important dans une organisation qui se veut libérée. Dans nos CODIR, par exemple, nous nous fixons un sujet à craquer ensemble plutôt que de perdre du temps sur de belles présentations dont tout le monde connaît déjà le contenu.
Notre communication est également très directe. Honnêtement, je pense que je n’envoie jamais de mails à mes collègues du CODIR. Nous privilégions les échanges en face-à-face ou via WhatsApp.
À un niveau global, nous tenons à entretenir une culture de la transparence, en étant pédagogue au maximum. Nous explicitons au maximum toutes nos prises de décisions pour dissiper les doutes et craintes.
E.D.F : Tout d’abord, il est important de savoir que Brut a profondément changé en 2020. Il était nécessaire de changer d’état d’esprit car, en termes de modèle, nous sommes passés d'une équipe rédaction à celui d'une entreprise.
À mon arrivée, l’équipe n’était quasiment composée que de journalistes. L’objectif était de recruter toutes les fonctions nécessaires pour se développer : commercial, marketing, tech, RH… Ensuite, il a fallu créer une culture d’entreprise.
Créer un langage commun a été un vrai défi, car l’entreprise était composée de collaborateurs très différents. Les journalistes n’ont par exemple pas du tout l’habitude qu’on leur parle de performances, d’évaluations et d’objectifs. Nos autres collaborateurs, au contraire, sont boostés par ça. Nous avons donc dû faire extrêmement attention aux mots choisis.
E.D.F : Nous avons tout répertorié dans un culture book. Pour commencer, nous nous sommes basés sur une enquête menée auprès de nos collaborateurs. Elle a révélé un très fort sentiment d’appartenance - notamment parce qu’ils sont convaincus que leur travail chez Brut a un impact sur le monde.
Nous avons ensuite adapté notre culture book dans une approche “glocale”. Nos équipes étant présentes en France, aux Etats-Unis et en Inde, nos valeurs et nos missions doivent pouvoir se retranscrire dans chaque bureau.
Le culture book nous sert de guide dès le recrutement de nos futurs collaborateurs. Chaque candidat doit en effet passer un entretien basé sur le culture fit avec l’un de nos ambassadeurs. Pour la plupart, nos ambassadeurs sont des personnes travaillant depuis longtemps chez Brut et qui avaient envie d’incarner encore davantage notre culture d’entreprise.
Cet entretien de culture fit représente certes une étape en plus dans le process de recrutement mais elle est vitale pour continuer à bien fonctionner.
E.D.F : Je dirai que tous nos grands moments éditoriaux sont des événements très forts. Je pense notamment à l’incroyable travail de toute l’équipe pour préparer l’interview d’Emmanuel Macron dans nos locaux en 2020. Lors de ces moments, l’effervescence se ressent dans toute l’entreprise.
C’est le genre de moments qui rassemble, des instants où l’édito prime. Ce sont les raisons pour lesquelles nos collaborateurs se lèvent le matin, même les non-journalistes.
E.D.F : Cela été relativement simple car, dès le début, le média a été pensé de façon durable par les fondateurs. Beaucoup de choses avaient déjà été mises en place avant mon arrivée, comme la parité au sein des équipes.
Mon rôle a surtout été de finaliser des chantiers pour permettre la certification en avril 2021, soit 4 ans après la création du média.
E.D.F : Oui, car cette certification représente avant tout une première étape. Elle nous a permis d’acter tous les efforts entrepris depuis les fondements de Brut. Depuis, nous sommes membre de la French Tech et nous avons signé le Pacte Parité.
Mais nous souhaitons toujours aller plus loin ! Notre prochaine certification B-Corp, qui a lieu en 2024, va nous le permettre.
Parmi nos actions entreprises depuis 2021, notre CODIR est devenu paritaire et nous avons média traîné un pool de représentantes pour que nos prises de parole soient vraiment représentatives de notre équipe. Nous avons également créé un onboarding spécifique pour les femmes de retour de congés maternité, afin de mieux les accompagner dans cette nouvelle étape de carrière. Toujours en faveur de la parité, nous souhaitons féminiser davantage notre board.
Pour cette “re-certification”, nous allons aussi être testés sur notre empreinte carbone. Nous allons vraiment dans le détail de nos façons de travailler : nous rendons nos façons de tourner plus agiles, limitions nos déplacements, changeons nos batteries de caméras… Nous sommes actuellement en plein dans ce sujet !
E.D.F : La première erreur qui me vient en tête, c’est d’avoir pensé qu’il fallait tout prouver par moi-même. Et ce, même avec un niveau de séniorité élevé.
Quand je suis revenue de mon congé maternité, j’ai dû assurer la création d’une nouvelle BU, en plus de mon job existant. J’étais persuadée que la tâche de ramener du business m’incombait à moi toute seule et je n’ai pas assez délégué.
Je pense que cette volonté de ne pas décevoir, lorsqu’on vous confie une tâche importante, est très féminine. C’est vraiment le syndrome de la bonne élève. Si c’était à refaire, je déléguerais davantage pour rendre le travail plus agréable pour tout le monde - pour l’équipe, comme pour moi - et pour avoir un meilleur équilibre pro - perso.
L’autre erreur que j’ai pu commettre, c’est de ne pas avoir été assez exemplaire sur des combats importants. J’ai notamment travaillé durant mon congé maternité, alors que je suis la première à proposer un allongement du congé maternité.
Je pense que j’ai véhiculé une image sur le mode “on peut tout gérer”, ce qui peut faire culpabiliser une femme qui aurait besoin de plus de temps par exemple.
Avec le recul, je trouve que le devoir d’exemplarité est aussi important qu’une belle communication. Cela vaut tous les communiqués de presse.
La dernière erreur que je peux partager concerne la transparence des rémunérations. J’ai eu tendance à ne pas accorder suffisamment d’importance à ce sujet. Or, dans notre culture occidentale, il reste super important ! En l’occultant, je me suis rendu compte qu’une certaine disparité pouvait se créer au sein des équipes. Donc, si c’était à refaire, je parlerai de façon beaucoup plus franche et libre des salaires, même ceux des top managers.
E.D.F : Je pense qu’il y a une vraie nécessité de repenser le dialogue social. Je rêve d’un futur où le fonctionnement du CSE serait simplifié, où ses règles seraient moins rigides et où il ne serait plus perçu comme un organe “old-school”. C’est une chance de pouvoir élire et rencontrer ses représentants du personnel !
Ces changements peuvent passer par des modifications de la loi, mais les entreprises doivent aussi porter cette transformation. Quel rôle donner au CSE ? Comment aller au-delà de la binarité des relations patron - collaborateurs ? Comment inventer le dialogue social du futur ? Ce sont des sujets qui me passionnent.
Après l’élection à la Présidence d’Emmanuel Macron, je me suis portée volontaire si des réflexions étaient organisées sur ces sujets, ce qui m’a conduit à participer à l’écriture de la loi Pacte.
On m’a fait remarquer qu’il était étonnant pour un employeur d’être proactif dans ce type de discussions. Je pense au contraire que ce dialogue est vital pour les entreprises. Ce qui est vraiment “old-school”, c’est de vouloir systématiquement opposer les intérêts des salariés et des entreprises.